fra1_1900_00_25C
Sujet d'oral • Explication & entretien
Baudelaire, Les Fleurs du mal, « L'Ennemi »
► 1. Lisez le poème à voix haute.
Puis expliquez-le.
DOCUMENT
Ma jeunesse ne fut qu'un ténébreux orage,
Traversé çà et là par de brillants soleils ;
Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage,
Qu'il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils.
Voilà que j'ai touché l'automne des idées,
Et qu'il faut employer la pelle et les râteaux
Pour rassembler à neuf les terres inondées,
Où l'eau creuse des trous grands comme des tombeaux.
Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêve
Trouveront dans ce sol lavé comme une grève
Le mystique aliment qui ferait leur vigueur ?
– Ô douleur ! ô douleur ! Le Temps mange la vie,
Et l'obscur Ennemi qui nous ronge le cœur
Du sang que nous perdons croît et se fortifie !
Baudelaire, Les Fleurs du mal, « L'Ennemi », 1857.
► 2. question de grammaire.
Analysez les temps verbaux employés dans ce sonnet.
CONSEILS
1. Le texte
Faire une lecture expressive
Veillez à prononcer les « e » muets qui se trouvent devant des consonnes (par exemple, celui de « jeunesse »), de manière à bien faire entendre les douze syllabes de chaque alexandrin.
Faites sentir la rupture de ton dans la dernière strophe.
Situer le texte, en dégager l'enjeu
Après avoir rappelé le contexte de parution des Fleurs du mal, indiquez dans quelle section du recueil se situe le poème.
Le poème a pour thème principal la fuite du temps : vous allez montrer comment Baudelaire donne à ce thème traditionnel une expression très personnelle.
Dès l'introduction, faites le lien avec le titre du poème : le temps qui passe est présenté comme l'Ennemi parce qu'il crée une angoisse destructrice et menace l'inspiration du poète.
2. La question de grammaire
Vous devez identifier au moins quatre temps : passé simple, passé composé, présent et futur.
Pourquoi Baudelaire a-t-il employé le passé simple plutôt que le passé composé dans le premier vers ?
Veillez à bien distinguer deux valeurs pour le présent.
PRÉSENTATION
1. L'explication de texte
Introduction
[Présenter le contexte] Le xixe siècle est marqué par un renouveau poétique, initié d'abord par la révolution romantique et poursuivi par les auteurs symbolistes, dont Baudelaire est une des figures centrales.
[Situer le texte] Ainsi, en 1857, la publication des Fleurs du mal marque l'histoire littéraire autant par le scandale que suscitent certains poèmes que par la modernité des thématiques présentées dans le recueil. Le titre annonce la tension entre le « spleen » et l'« idéal » qui structure l'œuvre. La fuite du temps et l'angoisse existentielle qui l'accompagne sont des motifs récurrents.
[En dégager l'enjeu] Dans le sonnet, le temps qui passe est présenté comme « l'Ennemi », car il crée une angoisse destructrice et menace l'inspiration du poète.
Explication au fil du texte
Premier quatrain
Dans le premier quatrain, Baudelaire introduit le thème de la fuite du temps en présentant sa jeunesse comme derrière lui (voir l'emploi du passé simple « fut »). Cette jeunesse est associée à un paysage d'été, avec une alternance d'« orage » (v. 1) et de « soleils » (v. 2).
L'orage dévaste le « jardin » (v. 4) qu'on peut interpréter comme une métaphore de l'esprit du poète. À l'image traditionnelle du temps comme une eau qui coule sans que l'on puisse la retenir, Baudelaire substitue la métaphore d'une eau qui détruit.
Second quatrain
Cette métaphore est filée dans la deuxième strophe. Celle-ci associe explicitement la période actuelle de la vie du poète à l'automne dans l'expression « l'automne des idées » (v. 5).
Le lexique de la perte et de la destruction y est très présent, notamment dans les vers 7 et 8 : « les terres inondées/ où l'eau creuse des trous grands comme des tombeaux ».
