Balzac, La Peau de chagrin
oral
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Sujet d’oral • Explication & entretien
Balzac, La Peau de chagrin, l’apparition de l’antiquaire
1. Lisez le texte à voix haute.
Puis proposez-en une explication linéaire.
document
Nous sommes ici au début du roman : ruiné, désespéré, tenté par le suicide, le jeune Raphaël de Valentin attend la tombée de la nuit dans un magasin d’antiquités.
Le silence régnait si profondément autour de lui que bientôt il s’aventura dans une douce rêverie dont les impressions graduellement noires suivirent, de nuance en nuance et comme par magie, les lentes dégradations de la lumière. Une lueur en quittant le ciel fit reluire un dernier reflet rouge en luttant contre la nuit, il leva la tête, vit un squelette à peine éclairé qui pencha dubitativement1 son crâne de droite à gauche, comme pour lui dire : Les morts ne veulent pas encore de toi ! En passant la main sur son front pour en chasser le sommeil, le jeune homme sentit distinctement un vent frais produit par je ne sais quoi de velu qui lui effleura les joues et il frissonna. Les vitres ayant retenti d’un claquement sourd, il pensa que cette froide caresse digne des mystères de la tombe venait de quelque chauve-souris. Pendant un moment encore, les vagues reflets du couchant lui permirent d’apercevoir indistinctement les fantômes par lesquels il était entouré ; puis toute cette nature morte s’abolit dans une même teinte noire. La nuit, l’heure de mourir était subitement venue. Il s’écoula, dès ce moment, un certain laps de temps pendant lequel il n’eut aucune perception claire des choses terrestres, soit qu’il se fût enseveli dans une rêverie profonde, soit qu’il eût cédé à la somnolence provoquée par ses fatigues et par la multitude des pensées qui lui déchiraient le cœur. Tout à coup il crut avoir été appelé par une voix terrible, et il tressaillit comme lorsqu’au milieu d’un brûlant cauchemar nous sommes précipités d’un seul bond dans les profondeurs d’un abîme. Il ferma les yeux, les rayons d’une vive lumière l’éblouissaient ; il voyait briller au sein des ténèbres une sphère rougeâtre dont le centre était occupé par un petit vieillard qui se tenait debout et dirigeait sur lui la clarté d’une lampe. Il ne l’avait entendu ni venir, ni parler, ni se mouvoir. Cette apparition eut quelque chose de magique. L’homme le plus intrépide, surpris ainsi dans son sommeil, aurait sans doute tremblé devant ce personnage qui semblait être sorti d’un sarcophage2 voisin.
Honoré de Balzac, La Peau de chagrin, « Le talisman », 1831.
1. Dubitativement : avec un air de doute.
2. Sarcophage : cercueil, comme en utilisaient les Égyptiens dans l’Antiquité.
2. question de grammaire.
Analysez la structure de la première phrase du texte.
Conseils
1. Le texte
Faire une lecture expressive
Le début du texte se caractérise par un rythme assez lent. Il faut y suggérer une impression diffuse d’inquiétude et de doute.
Dès la ligne 21, le rythme s’accélère. Faites sentir comment l’entrée en scène surnaturelle de l’antiquaire provoque la surprise de Raphaël.
Situer le texte, en dégager l’enjeu
Cette scène clé fait entrer le roman réaliste dans le fantastique : relevez-en les différentes étapes.
Quels éléments suggèrent de plus en plus la passivité de Raphaël ? En quoi annoncent-ils le pacte que le héros scellera avec l’antiquaire ?
2. La question de grammaire
La phrase comprend trois verbes conjugués (relevez-les avec leur sujet), donc trois propositions (délimitez-les).
Parmi ces propositions, identifiez une subordonnée conjonctive et une subordonnée relative. Pour chacune, relevez le mot subordonnant : quel lien logique le premier met-il en évidence ? Quel est l’antécédent du second ?
1. L’explication de texte
Introduction
[Présenter le contexte] Conçu par Balzac comme un véritable conte philosophique, La Peau de chagrin est traversé par une réflexion sur l’énergie vitale, dont les théories, très en vogue dans la première moitié du xixe siècle, ont profondément marqué le romancier. [Situer le texte] Nous sommes ici au début du roman : ruiné, désespéré, tenté par le suicide, le jeune Raphaël de Valentin attend la tombée de la nuit dans un magasin d’antiquités dont les merveilles le fascinent. L’apparition du marchand fait alors basculer le récit dans le fantastique. [En dégager l’enjeu] Cet extrait montre comment Raphaël, hanté par la mort, influencé par l’obscurité et l’atmosphère de la boutique, se prépare malgré lui à sceller un pacte diabolique avec le vieux marchand, propriétaire des lieux.
