ORAL
Balzac, Mémoires de deux jeunes mariées
36
fra1_2200_00_07C
Sujet d’oral • Explication & entretien
Balzac, Mémoires de deux jeunes mariées, lettre X (extrait)
1. Lisez le texte à voix haute.
Puis proposez-en une explication linéaire.
Document
Alors que, fraîchement sortie du couvent, Louise de Chaulieu n’envisage pas que l’on puisse se marier sans passion, son amie, Renée de Maucombe, accepte d’épouser Louis de l’Estorade, choisi par sa famille. Louise réagit ici vivement à la nouvelle.
Mademoiselle de Chaulieu à Madame de l’Estorade
Ô Renée ! tu m’as attristée pour plusieurs jours. Ainsi, ce corps délicieux, ce beau et fier visage, ces manières naturellement élégantes, cette âme pleine de dons précieux, ces yeux où l’âme se désaltère comme à une vive source d’amour, ce cœur rempli de délicatesses exquises, cet esprit étendu, toutes ces facultés si rares, ces efforts de la nature et de notre mutuelle éducation, ces trésors d’où devaient sortir pour la passion et pour le désir des richesses uniques, des poèmes, des heures qui auraient valu des années, des plaisirs à rendre un homme esclave d’un seul mouvement gracieux, tout cela va se perdre dans les ennuis d’un mariage vulgaire et commun, s’effacer dans le vide d’une vie qui te deviendra fastidieuse1 ! Je hais d’avance les enfants que tu auras ; ils seront mal faits. Tout est prévu dans ta vie : tu n’as ni à espérer, ni à craindre, ni à souffrir. Et si tu rencontres, dans un jour de splendeur, un être qui te réveille du sommeil auquel tu vas te livrer ?… Ah ! j’ai eu froid dans le dos à cette pensée. Enfin, tu as une amie. Tu vas sans doute être l’esprit de cette vallée, tu t’initieras à ses beautés, tu vivras avec cette nature, tu te pénétreras2 de la grandeur des choses, de la lenteur avec laquelle procède la végétation, de la rapidité avec laquelle s’élance la pensée ; et quand tu regarderas tes riantes fleurs, tu feras des retours sur toi-même. Puis, lorsque tu marcheras entre ton mari en avant et tes enfants en arrière glapissant, murmurant, jouant, l’autre muet et satisfait, je sais d’avance ce que tu m’écriras. Ta vallée fumeuse et ses collines ou arides ou garnies de beaux arbres, ta prairie si curieuse en Provence, ses eaux claires partagées en filets, les différentes teintes de la lumière, tout cet infini, varié par Dieu et qui t’entoure, te rappellera le monotone infini de ton cœur. Mais enfin, je serai là, ma Renée, et tu trouveras une amie dont le cœur ne sera jamais atteint par la moindre petitesse sociale, un cœur tout à toi.
Honoré de Balzac, Mémoires de deux jeunes mariées, lettre X, 1841.
1. Fastidieuse : ennuyeuse.
2. Tu te pénétreras : tu t’imprégneras
.
2. question de grammaire.
Analysez la phrase suivante : « Et si tu rencontres, dans un jour de splendeur, un être qui te réveille du sommeil auquel tu vas te livrer ?… » (l. 13-15)
Conseils
1. Le texte
Faire une lecture expressive
Marquez le dépit de Louise – parfois au bord du dégoût – devant le sort de son amie, en mettant en valeur l’exaltation qui la caractérise.
Respectez la construction et le rythme des longues phrases en détachant bien les groupes syntaxiques.
Situer le texte, en dégager l’enjeu
Unique roman épistolaire de Balzac, les Mémoires de deux jeunes mariées font entendre les voix singulières de Louise et de Renée, deux jeunes femmes sans dot, sacrifiées par leur famille, et qui empruntent, dans leur quête du bonheur, des voies différentes.
Montrez comment cette lettre, consécutive à l’annonce par Renée de son mariage avec le comte de l’Estorade, révèle la conception qu’a Louise d’une existence réussie.
2. La question de grammaire
Relevez les verbes conjugués.
Identifiez la subordonnée conjonctive circonstancielle et notez qu’elle inclut deux subordonnées relatives enchâssées.
La proposition principale figure-t-elle ? Pourquoi ?