Premier tercet
L'emploi du futur et la mention des « fleurs » (v. 9) suggèrent le printemps. La mention des « fleurs nouvelles » (v. 9) peut se comprendre comme une métaphore des poèmes à venir. Ces poèmes seraient nouveaux au sens où le poète aurait retrouvé l'inspiration mais aussi par leur modernité.
Au vers 10, la perte de l'inspiration apparaît à travers l'évocation d'un « sol lavé comme une grève », dont on ignore s'il restera stérile. Le « mystique aliment » (v. 11) dont devraient se nourrir les « fleurs » (v. 11) à venir s'entend ainsi comme la nourriture spirituelle qui doit rendre au poète son inspiration.
Second tercet
La dernière strophe marque une rupture franche dans la tonalité à travers notamment la répétition de l'apostrophe pathétique « ô douleur ! » au vers 12. Les nombreux monosyllabes, en particulier dans les deux derniers vers, relèvent d'un registre élégiaque. Le désespoir semble prendre le dessus.
mot clé
L'allégorie est une figure de style qui consiste à représenter concrètement une idée abstraite. Par exemple, la Faucheuse est une allégorie de la mort.
La métaphore filée de l'orage disparaît au profit d'une allégorie du temps, que l'emploi des majuscules permet de repérer. Le « Temps » (v. 12) est personnifié comme un « obscur Ennemi » (v. 13), formulation qui rappelle la désignation traditionnelle du diable. Les verbes employés renvoient toujours à la destruction, mais cette fois-ci sous la forme d'une dévoration, comme si le temps était un parasite, un vampire qui « se fortifie » (v. 14) grâce au « sang » (v. 14) des humains.
Conclusion
[Faire le bilan de l'explication] Pour conclure, ce poème associe deux angoisses récurrentes dans le recueil Les Fleurs du mal : la perspective de la mort et la perte de la capacité à écrire. Le texte est structuré par une opposition permanente entre force créatrice et destruction. En dépit de l'affirmation pessimiste de la toute-puissance du Temps et de la mort, le poème semble un démenti, et figure comme une de ces « fleurs nouvelles » (v. 9) dont le poète dit rêver, comme si le poète écrivait malgré le spleen, ou bien grâce à lui.
C'est une des interprétations du titre Les Fleurs du mal : les poèmes sont les fleurs nées de la souffrance, de la « douleur » (v. 12) du poète.
[Mettre le texte en perspective] Baudelaire reprend ici un thème et une forme traditionnels, mais les renouvelle en les intégrant à sa poétique construite sur l'opposition entre spleen et idéal.
2. La question de grammaire
Au passé simple (« fut »), qui renvoie à un passé complètement révolu, succède le passé composé (« ont fait », « ai touché »), qui évoque des faits passés en lien avec le présent.
Les verbes qui suivent (« reste », « creuse », etc.) sont au présent d'énonciation. Ils renvoient à des faits contemporains du moment de l'écriture.
Dans le premier tercet, on relève un verbe au futur (« trouveront ») et un autre au conditionnel (« ferait »). Le futur exprime l'espoir de retrouver l'inspiration, mais le conditionnel dit le doute.
Dans la dernière strophe, on retrouve le présent, avec une valeur de vérité générale (« mange », « ronge », « perdons ») : l'histoire particulière rejoint la condition de tous.
Des questions pour l'entretien
Lors de l'entretien, vous devrez présenter une autre œuvre que vous avez lue au cours de l'année. L'examinateur introduira l'échange et peut vous poser des questions sous forme de relances. Les questions ci-dessous ont été conçues à titre d'exemples.
1 Sur votre dossier est mentionnée la lecture cursive d'un autre recueil poétique : Le Parti pris des choses de Francis Ponge. Pouvez-vous le présenter brièvement ?
2 Que pensez-vous de la manière dont Ponge transforme les objets du quotidien dans ses textes ?
3 Avez-vous apprécié cette lecture ? Que vous a-t-elle apporté en complément de celle des Fleurs du mal ?
4 Avez-vous aimé lire de la poésie en prose ? Finalement comment définiriez-vous la poésie si ce n'est pas la versification qui la caractérise ?