Oral
Corrigé
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Sujet d’oral n° 1
Écriture poétique et quête du sens
Les Fenêtres
Celui qui regarde du dehors à travers une fenêtre ouverte, ne voit jamais autant de choses que celui qui regarde une fenêtre fermée. Il n’est pas d’objet plus profond, plus mystérieux, plus fécond, plus ténébreux, plus éblouissant qu’une fenêtre éclairée d’une chandelle. Ce qu’on peut voir au soleil est toujours moins intéressant que ce qui se passe derrière une vitre. Dans ce trou noir ou lumineux vit la vie, rêve la vie, souffre la vie.
Par-delà des vagues de toits, j’aperçois une femme mûre, ridée déjà, pauvre, toujours penchée sur quelque chose, et qui ne sort jamais. Avec son visage, avec son vêtement, avec son geste, avec presque rien, j’ai refait l’histoire de cette femme, ou plutôt sa légende, et quelquefois je me la raconte à moi-même en pleurant.
Si c’eût été un pauvre vieux homme, j’aurais refait la sienne tout aussi aisément.
Et je me couche, fier d’avoir vécu et souffert dans d’autres que moi-même.
Peut-être me direz-vous : « Es-tu sûr que cette légende soit la vraie ? » Qu’importe ce que peut être la réalité placée hors de moi, si elle m’a aidé à vivre, à sentir que je suis et ce que je suis ?
Charles Baudelaire, Petits poèmes en prose, 1869.
Préparation
Tenir compte de la question
- La question attire votre attention sur le fait que la description ressemble à un tableau ; le verbe « dépasse » invite à chercher ce qui est moins « visuel », plus implicite dans le poème, c’est-à-dire le sens caché.
- Vos titres d’axes doivent comporter les mots importants de la question : « picturale » (ou son synonyme « tableau ») et « dépasse » (ou son corollaire : « symbole » ou « allégorie »).
Trouver les axes
Utilisez les pistes que vous ouvre la question mais composez aussi la « définition » du texte (voir guide méthodologique).
Poème en prose (genre), sorte d’apologue (genre approché) qui décrit (type de texte) des fenêtres et ce qu’elles cachent (thème), lyrique (registre), pictural, allégorique (adjectifs), pour faire un beau tableau et révéler indirectement une conception de la poésie (buts de l’auteur).
• Étudiez la composition, la progression du poème.
• Montrez que Baudelaire se positionne comme un peintre par rapport à son tableau.
• Relevez les éléments caractéristiques de la peinture.
• Cherchez ce que symbolisent les fenêtres pour Baudelaire.
• Quelle conception de la poésie ce poème révèle-t-il ?
• Étudiez le rôle que Baudelaire assigne au poète.
Présentation
Introduction
I. Un poème construit comme un tableau
Au cœur du poème se trouve la scène, le sujet et, comme pour l’encadrer, au début et à la fin, des réflexions plus générales qui dépassent la simple description et donnent au texte sa portée symbolique.
1. Premier élément « encadrant » le tableau :
une considération paradoxale
- Dans le premier paragraphe, Baudelaire
présente d’abordl’observateur et le sujet de façon générale (« Celui qui »), sur le ton de la certitude, que traduisent la tournure impersonnelle « il n’est pas… », le présent de vérité générale, les termes assertifs (« ne … jamais », « toujours »), la répétition « vit… vie… vie… vie ». - Puis il
décrit le sujet du tableau, la fenêtre « éclairée » (la forme de la fenêtre évoque le cadre d’un tableau), à travers cinq adjectifs au comparatif de supériorité valorisant (« plus… ») : deux d’entre eux traduisent des impressions visuelles contrastées (« ténébreux, éblouissant ») ; les trois autres prennent une valeur plus affective que descriptive (« profond », « mystérieux », « fécond »). La vision est donc à la fois esthétique et morale. - La description est marquée par les
contrastes (fenêtre fermée / fenêtre ouverte, ombre / lumière) et unparadoxe provocateur : la fenêtre fermée, pourtant qualifiée négativement (« un trou »), serait – alors même qu’elle ouvre sur la misère – plus riche et plus intéressante qu’une fenêtre ouverte. Baudelaire aime choquer et adopter un point de vue original (voir « Une charogne » dans Les Fleurs du mal).
2. L’anecdote (2e paragraphe) :
du tableau réaliste à la « légende »
- Le
poète-peintre passe au « je », ils’implique . Avec un présent ambigu (s’agit-il d’un présent d’énonciation : « j’aperçois » une seule fois ? un jour ? ou d’habitude : « j’aperçois » régulièrement ?), il décrit ce qui ce passe devant ses yeux (par manque d’argent, Baudelaire était souvent réduit à vivre dans des logements sous les toits) : la métaphore évocatrice « vagues des toits » suggère unevision panoramique et infinie sur la mer. - Puis il effectue une sorte de
zoom sur le sujet et multiplie les détails précis : un gros plan sur une « femme mûre », « ridée », sur son attitude (« penchée »), sur son « visage », son « vêtement », composant untableau réaliste représentatif du Paris (la grande ville)de la misère . - Mais
l’imagination et la sensibilité compatissante du poètetransforment la réalité en « légende » non dite et suggèrent, à travers un irréel du passé (« j’aurais refait »), une deuxième « histoire » à écrire, une poésie en devenir (« Si c’eût été un pauvre vieux homme »). - L’anecdote se ferme sur le
retour du poèteà la vie quotidienne : « je me couche », le présent étant ici clairement un présent d’habitude.
