Balzac, La Peau de chagrin
oral
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Sujet d’oral • Explication & entretien
Balzac, La Peau de chagrin, le retour de Raphaël à Paris
1. Lisez le texte à voix haute.
Puis proposez-en une explication linéaire.
document
Après s’être en vain retiré en province pour préserver ce qui lui reste d’énergie vitale, Raphaël de Valentin décide de rentrer à Paris.
Tantôt l’Allier déroulait sur une riche perspective son ruban liquide et brillant, puis des hameaux modestement cachés au fond d’une gorge de rochers jaunâtres montraient la pointe de leurs clochers ; tantôt les moulins d’un petit vallon se découvraient soudain après des vignobles monotones, et toujours apparaissaient de riants châteaux, des villages suspendus, ou quelques routes bordées de peupliers majestueux ; enfin la Loire et ses longues nappes diamantées reluisirent au milieu de ses sables dorés. Séductions sans fin ! La nature agitée, vivace comme un enfant, contenant à peine l’amour et la sève du mois de juin, attirait fatalement les regards éteints du malade. Il leva les persiennes de sa voiture1, et se remit à dormir. Vers le soir, après avoir passé Cosne, il fut réveillé par une joyeuse musique et se trouva devant une fête de village. La poste2 était située près de la place. Pendant le temps que les postillons mirent à relayer sa voiture, il vit les danses de cette population joyeuse, les filles parées de fleurs, jolies, agaçantes, les jeunes gens animés, puis les trognes des vieux paysans gaillardement rougies par le vin. Les petits enfants se rigolaient, les vieilles femmes parlaient en riant, tout avait une voix, et le plaisir enjolivait même les habits et les tables dressées. La place et l’église offraient une physionomie de bonheur ; les toits, les fenêtres, les portes mêmes du village semblaient s’être endimanchés aussi. Semblable aux moribonds3 impatients du moindre bruit, Raphaël ne put réprimer une sinistre interjection, ni le désir d’imposer silence à ces violons, d’anéantir ce mouvement, d’assourdir ces clameurs, de dissiper cette fête insolente. Il monta tout chagrin dans sa voiture. Quand il regarda sur la place, il vit la joie effarouchée, les paysannes en fuite et les bancs déserts. Sur l’échafaud de l’orchestre, un ménétrier4 aveugle continuait à jouer sur sa clarinette une ronde criarde. Cette musique sans danseurs, ce vieillard solitaire au profil grimaud5, en haillons, les cheveux épars, et caché dans l’ombre d’un tilleul, était comme une image fantastique du souhait de Raphaël. Il tombait à torrents une de ces fortes pluies que les nuages électriques du mois de juin versent brusquement et qui finissent de même.
Honoré de Balzac, La Peau de chagrin, « L’agonie », 1831.
1. Ici, véhicule tiré par des chevaux et conduit par un postillon.
2. Poste : le relais de poste sert à remplacer les chevaux fatigués.
3. Moribond : qui est près de mourir.
4. Ménétrier : musicien jouant lors des fêtes populaires.
5. Grimaud : triste, maussade.
2. question de grammaire.
Analysez l’expression de la négation dans la phrase suivante : « Semblable aux moribonds impatients du moindre bruit, Raphaël ne put réprimer une sinistre interjection, ni le désir d’imposer silence à ces violons, d’anéantir ce mouvement, d’assourdir ces clameurs, de dissiper cette fête insolente. » (l. 22-25).
Conseils
1. Le texte
Faire une lecture expressive
Dans cet extrait, la beauté des paysages et la fête contrastent avec l’accablement de Raphaël. Votre lecture doit en rendre compte.
Dans la description de la fête, accélérez le rythme de la lecture lors des énumérations et renforcez ainsi le sentiment de vivacité.
Situer le texte, en dégager l’enjeu
Montrez comment les paysages et la fête de village sont des pièges pour Raphaël, dans la lutte qu’il mène pour épargner ses dernières forces vitales.
En quoi cet épisode montre-t-il la déchéance morale du jeune homme ?
2. La question de grammaire
Demandez-vous de quelle phrase positive cette phrase est la négation. Déduisez-en la portée de la négation : est-elle totale ou partielle ?
Le lexique peut aussi servir à exprimer une négation : cherchez un adjectif avec un préfixe de sens négatif.