Explication au fil du texte
La perte progressive des repères (l. 1-13)
Le texte s’ouvre sur l’effet que le silence du magasin et l’obscurité tombante produisent sur Raphaël. Dès les deux premières lignes, tout suggère une lente suspension du temps : l’imparfait duratif du verbe « régnait », le lexique de la lenteur, les longs segments de la première phrase. Raphaël se laisse alors porter « dans une douce rêverie », expression qui suggère à la fois l’abandon du personnage et l’éloignement du monde réel.
Cet état incertain entre le sommeil et la conscience est symbolisé, dans la phrase suivante, par la tension entre le jour et la nuit : Raphaël est désormais plongé dans un monde transitoire et flottant, où règne l’ambiguïté. C’est ce qu’illustre l’apparition du squelette, dont la brutalité est renforcée par les verbes au passé simple. Mais, plus encore, le squelette est sujet d’un verbe d’action (« pencha »), comme s’il était doué de vie et de volonté propre : ce mort semble plus vivant que Raphaël lui-même !
À l’image du squelette succède celle du vampire (avec la chauve-souris, animal associé aux « mystères de la tombe ») : ces deux motifs, typiques du roman gothique alors très à la mode en France, annoncent le basculement à venir dans le fantastique.
mot clé
Roman gothique : genre littéraire né en Angleterre au xviiie siècle, qui mêle surnaturel, obsession macabre et atmosphère horrifique.
Le monde réel semble de plus en plus incertain (« je ne sais quoi de velu », « il pensa que »), et ce doute s’accompagne d’une réaction de peur : le frisson éprouvé par Raphaël peut avoir été causé par la fraîcheur du coup de vent, mais aussi par l’inquiétude que suscite cette mystérieuse sensation sur ses joues.
[Transition] Du soleil couchant à l’image de la tombe, le thème de la mort est ainsi omniprésent dans cette première partie, rappelant combien l’idée du suicide hante Raphaël. Mais la figure du vampire introduit aussi un autre thème : l’énergie vitale, dont le vampire mort-vivant est toujours assoiffé, et dont la peau de chagrin privera Raphaël dans la suite du roman.
La perte de volonté (l. 13-21)
Les lignes 13 à 17 prolongent les deux thèmes principaux de la première partie : le temps suspendu et l’incertitude (« les vagues reflets », « indistinctement »). Mais tout se précipite quand la tombée de la nuit s’achève brusquement (on notera les adverbes de temps « puis » et « subitement »).
Le sentiment de menace, déjà présent dans la première partie, semble alors s’accentuer. D’abord les objets du magasin n’apparaissent plus que comme des fantômes ; puis la nuit est définitivement associée à la mort. L’asyndète « la nuit, l’heure de mourir » renforce l’association des deux groupes de mots par juxtaposition, dans une phrase volontairement courte pour les mettre en valeur.
mot clé
Asyndète : absence de liaison grammaticale ; elle a pour effet de renforcer le lien entre les deux éléments associés.
La disparition du monde réel dans la nuit aggrave la perte de volonté de Raphaël. D’abord douce, à la ligne 2, sa rêverie devient plus « profonde » et se transforme même en « somnolence » : ce dernier terme est révélateur des dispositions de Raphaël, incapable de se ressaisir et sombrant peu à peu dans une forme de passivité. Cette faiblesse est soulignée par la gradation à la ligne 19, avec le passage d’une forme pronominale (« il se fût enseveli »), qui marque encore une action réfléchie, à un verbe suggérant le renoncement (« il eût cédé »).
[Transition] Comme s’il était sous l’influence d’un lieu néfaste, Raphaël vacille et renonce peu à peu à toute forme de volonté, laissant l’obsession de la mort l’emporter sur son énergie vitale. Il est désormais prêt à se laisser séduire par l’homme qui lui redonnera confiance et goût en la vie : l’antiquaire.
L’apparition fantastique de l’antiquaire (l. 21-31)
L’adverbe « tout à coup » marque le retour inattendu à l’action. Il signale surtout le surgissement du surnaturel : la « sphère rougeâtre » semble suspendue dans les airs et la reprise de la conjonction de coordination « ni » à la ligne 28 insiste sur les déplacements étrangement silencieux de l’antiquaire.