1. l’explication de texte
Introduction
[Présenter le contexte] Sorties du couvent où elles ont à loisir rêver de leur vie future, Louise et Renée, deux amies intimes, entament une correspondance qui leur permet de vivre par procuration la vie de l’autre.
[Situer le texte] Très vite, elles empruntent des chemins de vie différents : Renée se plie au choix de sa famille et annonce son mariage de raison à Louise qui, de son côté, fait son entrée dans le monde, avide de « quelque belle passion ».
[En dégager l’enjeu] Louise réagit vivement et condamne fermement la décision de son amie, dévoilant ainsi avec force son tempérament ardent et sa vision de l’existence.
Explication au fil du texte
Le sentiment d’une vie gâchée (l. 1 à 15)
La lettre s’ouvre sur un cri du cœur, porté par l’interjection lyrique « Ô » et l’exclamative : Louise réagit vivement, convoquant des termes forts pour dire son affliction (« tu m’as attristée pour plusieurs jours »).
S’ensuit une longue phrase énumérative qui justifie le dépit de Louise. Celle-ci brosse un portrait physique (« corps délicieux », « beau et fier visage ») et moral élogieux (« âme pleine de dons précieux », « cœur rempli de délicatesses exquises ») de son amie : cette longue description flatteuse suggère combien Renée, forte de ses nombreuses qualités, semblait promise à une existence privilégiée, digne de sa beauté et de son éducation.
Cet éloge est l’occasion pour Louise de défendre sa propre vision de l’existence. La jeune femme a une âme exaltée et affiche ses priorités : « la passion » et « le désir ». L’énumération reflète sa conception romanesque de l’amour : « des richesses uniques, des poèmes, des heures qui auraient valu des années ». L’antithèse (« heures »/« années ») souligne sa quête d’une vie intense résolument consacrée à l’amour.
Cependant, si Louise célèbre les nombreuses qualités de Renée, c’est pour mieux rendre visible la déchéance brutale de son amie provoquée par un mariage indigne et sans amour, qualifié de « vulgaire » et de « commun ». La chute de la phrase exclamative, amorcée par le pronom globalisant « tout cela » (l. 9), et le champ lexical de la perte (« perdre », « ennuis », « s’effacer », « vide ») expriment une condamnation sans appel de ce choix de vie prosaïque et décevant.
Les verbes au futur (« deviendra », « auras », « seront ») prophétisent une vie manquée et insatisfaisante. Désespérée par le choix de son amie, Louise s’exprime avec violence et cruauté : « Je hais d’avance les enfants que tu auras ; ils seront mal faits » – car conçus sans véritable amour. Louise ne semble plus contrôler son dépit et clame son effroi : « Tout est prévu dans ta vie ». L’absence d’émotion exprimée par la négation répétée (« tu n’as ni à espérer, ni à craindre, ni à souffrir ») fera cruellement défaut à l’existence de Renée.
à noter
Contrairement à son amie Renée, Louise, ardente et révoltée, entend vivre sa vie comme un poème et privilégie les émotions fortes qui entraîneront la mort de son premier époux, puis la sienne.
Renée s’expose à d’amères déconvenues : Louise envisage, dans une phrase interrogative interrompue (l. 13-15), une rencontre future qui éveillerait son amie à l’amour véritable et provoquerait une rupture. La métaphore du « sommeil », signe d’une vie manquée, se heurte « au jour de splendeur », marque d’une véritable renaissance. Seul ce grand amour, aux yeux de Louise qui a soif d’idéal, ouvrirait la voie d’une existence digne d’être vécue.
L’affirmation du soutien d’une « amie » (l. 15-29)
Face au désastre programmé de ce mariage, Louise brandit son amitié indéfectible comme une consolation : « tu as une amie », « je serai là », « un cœur tout à toi ». L’amie dévouée suppléera à un époux décevant.
Convaincue du caractère prévisible de l’existence de Renée, Louise multiplie les futurs prophétiques : « tu vas sans doute », « tu t’initieras »… À défaut de connaître la passion, Renée sera sensible à son environnement (« ses beautés », « grandeur des choses », « riantes fleurs »). Mais la contemplation du spectacle de la nature, sublime, renverra Renée à son existence ratée, dans une introspection douloureuse : « tu feras des retours sur toi-même ».
