Le comique
Dissertation
Attendez-vous que les décors, les accessoires, les costumes évoqués dans une pièce de théâtre soient tous pris en compte par le metteur en scène pour la représentation ? Vous développerez votre réponse sous forme argumentée et l'illustrerez à l'aide des textes du corpus et des lectures faites en classe.
Se reporter aux textes du corpus.
LES CLÉS DU SUJET
Comprendre le sujet
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« décors », « accessoires », « costumes » indiquent que vous devez parler des éléments concrets de la représentation.
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« prendre en compte » signifie « suivre les indications » de l'auteur et du texte lors de la représentation.
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Reformulez la question : « Un metteur en scène doit-il suivre scrupuleusement les indications de l'auteur en matière de décors, d'objets, d'accessoires ? »
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Subdivisez cette question en variant les mots interrogatifs : « Pourquoi faut-il suivre exactement les indications de l'auteur ? » ; inversement : « Quelle marge doit-on laisser au metteur en scène ? Pourquoi peut-on prendre quelques libertés par rapport aux indications de l'auteur ? » ; ou encore : « Quelles sont les fonctions des décors, des accessoires et des costumes ? »
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« Attendez-vous que... » équivaut à « Pensez-vous qu'il faille... », ce qui invite à la discussion selon un plan dialectique (pour et contre).
Chercher des idées
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Appuyez-vous sur des exemples de pièces dont vous vous rappelez bien les indications scéniques et sur les représentations ou les mises en scène télévisées que vous avez vues. Mesurez la marge de liberté prise par le metteur en scène par rapport au texte, du point de vue des décors, des accessoires et des costumes.
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Cherchez quelques fonctions des décors, des costumes, des accessoires : par rapport à l'intrigue, au ton, à la pièce ; pour la compréhension (repères, ancrage de l'action dans une époque précise...) ; pour la psychologie des personnages ; pour leur sens symbolique.
Pour réussir la Dissertation : voir guide méthodologique.
Le théâtre : voir lexique des notions.
Les titres en couleur et les indications en italique servent à guider la lecture mais ne doivent pas figurer sur la copie.
Introduction
Amorce : La représentation d'une œuvre théâtrale est une création collective et incarnée. Une fois écrite, la pièce échappe à son auteur et ne lui appartient plus : ce sont les acteurs qui donnent corps à l'œuvre. Dans cette création collective, les accessoires, les décors et les costumes jouent un rôle important et les dramaturges eux-mêmes y accordent une attention particulière.
Problématique : Lors de la représentation, le metteur en scène doit-il suivre scrupuleusement les indications de l'auteur et prendre en compte tous les éléments concrets mentionnés dans le texte théâtral ?
Annonce du plan : Certes, il faut rester fidèle aux directives de l'auteur, mais le théâtre, par sa nature, autorise (et peut même exiger) des entorses à la fidélité absolue. Une mise en scène réussie doit satisfaire les trois « créateurs » d'une pièce : l'auteur, le metteur en scène et le public.
I. La fidélité à l'auteur et au texte
1. Pas d'amputation du texte, pas de solution de facilité
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L'auteur est le créateur premier, le mieux placé pour savoir comment servir au mieux la pièce. Ne pas suivre ses indications, c'est risquer de la dénaturer.
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L'objet est un élément de la pièce à part entière, il fait partie du texte. Le théâtre du xviie siècle comporte très peu de didascalies. Plus tard, elles se multiplient : les dramaturges, Hugo, puis au xxe siècle Beckett (document C), pensent que les éléments concrets enrichissent la pièce.
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Si le metteur en scène ne tient pas compte des didascalies, il ampute l'œuvre. Ainsi de Dom Juan et Sganarelle, au début de l'acte III de la comédie de Molière : ils sont habillés l'un en médecin, l'autre en habit de campagne ; si Sganarelle n'est pas en médecin, il ne peut plus prétendre parler sous l'influence de son habit de médecin (« Cet habit me donne de l'esprit... ») et on perd toute l'intention de Molière.
2. Costumes et décors servent d'indicateurs
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Objets, costumes et décors permettent d'identifier la pièce au premier coup d'œil, et de saisir l'essentiel de l'action de la pièce et son atmosphère. Dom Juan est vêtu en maître, Sganarelle en valet et, dès l'abord, les rapports sociaux sont instaurés.
