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Barjavel, La Nuit des temps

Sujet d'écrit • Commentaire

Barjavel, La Nuit des temps

4 heures

20 points

Intérêt du sujetDans une société imaginaire où règne la science et où les hommes ont développé des technologies capables de provoquer l'apocalypse, un savant choisit de sauver l'humanité de la destruction totale.

Commentez ce texte de René Barjavel, extrait de La Nuit des temps, en vous aidant du parcours de lecture ci-dessous.

Analysez la réécriture moderne de l'épisode biblique de l'arche de Noé.

Étudiez comment cet univers de fiction est gouverné par la science.

DOCUMENT

Sous les glaces de l'Antarctique, des chercheurs découvrent une sphère contenant un homme et une femme endormis depuis 900 000 ans. Eléa, la femme, réveillée la première, raconte son histoire : son monde en guerre a dû faire face à un cataclysme nucléaire dévastateur qui l'a séparée de Païkan, l'homme qu'elle aime. Dans l'extrait suivant, on découvre comment Coban, le plus grand savant de son continent, lui explique qu'elle a été choisie pour faire renaître l'humanité.

« J'ai fait un abri qui résistera à tout. Je l'ai garni de semences de toutes sortes de plantes, d'ovules fécondés de toutes sortes d'animaux et d'incubateurs pour les développer, de dix mille bobines de connaissances, de machines silencieuses, d'outils, de meubles, de tous les échantillons de notre civilisation, de tout ce qu'il faut pour en faire renaître une semblable. Et au centre, je placerai un homme et une femme. L'ordinateur a choisi cinq femmes, pour leur équilibre psychique et physique, pour leur santé et leur parfaite beauté. Elles ont reçu les numéros de 1 à 5 par ordre de perfection. La no 1 est morte avant-hier dans un accident. La no 4, en voyage en Enisoraï1, ne peut pas en revenir. La no 5 habite Gonda 622. Je l'ai envoyée chercher aussi. Je crains qu'elle ne soit pas ici à temps. La no 2, c'est vous, Lona, la no 3, c'est vous, Eléa.

Il se tut une seconde, eut une sorte de sourire fatigué, se retourna vers Lona, et reprit :

– Naturellement, il n'y aura qu'une femme dans l'Abri. Ce sera vous, Lona. Vous vivrez…

Lona se leva, mais avant qu'elle ait eu le temps de parler, une voix la devança :

– Écoutez, Coban, voici les tests de Lona no 2. Toutes les qualités demandées présentes au maximum, mais métabolisme en évolution et hormono-équilibre en voie de renversement. Lona no 2 est enceinte de deux semaines.

– Vous le saviez ? demanda Coban.

– Non, dit Lona, mais je l'espérais. Nous avions ôté nos clefs3 la troisième nuit du printemps.

– Je regrette pour vous, dit Coban en écartant les mains. Cela vous élimine. L'homme et la femme placés dans l'Abri seront mis en hibernation dans le froid absolu. Il est possible que votre grossesse nuise à la réussite de l'opération. Je ne peux pas prendre ce risque. […]

Il se tourna vers Eléa.

– Ce sera donc vous, dit-il.

Eléa se sentit devenir comme un bloc de pierre. Puis sa circulation se rétablit avec violence, et son visage rougit. Elle se contraignit à rester calme et à s'asseoir. Elle entendit de nouveau Coban :

– L'ordinateur vous a définie ainsi : équilibrée, rapide, obstinée, offensive, efficace.

Elle se sentit de nouveau capable de parler. Elle attaqua :

– Pourquoi n'avez-vous pas laissé entrer Païkan ? Je n'irai pas sans lui dans votre Abri.

– L'ordinateur a choisi les femmes pour leur beauté et leur santé, et bien entendu aussi pour leur intelligence. Il a choisi les hommes pour leur santé et leur intelligence, mais avant tout pour leurs connaissances. Il faut que l'homme qui ressortira de l'Abri dans quelques années, peut-être même dans un siècle ou deux, soit capable de comprendre tout ce qui est imprimé sur les bobines, et même, si possible, en savoir plus qu'elles. Son rôle ne sera pas seulement de faire des enfants. L'homme qui a été choisi doit être capable de faire renaître le monde. Païkan est intelligent, mais ses connaissances sont limitées. Il ne saurait même pas interpréter l'équation de Zoran4.

– Alors, qui est l'homme ?

– L'ordinateur en a choisi cinq, comme pour les femmes.

– Qui est le no 1 ?

