Annale corrigée Commentaire littéraire

Bosco, Le Mas Théotime

Sujet d’écrit • Commentaire

Henri Bosco, Le Mas Théotime

4 heures

20 points

Intérêt du sujet • Ce texte pourrait vous donner envie de lire Le Mas Théotime, un roman d’Henri Bosco, dont l’intrigue poétique se déroule dans la campagne provençale du xxe siècle.

 

 Vous ferez le commentaire littéraire de ce texte d’Henri Bosco, en vous aidant des pistes suivantes :

1. Un bois sauvage et bruissant de vie

2. Un paysage qui suscite une prise de conscience

DOCUMENT

Pascal Dérivat, le narrateur, est propriétaire d’un vaste domaine en Provence. Son voisin Clodius, mort assassiné, lui en a légué une partie, alors que les deux hommes se détestaient, et s’étaient disputés au sujet de Geneviève, la cousine de Pascal. Dérouté par cet héritage, Pascal part à la découverte d’une parcelle de ce terrain laissée à l’abandon.

Longtemps le vieil Alibert1, immobile, contempla ce terrain inutilisable, puis il mit le caillou2 dans sa poche, souleva sa bêche et repartit par où il était venu, sans me voir.

Alors j’entrai moi-même dans le champ et me dirigeai vers le bois de pins.

À mesure que j’en approchais il m’arrivait un bruit de vols et de ramages3. Des milliers d’oiseaux habitaient le bois. Le soleil déjà haut l’avait chauffé et les nids commençaient à tiédir, cependant que les pins distillaient leur résine amère. Quand je fus arrivé à cent mètres du bois, tous les oiseaux se turent. Ils m’avaient vu et j’en éprouvai une vive émotion. J’entrai néanmoins sous le couvert des arbres. La lisière était défendue par une impénétrable futaie4 de houx épineux. Mais je découvris un couloir. À l’intérieur s’étendaient de vastes clairières jonchées de ramilles5 flexibles. Les arbres étaient vieux et grands et d’en haut descendait une très douce lumière qui faisait fermenter le sol. Il sentait la résine et le champignon. Un sentier s’enfonçait dans le sous-bois où l’épaisseur de la végétation créait des profondeurs plus sombres, des retraites à peu près accessibles. Le silence, tombé si brusquement des branches, à travers l’immense ramage des oiseaux, me paraissait étrange. Parfois un pépiement vite étouffé, un frémissement d’ailes, en décelaient la vraie nature et la fragilité. J’avançais, ravi, dans le bois. Je jouissais de l’amère ivresse des arbres sous les yeux attentifs de ces milliers de bêtes, rampantes ou ailées, qui de toutes parts m’observaient et attendaient de moi quelque signe de haine ou d’amitié avant de reprendre leurs chants et leurs ébats. Mais ce signe, j’avais beau en sentir la nécessité, je n’en trouvais pas la figure ; et pourtant j’étais seul, inoffensif, heureux ; pour quelques instants j’avais oublié toutes mes peines6. Mais sans doute portais-je en moi un tel poids de misères que je ne pouvais pas en dégager ce geste, ce mot, ce regard (ou peut-être ce simple sentiment), qui eût aussitôt déchaîné la joie des bêtes. Je devinais, sous moi, autour de moi, et un peu partout sur ma tête, des milliers de petites inquiétudes, et que, malgré mon éphémère innocence, je n’en étais pas moins un homme. Car les bêtes sont payées pour savoir7 ce qu’annonce souvent une telle présence ; et sans doute depuis longtemps n’avaient-elles rien vu de pareil dans ce quartier. J’avais troublé la paix du site et violé par mon intrusion8 les accords d’une antique loi de ce refuge. Je sortis du bois, un peu attristé. Quand j’en fus à quelque distance, je m’arrêtai pour écouter si le chant des oiseaux avait repris. Mais le bois gardait le silence. Alors je me mis à la recherche d’Alibert.

Henri Bosco, Le Mas Théotime, chapitre XII, 1945.

1. Les Alibert sont une famille de métayers qui cultivent les terres de Pascal. Quand le narrateur arrive sur le terrain, il observe un instant le père Alibert, perplexe devant le champ en friche.