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Le rôle des éléments scéniques est d'autant plus important pour les pièces à sujet historique ou situées historiquement : ils mettent en place une toile de fond indispensable à l'action. Hugo précise dans le détail les costumes de ses drames historiques : pour faire revivre l'Espagne de Charles Quint dans Hernani, la « vieille » duègne est « en noir, avec le corps de sa jupe cousu de jais, à la mode d'Isabelle la Catholique ».
3. Costumes, accessoires et décors indispensables
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Inscrits dans les répliques, ils déterminent quelquefois les mouvements des personnages, guident la mise en scène et dictent alors leur loi au spectacle. La carotte qu'Estragon mâche dans En attendant Godot est le centre des jeux de scène et de la discussion des deux clochards.
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Ils sont parfois les piliers de l'intrigue. C'est la statue du Commandeur qui, dans Dom Juan, entraîne le personnage aux Enfers. C'est sur le jeu des costumes - riche manteau de Premier ministre qui, rejeté, laisse voir la livrée de valet - qu'intervient le coup de théâtre final de Ruy Blas, lequel revendique son statut d'homme du peuple.
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Le changement de costume est un élément de complication de l'intrigue fréquent au théâtre : c'est alors lui qui soutient la construction dramatique. Le Jeu de l'amour et du hasard repose sur un quadruple travestissement qui provoque une série de quiproquos et sert de support à l'« expérience » amoureuse et sociale de Silvia (la maîtresse), devenue Lisette (la servante) et de Dorante (le maître), devenu Arlequin (le valet). Au point qu'ils ne savent plus qui ils sont et qui ils aimeraient être : seuls le spectateur et l'auteur peuvent démêler ce nœud créé par les costumes eux-mêmes, qui prennent le pas sur la volonté de ceux qui les portent. Ils dirigent le discours, chacun devant tenir les propos correspondant à son habit et non à sa véritable identité : on pourrait presque dire que ce sont eux qui parlent ! Quelle plus grande importance peut avoir un élément dans une pièce ?
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Enfin, si on ne prend pas en compte certains objets, on peut aboutir au non-sens et le spectateur ne comprend plus rien à la pièce. Si Rodrigue ne sort pas son épée ensanglantée, la réplique de Chimène : « Quoi ! Du sang de mon père encor toute trempée ! » perd son sens.
4. « Les objets sont signifiants » (Artaud)
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Enfin, certains éléments dépassent le statut de simples objets : ils donnent son sens à la pièce, ont une valeur symbolique et véhiculent son « message » essentiel.
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Ainsi, la livrée de Ruy Blas lui « colle » à la peau : c'est l'image de son statut de valet qui montre que le peuple ne peut échapper à ses origines ; elle représente, en la concrétisant, la fatalité sociale qui pèse sur le peuple, « grand » mais esclave de son rang. Dans En attendant Godot, la carotte n'est pas qu'un légume banal : elle est l'image de la vie entière, qui perd son « goût » à mesure que l'on vieillit.
II. Laisser une marge de souplesse à l'interprétation
L'histoire du théâtre montre une évolution dans le domaine des objets, des décors, des costumes : on passe de l'absence d'exigences des dramaturges dans la tragédie et la comédie grecques ou classiques, à l'hypertrophie des didascalies dans le théâtre contemporain.
1. S'adapter à l'évolution du public
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Une pièce a trois créateurs : l'auteur, la troupe, mais aussi le public. Or, changement d'époque signifie changement de perception, de sensibilité, de mentalité, de centres d'intérêt et de conditions matérielles des spectateurs. Pour s'adapter aux attentes du public , il faut transposer. Ainsi, le Tartuffe d'Ariane Mnouchkine se « joue » en terre d'islamisme. De nos jours, en effet, il n'y a plus de faux dévots au sens du xviie siècle ; or, le problème de la religion se pose toujours, mais en d'autres termes.
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Les objets ou les costumes n'ont pas la même valeur symbolique selon les époques : cela autorise les « variantes » pour mieux faire comprendre le sens de la pièce. On peut ainsi remplacer la cassette d'Harpagon par un coffre-fort... Certains costumes sont mieux adaptés au spectateur d'aujourd'hui : pour représenter une oppression militaire ou une dictature, le choix de tenues de soldats du IIIe Reich est plus proche de nous.
2. La recherche légitime de l'originalité
Le metteur en scène est lui aussi créateur de la pièce : une place doit être laissée à sa créativité vis-à-vis de l'objet.