L’adverbe temporel « Puis » poursuit la projection dans un avenir à plus long terme, marqué par la maternité, but du mariage aristocratique à l’époque de Balzac. La construction de la phrase (« entre ton mari en avant et tes enfants en arrière ») souligne la solitude de Renée, perdue dans un entourage médiocre. Le mépris pour le mari décevant s’affiche dans les adjectifs qualificatifs employés : « muet et satisfait » – attitude qui contraste avec l’agitation des enfants (« glapissant, murmurant, jouant »).
à noter
Par la maternité, Renée accèdera au bonheur, comme un dédommagement à l’amour qui lui a été refusé. Louise finira par envier son amie : « Une femme sans enfants est une monstruosité », écrira-t-elle.
Renée ne trouvera pas sa place dans cette nouvelle vie. La description romantique de l’« infini » de la nature (« vallée fumeuse », « collines ou arides ou garnies », « différentes teintes de la lumière ») répond par contraste au « monotone infini » de son âme, vide de toute passion exaltante et de toute richesse.
Louise achève sa lettre par une dernière proclamation d’amitié mise en valeur par la reprise de l’adverbe « enfin » (l. 15 et 27). Elle réitère sa promesse de soutien et d’écoute pour Renée (« je serai là »), en se présentant comme une âme élevée, fidèle et absolue (« un cœur tout à toi »).
Conclusion
[Faire le bilan de l’explication] Ainsi, cette lettre décrit Renée, prise au piège de sa nouvelle existence de femme mariée, mais révèle aussi Louise qui exprime en des termes enflammés ses attentes de la vie. C’est bien à l’aune de sa propre personnalité et de ses rêves qu’elle juge le sort de son amie – avec des mots parfois très durs qui ne manqueront pas de peiner vivement Renée. [Mettre le texte en perspective] Pourtant, les souffrances annoncées par Louise seront invalidées en partie dans la suite de leur correspondance : Renée parviendra à s’épanouir dans la maternité, tandis que Louise se consumera dans la passion dévastatrice.
2. la question de grammaire
« Et [si tu rencontres, dans un jour de splendeur, un être [qui te réveille du sommeil [auquel tu vas te livrer] ] ] ? »
Cette phrase interrogative est une phrase complexe dont la proposition principale est sous-entendue. On peut cependant facilement la déduire : « que feras-tu, comment le vivras-tu ? ».
On y relève, après la conjonction de coordination « Et », une subordonnée conjonctive circonstancielle de condition, introduite par la conjonction de coordination « si ». Son verbe au présent exprime le potentiel.
À l’intérieur de cette proposition se trouvent deux subordonnées relatives enchâssées :
la première est introduite par le pronom relatif « qui » ;
la seconde est introduite par le pronom relatif « auquel ».
Louise exprime ainsi ses craintes face aux éventuels remords de son amie, enlisée dans une vie morne qui risque de lui causer bien des souffrances.
Des questions pour l’entretien
Lors de l’entretien, vous devrez présenter une autre œuvre lue au cours de l’année. L’examinateur introduira l’échange et vous posera quelques questions. Celles ci-dessous sont des exemples.
1 Je vous remercie pour votre présentation du roman Manon Lescaut (1753), de l’abbé Prévost. Pourquoi peut-on dire que le chevalier des Grieux tombe dans « le précipice des passions » ?
À dix-sept ans, Des Grieux, fils de bonne famille, s’éprend de Manon, une jeune fille pauvre qui a soif de passe-temps et de luxe. Elle pousse son amant à rompre avec sa vie aristocratique et l’entraîne dans une vie romanesque, faite de fuites, d’emprisonnements, de vols et de meurtres.
2 Dans cette œuvre, divers personnages incarnent la voix de la raison. Lesquels ? Quels rôles exacts jouent-ils auprès de Des Grieux ?
Deux personnages tentent de raisonner le chevalier et de le ramener à sa vie sage et réglée, conforme aux valeurs de son milieu d’origine : son père, soucieux de l’honneur familial et des codes de la société, et Tiberge, l’ami fidèle qui incarne la vertu et la raison.
3 Le roman vous paraît-il constituer une condamnation de la passion ?
Dans son « Avis de l’auteur », Prévost annonce écrire un « exemple terrible de la force des passions ». Malgré la fin funeste de Manon et la déchéance de Des Grieux, le roman semble aussi glorifier la passion qui bouscule les codes étroits de la société de l’époque. Prévost interroge également le lecteur sur les chemins qui mènent au bonheur individuel.