2. Le vieil Alibert examinait l’un des cailloux du champ.

3. Ramages : chants d’oiseaux.

4. Futaie : forêt de grands arbres.

5. Ramilles : petits rameaux.

6. Toutes mes peines : le narrateur évoque à la fois son incompréhension face à la mort de Clodius et à l’héritage, et sa peine liée à Geneviève.

7. Sont payées pour savoir : apprennent à leurs dépens.

8. Intrusion : fait de s’introduire sans en avoir le droit.

 

Les clés du sujet

Définir le texte

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Formuler la problématique

Comment la description de ce paysage sauvage fait-elle transparaître les émotions du narrateur ?

Construire le plan

Tableau de 2 lignes, 2 colonnes ;Corps du tableau de 2 lignes ;Ligne 1 : 1 Un bois sauvage et bruissant de vie; Montrez que le narrateur explore un bois impénétrable.Comment la description donne-t-elle vie au paysage ?Analysez les sensations qui naissent dans ce bois.; Ligne 2 : 2 Un paysagequi suscite une prise de conscience; Comment le narrateur se laisse-t-il gagner par l’atmosphère du paysage ?Montrez que le bois refuse de lui livrer ses secrets.Analysez la prise de conscience par le narrateur de ses propres limites.;

Les titres en couleur ou entre crochets ne doivent pas figurer sur la copie.

Introduction

[Présentation du contexte] Aux xixe et xxe siècles, se développe le roman rural qui s’attache à décrire le monde paysan. [Présentation de l’œuvre et de l’extrait] Henri Bosco s’inscrit dans cette tendance romanesque avec Le Mas Théotime. Le narrateur, Pascal, possède et entretient un vaste domaine de terres en Provence, auxquelles viennent s’ajouter celles de son voisin Clodius, léguées en héritage malgré la haine que les deux hommes se vouaient. Pascal y découvre notamment un terrain en friche, décrit dans cet extrait. [Problématique] Comment la description de ce paysage sauvage fait-elle transparaître les émotions du narrateur ? [Annonce du plan] Nous analyserons tout d’abord la découverte de ce bois et la description qu’en donne l’auteur, puis nous verrons comment le lieu suscite une prise de conscience chez le personnage et crée un sentiment d’échec.

I. Un bois sauvage et bruissant de vie

 Le secret de fabrication

Dans une description, analysez les procédés d’écriture qui la dynamisent et rendent plus vivant l’objet ou le lieu décrit : organisation de la description, précisions sensorielles, personnifications…

1. L’exploration d’un bois impénétrable

Le texte nous livre le récit d’une exploration.

Les verbes de mouvement indiquent la progression du narrateur : « entrai », « dirigeai », « approchais », « avançais ».

La végétation fait obstacle à sa progression. Sa densité est soulignée par les pluriels (« pins », « arbres », « ramilles ») et par le lexique (« impénétrable », « jonchées », « s’enfonçait », « épaisseur », « profondeurs »).

Le bois révèle un lieu caché : l’entrée se fait par un « couloir » difficile à trouver, et la végétation touffue laisse place à des « clairières ».

2. Une nature vivante

Le bois est habité par des oiseaux, qui apparaissent d’abord dans le « bruit de vols et de ramages » et dans la présence de « nids ». Le narrateur souligne leur multitude avec la répétition de « milliers » (l. 7, 23 et 32), l’indéfini « tous les oiseaux » (l. 10) et l’adjectif « immense ramage » (l. 19).

Derrière le champ en friche, le bois est un lieu fertile : la présence de « ramilles », de « sève », de « résine » et de « champignon » indique que les végétaux s’y développent.

La nature est presque personnifiée : la futaie de houx « défend » la lisière du bois. Le narrateur évoque également « l’ivresse des arbres », expression ambiguë : s’agit-il de l’ivresse qu’ils procurent ou qu’ils connaissent dans ce bois sauvage ?

à noter

Quand un passage peut être interprété de façons différentes, signalez-le : ces ambiguïtés font la richesse du texte.

3. Un lieu qui sollicite tous les sens

Le bois suscite une multitude de sensations.