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Certains metteurs en scène trouvent plus expressif de changer les costumes pour changer d'époque, ce qui convient à certains genres, surtout à la comédie. Dans la version de Michael Hoffman d'un Songe d'une nuit d'été (Shakespeare), la pièce, qui est censée se passer en Grèce chez Thésée et Hippolyte, se déroule en Italie, vers la fin du xixe siècle où l'on se déplace à bicyclette... Cependant, comme la pièce est fantaisiste, cela se conçoit.
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Le metteur en scène peut aller au-delà des intentions de l'auteur et « déployer » l'objet, qui « occupe » toute la scène. Dans la mise en scène des Fourberies de Scapin à la Comédie-Française, le sac dans lequel se cache Géronte bouge d'une façon comique sous l'effet des mouvements du vieillard et devient presque un personnage autonome.
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Le théâtre est une création continue, en perpétuelle évolution. Chaque mise en scène recrée la pièce et la « plasticité » de certaines œuvres (notamment celles du théâtre classique) laisse une large place à l'innovation et autorise la prise de distance par rapport aux indications de l'auteur : ainsi, la statue du Commandeur dans les mises en scène de Dom Juan a pris de multiples formes (Vilar, Chéreau...) ; chez Mesguich, ce sont des statues de femmes qui s'animent, images des anciennes conquêtes de Dom Juan.
III. Bon sens et juste mesure
Il faut sans doute trouver un juste milieu et refuser toute tyrannie, de l'objet, de l'auteur, ou du metteur en scène.
1. Que l'objet et le costume restent à leur place
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Objets, décors et costumes ne sont pas le plus important dans une pièce. Le spectateur vient entendre un texte, voir une action mise en scène, et non des costumes. Ils sont là pour seconder le texte, et c'est en ce sens qu'il faut respecter les indications de l'auteur en tant qu'elles sont utiles et pertinentes. [Exemples personnels.]
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L'objet et le costume doivent être traités de façon à assurer la pérennité, l'universalité et la survie de la pièce. Ainsi, certains metteurs en scène optent pour une modernisation radicale du costume afin de donner une nouvelle dimension à la pièce ou d'en montrer l'actualité. Jouer Le Misanthrope ou Les Femmes savantes en costumes contemporains se justifie car cela aide à reconnaître la valeur intemporelle et universelle de ces pièces. Jouer Phèdre en costumes de notre époque, c'est reconnaître que les Phèdre existent toujours, c'est donner une portée humaine à la pièce, élargir son sens.
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Or, certains dramaturges se substituent au metteur en scène et verrouillent toute interprétation : l'œuvre ne peut pas évoluer, les règles du jeu du théâtre ne sont plus respectées, la pièce ne peut pas être « interprétée » ; or les « pièces sont faites pour être jouées » (Molière) et rejouées. Le metteur en scène est alors en droit de ne pas obéir à ces auteurs tyranniques et de se démarquer des exigences surabondantes - et parfois excessives - d'un Ionesco ou d'un Beckett.
2. Des metteurs en scène inutilement iconoclastes
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Cependant certaines interprétations opèrent de graves déformations et trahissent le texte. Le Malade imaginaire a été joué comme une tragédie : Argan, hâve et pâle, dans une robe de nuit blanc e qui r ssemble à un linceul, a été interprété comme un vrai malade ; Thésée, dans Phèdre, revient à Trézène avec des valises comme un vulgaire voyageur contemporain... Or, Thésée est un héros qui a une autre envergure.
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Ionesco, dramaturge, s'indigne qu'on l'ait trahi et dépossédé de sa pièce dans une mise en scène de Rhinocéros à New York, où figuraient des matchs de boxe entre ses personnages. Il s'irrite des inventions incontrôlées de certains metteurs en scène, souvent excentriques, voire absurdes... Le costume est souvent un élément déterminant dans ces trahisons.
Conclusion
Costumes, objets, décors sont des éléments indispensables de la création dramatique. Ils contribuent à l'élaboration du sens de la pièce. Mais leur exploitation exige bon sens et juste mesure. La bonne mise en scène est celle qui parvient à rester fidèle à l'esprit de l'auteur, à laisser une marge de créativité au metteur en scène et à l'acteur, et à s'adapter au public et à lui faciliter la compréhension de la pièce. Comme dans tout travail d'équipe, la réussite naît de l'harmonie entre les différents participants à la création.