– C'est moi, dit Coban.

René Barjavel, La Nuit des temps, 1968.

1. Enisoraï : continent ennemi de Gondawa, le continent d'Eléa.

2. Gonda 62 : l'une des villes souterraines de Gondawa, éloignée de l'Abri construit par Coban.

3. Dans le monde d'Eléa, les « clefs » servent, entre autres, de moyen de contraception.

4. Équation de Zoran : équation découverte par la civilisation de Coban qui permet de générer de la matière à partir de rien.

Les clés du sujet

Définir le texte

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Construire le plan

La problématique est la suivante : comment, dans cette arche de Noé moderne, la science incarne-t-elle une nouvelle forme de fatalité ?

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Corrigé Guidé

Les titres en couleur ou entre crochets ne doivent pas figurer sur la copie.

Introduction

[Présentation du contexte] La littérature des années 1960 est marquée à la fois par le traumatisme de la Seconde Guerre mondiale et par la crainte d'un conflit nucléaire.

[Présentation du texte] En 1968, dans son roman La Nuit des temps, René Barjavel imagine la découverte d'un couple endormi depuis 900 000 ans sous les glaces de l'Antarctique dans un abri. Dans l'extrait que nous étudions, le lecteur découvre comment, à l'approche d'un cataclysme nucléaire, la femme, Eléa, a été choisie par le grand scientifique Coban pour faire renaître l'humanité.

[Problématique et annonce du plan] Nous verrons donc comment, dans cette arche de Noé moderne, la science incarne une nouvelle forme de fatalité, en étudiant d'abord la réécriture moderne d'un épisode biblique [I], puis en analysant comment la science gouverne tout cet univers de fiction [II].

I. Une arche de Noé moderne

Le secret de fabrication

Il s'agit de repérer dans le texte les éléments communs avec le mythe de l'arche de Noé, et de voir quelles transformations ont été faites par rapport à ce modèle. Il faut donc analyser non seulement le contenu du discours de Coban, mais aussi sa forme prophétique.

1. Un discours prophétique

mot clé

Un démiurge est le créateur d'un monde.

Le discours de Coban s'apparente à celui d'un dieu ou d'un prophète. Tout d'abord, il se place en position de démiurge en décrivant son abri : « j'ai fait un abri qui résistera à tout », « je l'ai garni ». L'emploi du passé composé marque l'accomplissement de cette création. La première personne envahit tout son discours, soulignant sa puissance sur les événements.

Coban emploie le futur pour dicter la démarche à suivre pour sauver sa civilisation : « et au centre je placerai un homme et une femme », « ce sera vous ». Sa volonté prend des allures de prophétie.

2. Sauver le monde de la destruction totale

mot clé

Une réécriture est un texte qui fait référence à un texte antérieur : l'auteur s'en inspire pour écrire un texte nouveau.

Face à la perspective d'un cataclysme nucléaire, Coban a placé dans son abri de quoi faire renaître les espèces vivantes. On le voit dans la deuxième et la troisième phrase du texte. Le texte se présente donc comme une réécriture de l'arche de Noé, épisode biblique de la Genèse où Noé est chargé de sauver du déluge l'humanité et le règne animal.

Dans cette réécriture moderne, la science intervient dans la sauvegarde du vivant, comme en témoigne le lexique. Coban ne sélectionne pas des couples d'animaux mais des « ovules fécondés », des « incubateurs pour les développer » et des « semences » de plantes. Pour leur faire traverser les siècles jusqu'à ce que la terre soit de nouveau habitable, il utilise une technologie avancée : le « froid absolu ».

des points en +

Dans la Bible, l'arche doit sauver du déluge Noé, sa femme, ses trois fils et leurs épouses, ainsi qu'un couple de chaque espèce animale.

Contrairement à Noé, qui entre dans l'arche avec toute sa famille, Coban ne prévoit qu'un couple humain. Cet écart par rapport au texte source a un effet dramatique : cela rend la destinée de l'homme et de la femme plus spectaculaire.

3. Faire renaître la civilisation

Dans la Bible, Noé ne doit préserver que les êtres vivants, hommes et animaux. Coban a une ambition plus vaste : il veut faire renaître toute la civilisation. Il place donc aussi dans l'Abri des objets qui feront renaître la culture des hommes : « dix mille bobines de connaissances, de machines silencieuses, d'outils, de meubles, de tous les échantillons de notre civilisation ». Cette énumération, associée à l'emploi du pluriel, souligne l'ampleur de l'ambition de Coban.