1. L’explication de texte
Introduction
[Présenter le contexte] Dans La Peau de chagrin, Balzac mène une réflexion morale et philosophique sur la volonté : chaque homme possède une réserve d’énergie qu’il doit veiller à ne pas dilapider. [Situer le texte] L’extrait se situe dans la troisième partie du roman, à quelques pages du dénouement. Épuisé par la dépense effrénée de son énergie vitale, Raphaël de Valentin s’est retiré en province pour ne plus succomber aux plaisirs de la vie parisienne. Mais cette tentative est un échec qui réduit encore la taille de la peau de chagrin et, à bout de forces, il décide de revenir à Paris. [En dégager l’enjeu] À travers deux descriptions (un paysage et une fête de village), Balzac brosse un portrait terrifiant de son héros : proche de la mort, désespéré, Raphaël a perdu toute joie et tout sens moral.
Explication au fil du texte
Le renoncement aux joies d’une nature idyllique (l. 1-11)
Le passage commence par une longue phrase où la nature se déploie dans une description en mouvement, à mesure qu’avance la voiture de Raphaël. Les adverbes de temps (« tantôt », « enfin ») illustrent la variété et le caractère toujours changeant des paysages entrevus.
Les nombreux adjectifs mélioratifs suggèrent l’émerveillement que pourrait susciter un tel paysage. La gradation fait passer du « ruban liquide et brillant » de l’Allier aux « longues nappes diamantées » de la Loire : la description s’enrichit ici d’une comparaison poétique, qui évoque à la fois l’éblouissement et le charme hypnotique du fleuve.
La nature est typique de la poésie romantique qui a tant influencé Balzac : c’est une « riche perspective », ouverte sur l’infini (comme dans un tableau, chaque plan semble s’ouvrir pour révéler de nouveaux éléments, comme le montre l’énumération des sujets pluriels aux lignes 2 à 8) et propice à l’élévation spirituelle suggérée par le lexique abondant de la hauteur.
Pourtant, à partir de la ligne 8, deux termes liés au thème du danger (« Séductions » et « fatalement ») créent une rupture dans cette description enchantée, en rappelant la menace de la peau de chagrin. On observe une nette antithèse entre la vivacité de la nature et « les regards éteints » de Raphaël.
mot clé
Une antithèse est une figure de style permettant d’opposer deux éléments ou deux idées.
Pour éviter tout spectacle qui pourrait l’obliger à formuler un nouveau souhait, le jeune homme préfère s’isoler. La phrase de la ligne 11, plus courte, marque avec brutalité le renoncement aux charmes de la nature.
La promesse d’une fête enjouée (l. 12-21)
Les deux compléments de temps initiaux (l. 12) suggèrent une ellipse. Désormais, le cadre change : après des paysages solitaires, Raphaël découvre une scène de village animée.
La passivité du personnage se devine : la forme passive « fut réveillé » et le verbe pronominal « se trouva » montrent à quel point Raphaël est désormais réduit au rôle de spectateur, et surtout incapable de contrôler les événements de son existence.
La description de la fête se caractérise par le lexique de la vivacité (« les danses de cette population joyeuse », « animés », « gaillardement »). La joie est partout, ainsi que le montrent les nombreuses énumérations, parfois marquées par une gradation (notons les trois sujets des lignes 17 et 18 : « les petits enfants… les vieilles femmes… tout ») ou par une personnification (les lieux sont « une physionomie de bonheur » et les maisons sont endimanchées).
Ce moment de réjouissance innocente apparaît alors comme un nouveau piège pour Raphaël : au milieu de la description, les jeunes filles « agaçantes » (qui attirent l’attention et suscitent un désir incontrôlable) jettent une ombre sur cette fête qui devient un véritable lieu de tentations.
La jalousie de Raphaël (l. 22-33)
De « malade » (l. 11), Raphaël devient un véritable « moribond » (l. 22). La suite de la phrase explique cette aggravation de son état : jaloux de la joie qu’éprouvent les villageois, le jeune homme a formulé malgré lui un nouveau souhait qui amenuise un peu plus sa force vitale.