3. Deuxième élément « encadrant » le tableau :
un dialogue imaginaire
- Le poème se conclut sur une
réflexion , unemorale sous la forme d’undialogue supposé , imaginaire (« Peut-être »), qui implique directement le lecteur (« me direz-vous »). - Le jeu sur
le vouvoiement et le tutoiement est étrange : s’agit-il du vouvoiement de politesse à un seul lecteur, ou du « vous » qui s’adresse à plusieurs lecteurs ? On ne le sait pas. En revanche, le tutoiement par lequel le lecteur s’adresse au poète traduit un ton plus familier, peut-être même amical. - La question permet au poète d’
affirmer son lien avec la réalité et le rapport entre la création poétique et sa propre existence.
II. Un art poétique et une réflexion
sur la condition humaine
La description est en réalité prétexte à une définition implicite de la poésie et à une méditation sur la condition humaine.
1. Une définition de la poésie
- « La poésie est comme
une peinture » (Horace, poète latin), qui travaille sur les lumières et les contrastes (« ténébreux » / « éclairée, chandelle » : sorte de clair-obscur). Baudelaire plaide implicitement pour unepoésie du quotidien et du réel : pour lui, c’est l’observation qui est source de création. À travers l’énumération de réalités simples, il privilégie le quotidien (« presque rien »), mais esthétisé par la mention de la « chandelle », plus poétique que l’éclairage au gaz de l’époque. - Mais la poésie
dépasse la réalité superficielle : elle est expression d’unesensibilité tournée vers les autres , vers les pauvres avec lesquels le poète est en empathie. Il opte pour une poésie de la souffrance, qui est aussi sublimation de cette souffrance (de « l’histoire » à la « légende »). - La poésie est aussi
romanesque : à partir du réel,le poète invente , comme un romancier. Baudelaire écrit une « légende », une fiction et par l’écriture peut transformer une « vieille femme », « un pauvre vieux homme » (noter l’archaïsme « vieux » pour « vieil »). Il semble s’enorgueillir de cette faculté à refaire « tout aussi aisément » le monde et la vie des hommes. - La poésie est aussi
dialogue et tisse desliens avec le lecteur , que d’ailleurs Baudelaire apostrophe en l’appelant « mon frère ».
2. Un poète symboliste
La fenêtre prend une
- un moyen de
corriger notre conception habituelledu monde : une fenêtre fermée est plus intéressante qu’une fenêtre ouverte ; - un moyen de passer de l’extérieur de la réalité à une
réalité intérieure , cellede la condition humaine , du mystère des êtres ; - un moyen de
mieux se connaître , de lutter contre le spleen : cette fenêtre, paradoxalement, ouvre aussi sur le monde intérieur du poète, sur son identité (« sentir que je suis et ce que je suis »).
3. Un plaidoyer pour le poème en prose ?
Le texte révèle enfin la force du
- Il suit une progression
proche de celled’un sonnet , dont il reproduit la fragmentation en 2 quatrains et 2 tercets ; la dernière interrogation ressemble à la « chute » du sonnet. - Mais le poème en prose se démarque de la poésie traditionnelle. Ce ne sont en effet ni les rimes ni la longueur des vers qui créent l’impression de
dépouillement , defluidité , mais lerythme intérieur de chaque phrase : Baudelaire mêle de fréquentes répétitions, des énumérations, des parallélismes, des oppositions qui scandent le poème. - Cependant, en contraste, les
effets de rupture sont nombreux. En effet, le dernier paragraphe rompt avec les deux premiers : le mode d’énonciation change brusquement, la description se fait dialogue et Baudelaire mélange la généralisation (« d’autres ») et l’évocation de sa situation personnelle (« moi-même »).
Conclusion
« Les fenêtres » donne du poète une image moins pessimiste que les poèmes du spleen, mal de vivre dévastateur. Ici, le poète est attentif à la misère des autres dans laquelle il trouve un aliment pour sa création mais aussi une force pour mieux se connaître et mieux « vivre » : il se dit « fier », il a été « aidé » par cette expérience. De cette expérience du regard, de ce partage – même lointain – du malheur des autres, il reste un objet poétique, une trace tangible : le poème.
Deux autres poètes après Baudelaire choisiront les fenêtres comme sujet poétique : Mallarmé et Apollinaire, comme l’ont fait de nombreux peintres (Vermeer, Van Gogh, Matisse…).
Entretien
Quelles vous semblent être les fonctions de la poésie ?
- Vous devez faire la liste des poèmes que vous avez étudiés pour les citer en exemples.
- Vous devez vous appuyer sur les arts poétiques que vous connaissez et sur votre cours.
Éléments de réponse à la question
- La poésie peut avoir plusieurs fonctions :
- décrire : le poète latin Horace définit la poésie comme une « peinture » [exemples] ;
- traduire les sentiments et les émotions (poésie lyrique) [exemples] ;
- recréer le monde en en « dévoilant » les faces cachées, ou créer un monde nouveau [exemples] ;
- mettre en valeur et défendre des idées politiques ou sociales (poésie engagée) que la poésie permet d’exprimer avec plus de force et d’intensité [exemples].
- Deux tendances s’opposent : l’art pour l’art et la poésie engagée.
L’examinateur pourrait débuter l’entretien par la question suivante :