Le toucher est tantôt agréable, avec la chaleur du bois évoquée aux lignes 7-8, tantôt désagréable, avec les épines du houx (l. 12).

Les odeurs de « résine » et de « champignon » (l. 16) émanent du sol.

La vue est sollicitée dans un jeu de clair-obscur à travers l’opposition entre « douce lumière » et « profondeurs plus sombres ». Cette description peut ainsi faire penser à La Forêt de Bere peinte par William Turner en 1808.

Les chants d’oiseaux du début du texte créent un contraste sonore avec le silence à l’arrivée du narrateur (l. 19), brisé seulement par quelques faibles bruits (« pépiement vite étouffé », « frémissement d’ailes »).

[Transition] Ce paysage mystérieux émerveille le narrateur et fait naître en lui des émotions intenses.

II. Un paysage qui suscite une prise de conscience

 Le secret de fabrication

Dans cette partie, analysez l’impact du paysage sur le narrateur : ses émotions quand il découvre le bois, son désir de complicité avec la faune, et la tristesse venue de l’absence de réponse des animaux à son approche.

1. Le narrateur gagné par l’atmosphère du paysage

Le lexique souligne le plaisir du narrateur dans la découverte du paysage, dans une gradation de « ravi » à « jouissais » (l. 22).

Il s’établit une proximité entre la nature et le narrateur qui se laisse gagner par « l’amère ivresse des arbres ». Le mot « amère », en créant un oxymore avec « ivresse », annonce cependant un revirement.

Pascal recherche une forme d’osmose avec le paysage. Il pense l’atteindre au moyen d’un « signe » qui susciterait la confiance des animaux du bois et lui permettrait d’être accueilli parmi eux (l. 25).

2. Un bois qui ne livre pas ses secrets

Mais Pascal se heurte à un refus de communication de la part des habitants du bois : les négations se multiplient à la fin du texte (« je n’en trouvais pas », « je ne pouvais pas », « je n’en étais pas moins »). En demeurant cachés, les animaux du bois restent non identifiables : le narrateur ne parle plus d’oiseaux mais de « bêtes, rampantes ou ailées ».

Plusieurs procédés d’opposition révèlent un désaccord entre l’homme et la nature : la conjonction de coordination « mais » répétée trois fois (l. 26, 28 et 40), l’adverbe « pourtant » (l. 27), ou l’antithèse entre « inoffensif » (l. 27) et « inquiétudes » (l. 33). Le subjonctif dans l’expression « eût aussitôt déchaîné la joie des bêtes » rejette la complicité entre les animaux et le narrateur dans l’irréel du passé et souligne l’échec de l’entreprise du personnage.

3. Le retour au monde des hommes

Pascal prend conscience de ses limites, liées à sa condition d’homme. Le lexique utilisé à la fin de l’extrait donne à son exploration des allures de sacrilège : les termes « troublé la paix » puis « violé » forment une gradation. La nature reste un temple impénétrable, ce qui suscite la tristesse de Pascal (l. 38) et son retour à ses occupations humaines (l. 40-41).

Cette prise de conscience le renvoie à ses propres émotions. Malgré la beauté du paysage, Pascal ne peut oublier les soucis du monde des hommes : les « peines » (l. 28) et le « poids de misères » (l. 29) qui l’affligent rendent l’osmose avec la nature impossible et le poussent à quitter le bois.

à noter

Appuyez-vous sur les indications données dans l’introduction du texte pour interpréter les émotions du personnage.

Conclusion

[Synthèse] La description du bois de pins évoque une nature sauvage, source d’exaltation et de plénitude. Mais malgré la fascination de Pascal pour le paysage, celui-ci ne livre pas ses secrets. Face à l’échec de son exploration, le narrateur prend conscience de ses limites humaines et revient à sa propre tristesse, plus intense qu’il ne l’imaginait.

[Ouverture] Ce texte expose une variante étonnante d’un topos littéraire, celui de la nature miroir de l’âme : c’est en restant impénétrable que le paysage révèle au narrateur ses propres émotions.

mot clé

Topos : lieu commun de la littérature, thème souvent abordé.

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