Raphaël renonce en effet à son rôle de simple témoin : la phrase abonde en verbes d’action et en émotions (« impatients », « une sinistre interjection », « le désir d’imposer silence »). La longue énumération des groupes infinitifs montre à la fois son exaspération et son inconscience : il ne se rend pas compte du mal qu’il se fait en voulant ruiner la fête.
mot clé
Une interjection est un mot invariable servant à exprimer une émotion ou un sentiment.
Ligne 26, l’expression « il vit », qui introduisait l’évocation de la fête à la ligne 15 est répétée. Mais un jeu d’antithèses oppose ces deux descriptions : joie/tristesse, couleurs/ombre, animation/solitude, rires/bruits discordants. Et la description est ici plus courte, pour suggérer à la fois l’accélération du temps et l’efficacité redoutable du désir de Raphaël.
Le narrateur n’évoque pas la réaction de Raphaël, qui devrait pourtant se réjouir du désastre : sa dégradation est telle qu’il n’est plus capable que de passions mauvaises comme la jalousie. Son existence est désormais aveugle et sans harmonie, comme le ménétrier et sa musique.
En utilisant un présent de vérité générale, la dernière phrase de l’extrait donne une explication rationnelle à la pluie qui s’abat sur la fête, comme si Raphaël voulait se rassurer de n’avoir pas fait rétrécir sa peau de chagrin, ou (pire !) comme s’il voulait s’innocenter d’un malheur dont il est pourtant responsable. Balzac montre la monstruosité d’un homme privé de tout sens moral.
Conclusion
[Faire le bilan de l’explication] À travers deux descriptions variées, cet extrait illustre la dégradation physique et morale de Raphaël : incapable de profiter des plaisirs que pourraient lui procurer la nature et les hommes, il se replie sur lui-même et sombre dans l’aigreur et la cruauté.
[Mettre le texte en perspective] L’évolution de Raphaël fait penser au roman de Wilde, Le Portrait de Dorian Gray (1890), dans lequel le héros, au visage éternellement jeune, laisse libre cours à ses désirs et sombre dans une déchéance morale inexorable.
2. La question de grammaire
« Semblable aux moribonds impatients du moindre bruit, Raphaël ne put réprimer une sinistre interjection, ni le désir d’imposer silence à ces violons, d’anéantir ce mouvement, d’assourdir ces clameurs, de dissiper cette fête insolente. » (l. 22-25).
La négation apparaît dans le lexique : le préfixe im-, de sens négatif, permet de former le contraire de l’adjectif patients.
La négation est aussi exprimée par la syntaxe :
avec l’adverbe « ne » (l’adverbe pas est ici occulté, ce qui est souvent caractéristique d’un registre de langue soutenu) : la négation est totale, car elle porte sur l’ensemble de la phrase ;
avec la conjonction de coordination « ni » : celle-ci remplace la conjonction et, et sert à coordonner « le désir » au GN « une sinistre interjection ».
Des questions pour l’entretien
Lors de l’entretien, vous devrez présenter une autre œuvre lue au cours de l’année. L’examinateur introduira l’échange et vous posera quelques questions. Celles ci-dessous sont des exemples.
1 Je vous remercie pour votre présentation du roman La Peste (1947) d’Albert Camus. Pourquoi cette œuvre a-t-elle sa place dans un parcours sur les romans de l’énergie ?
Ce roman montre comment les personnages tentent, à des degrés divers, d’utiliser toute leur volonté face au fléau et se refusent à la résignation.
2 Quelle réflexion morale ce roman développe-t-il ?
Camus montre comment l’adversité révèle le sens moral des individus : tandis que certains luttent pour le bienfait de l’humanité, d’autres ne songent qu’à leur intérêt propre.
3 En quoi ce roman possède-t-il également une dimension politique ?
Écrit pendant la Seconde Guerre mondiale, durant laquelle l’Occupation a divisé le peuple français, le roman fait l’apologie de la fraternité, comme celle qui réunit Rieux et Tarrou – une fraternité solidaire et engagée au service de l’humanité.
4 Comment l’évolution du journaliste Rambert se caractérise-t-elle ?
D’abord égoïstement préoccupé de quitter Oran pour rejoindre la femme qu’il aime, il décide finalement de rester pour participer énergiquement à la lutte contre la peste. Il a compris la nécessité d’un engagement collectif contre toutes les formes d’oppression, seul capable de donner grandeur et dignité à l’être humain.