Coban précise dans sa dernière longue réplique ce qui a motivé le choix de l'homme : l'étendue de ses connaissances scientifiques, soulignée par le pronom « tout » et le comparatif de supériorité « en savoir plus qu'elles ».

[Transition] Le texte nous propose donc bien la réécriture moderne d'un épisode biblique. Cependant, dans l'univers de Coban et d'Eléa, la science se substitue au divin.

II. Un monde gouverné par la science

Le secret de fabrication

Cette partie s'attache à montrer la toute-puissance de la science dans l'univers de fiction imaginé par Barjavel, et notamment son emprise sur les hommes : il faut donc analyser la confrontation entre l'humain et la machine, et voir comment l'ordinateur, en déterminant le destin d'Eléa, incarne une nouvelle forme de fatalité tragique.

1. L'homme face à la machine

Comme un dieu, l'ordinateur est omniscient : en analysant l'activité hormonale de Lona, il sait qu'elle est enceinte avant qu'elle l'ait elle-même découvert. De même, il définit le caractère de chaque être en cinq qualités. Celles d'Eléa sont les suivantes : « équilibrée, rapide, obstinée, offensive, efficace ». Cette énumération se révèle particulièrement juste au regard des réactions du personnage : « équilibrée », elle parvient à garder son calme malgré ses émotions ; « offensive » et « obstinée », elle oppose un refus catégorique à Coban, comme le soulignent le verbe introducteur « attaqua » et le futur « je n'irai pas ».

Il se crée ainsi dans le texte un contraste entre la froideur des informations données par la machine et la force des émotions d'Eléa, que l'on observe dans la comparaison « comme un bloc de pierre », et dans la mention du visage qui « rougit ».

2. Des choix scientifiques mais inhumains

Les femmes sont choisies pour « leur beauté, leur santé » et « leur intelligence ». Lona, qui précède Eléa dans la sélection, en est écartée parce qu'elle est enceinte. L'ordinateur les condamne donc, elle et son enfant, à périr dans le cataclysme. Eléa est choisie malgré son amour pour Païkan. L'ordinateur sépare donc deux amants. Le refus d'Eléa oppose ainsi les sentiments humains à une logique scientifique de conservation de l'espèce.

Les hommes sont choisis « pour leur santé et leur intelligence, mais avant tout pour leurs connaissances », précise Coban. Païkan ne remplit que deux critères sur trois. La fin du texte, qui révèle dans une sorte de coup de théâtre que Coban est l'élu, est riche d'implicite : Eléa va devoir « faire des enfants » avec un homme qu'elle n'aime pas et qui l'arrache à son amant. À aucun moment ne se pose la question du consentement.

3. Une nouvelle forme de fatalité

conseil

Vous pouvez ici réinvestir les connaissances que vous avez acquises lorsque vous avez étudié le tragique au théâtre en seconde.

Alors qu'elle n'est pas le premier choix de l'ordinateur, une fatalité tragique s'abat sur Eléa, écartant les autres élues : trois femmes sont absentes (l'une est morte, les deux autres sont loin), et Lona est enceinte. « Ce sera donc vous », déclare Coban à Eléa : la conjonction « donc », exprimant la conséquence, met en évidence la succession fatale d'événements qui mène au choix d'Eléa.

Mais dans cette nouvelle forme de tragique, ce n'est pas tant le destin que la science qui détermine l'avenir d'Eléa : ce sont les choix coordonnés de l'ordinateur et du savant qui dirigent la sélection. La répétition du verbe « choisir », qui apparaît cinq fois dans le discours de Coban, est révélatrice : à la voix active, le sujet est « l'ordinateur », tandis qu'à la voix passive, le sujet est « l'homme ». Et c'est Coban qui, avec l'information donnée par l'ordinateur, décide d'« élimin[er] » Lona.

Conclusion

[Synthèse] Le texte nous propose donc bien une réécriture moderne de l'épisode biblique de l'arche de Noé, où la science se substitue à Dieu, et le savant au patriarche. Eléa subit ainsi une nouvelle forme de fatalité, qui allie les aléas du destin humain avec la volonté du scientifique.

[Ouverture] Dans cette nouvelle apocalypse, ce n'est pas la divinité, mais la technologie avancée des hommes qui engendre la destruction de tout un monde. Barjavel nous fait ainsi réfléchir aux dérives de la science quand elle sert non pas le progrès, mais les luttes de pouvoir entre les États.

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