Balzac joue efficacement avec les codes du fantastique en accumulant des indices qui évoquent la figure du diable : l’image de l’abîme et l’obscurité, d’où le vieil homme vient de sortir, rappellent le surnom de prince des ténèbres, associé à cette figure, tandis que la couleur de la sphère et le « brûlant cauchemar » font penser aux flammes de l’enfer.
Caractéristique également du fantastique, le thème du doute se prolonge par deux contradictions : Raphaël croit « avoir été appelé », mais l’antiquaire n’a visiblement pas parlé ; celui-ci est à la fois « un petit vieillard » et un « personnage […] sorti d’un sarcophage ». Le lexique de l’incertitude s’accentue dans les dernières lignes : « quelque chose de magique », « sans doute », « semblait ».
La comparaison finale (l. 29-31) justifie l’inquiétude grandissante de Raphaël : le frisson initial devient ici un tremblement. Elle fait définitivement du marchand un vampire, entre la vie et la mort – donc un être capable de faire renaître son futur client, en lui offrant des secrets d’outre-tombe, et prêt à profiter de ses faiblesses.
Conclusion
[Faire le bilan de l’explication] Cet extrait joue un rôle essentiel dans le roman : Balzac exploite les motifs classiques du fantastique pour faire basculer dans le surnaturel un récit jusque-là réaliste. Il décrit également avec minutie l’état d’esprit de Raphaël, que tout conditionne à accepter, ensuite, le pacte diabolique avec l’antiquaire.
[Mettre le texte en perspective] Cet extrait rappelle Faust, le personnage de la pièce éponyme écrite par Goethe, ce jeune homme qui, par lassitude, se laisse tenter par le diable. Dino Buzzati en reprendra l’idée dans la nouvelle, Le Veston ensorcelé (1966), dans laquelle, cette fois, le diable n’est autre qu’un simple tailleur, dont le veston magique offre une réserve inépuisable d’argent, mais condamne son possesseur à l’enfer.
2. La question de grammaire
« [Le silence régnait si profondément autour de lui] [que bientôt il s’aventura dans une douce rêverie] [dont les impressions graduellement noires suivirent, de nuance en nuance et comme par magie, les lentes dégradations de la lumière.] »
Il s’agit d’une phrase complexe qui comprend trois verbes conjugués (en couleur), noyaux de trois propositions (entre crochets).
La première proposition est la proposition principale qui régit les deux autres propositions, qui lui sont subordonnées.
La proposition introduite par la conjonction « que » (annoncée par l’adverbe « si ») est une subordonnée conjonctive circonstancielle de conséquence.
La proposition introduite par le pronom relatif « dont » est une subordonnée relative épithète du nom « rêverie ». Le pronom relatif remplace le nom « rêverie » et occupe la fonction de complément du nom « impressions ».
Des questions pour l’entretien
Lors de l’entretien, vous devrez présenter une autre œuvre lue au cours de l’année. L’examinateur introduira l’échange et vous posera quelques questions. Celles ci-dessous sont des exemples.
1 Je vous remercie pour votre présentation du roman Le Portrait de Dorian Gray (1890), d’Oscar Wilde. Pouvez-vous expliquer en quoi ce roman appartient au genre fantastique ?
Le portrait change d’apparence à mesure que Dorian Gray sombre dans le vice : il porte, à la place de l’original, les marques de son amoralité.
2 Pourquoi le tableau joue-t-il le même rôle que la peau de chagrin dans le roman de Balzac ?
La peau de chagrin et le tableau trompent leur acquéreur en leur faisant croire que leur réserve d’énergie est inépuisable. Les deux objets sont à la fois des pièges et des révélateurs de leurs faiblesses intimes.
3 En quoi Dorian Gray est-il responsable de sa propre destruction ?
Jeune homme égoïste et vaniteux, c’est Dorian lui-même qui « tente le diable » en formulant le vœu que son portrait vieillisse et s’enlaidisse à sa place, afin de se livrer à toutes les débauches.
4 Quelle pourrait être la leçon morale du roman d’Oscar Wilde ?
Le roman suggère qu’on ne peut impunément laisser libre cours à ses désirs : l’hédonisme (la quête effrénée du plaisir) mène au mépris de l’autre et à la destruction de soi.