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Clausewitz et les conflits contemporains

étude critique de documents • Sujet zéro 2020

Clausewitz et les conflits contemporains

2 heures

10 points

Intérêt du sujet • Ce sujet est au cœur d'un des jalons du thème 2 : il vous invite à confronter le modèle de Clausewitz aux guerres irrégulières contemporaines liées au djihadisme. La présence d'un texte et d'une carte facilite la confrontation de ces deux modèles.

 

En analysant les documents, en les confrontant et en vous appuyant sur vos connaissances, répondez à la question suivante : la conception clausewitzienne de la guerre permet-elle de comprendre les conflits d'aujourd'hui liés au djihadisme ?

Document 1

Le politologue et historien Raymond Aron analyse la pensée de Clausewitz développée dans son traité De la guerre.

Au point de départ, le modèle le plus simple, celui du duel, qui suggère une première définition de la guerre, épreuve de volonté avec l'emploi de la violence physique. L'analyse du modèle conduit à la théorie de l'ascension aux extrêmes […] et de la guerre absolue […]. En un deuxième moment, Clausewitz réintroduit les éléments principaux que le modèle a négligés : l'espace (un État n'est pas un lutteur, il dispose d'un territoire, d'une population) ; le temps (le sort d'une guerre, d'une bataille, d'un État ne se décide pas en un seul instant) ; l'asymétrie entre l'attaque et la défense, qui rend compte de la suspension des opérations ; enfin la politique, qui fixe la fin de la guerre elle-même et, en fonction de l'ensemble des circonstances, des intentions supposées de l'ennemi et des moyens disponibles, détermine le plan de guerre, la mesure des efforts. Le premier chapitre, résumé de la philosophie du traité tout entier, aboutit à une deuxième définition […] du phénomène guerre, étrange triade de la passion (le peuple), de la libre activité de l'âme (le chef de guerre) et de l'entendement (la politique, l'intelligence personnifiée de l'État).

[…] La pensée de Clausewitz se prête à deux interprétations, non pas contradictoires mais divergentes. Ou bien on retient pour centre de sa pensée la bataille d'anéantissement […]. Ou bien on fixe son attention sur l'autre versant de sa pensée : la guerre continuation de la politique par d'autres moyens ou avec l'addition d'autres moyens, donc la primauté de l'homme d'État sur le chef militaire, l'affirmation répétée que la guerre absolue ou idéale est la plus rare dans l'histoire, que la plupart des guerres, mesurées à la guerre absolue, ne sont que des demi-guerres. […]

Comparée au xxe siècle, la période révolutionnaire et napoléonienne ne semble qu'une pâle répétition d'une pièce d'horreur à grand spectacle.

Raymond Aron, Mémoires, Julliard, 1983.

Document 2Les terres de djihad en 2015

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Source : Atelier de cartographie de l'Institut d'études politiques de Paris, 2015.

 

Les clés du sujet

Identifier les documents

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Comprendre la consigne

La consigne vous invite à interroger la validité de la pensée de Clausewitz, élaborée au xixe siècle, à l'épreuve des conflits du xxie siècle liés au djihadisme. Il s'agit de la guerre menée par des mouvements islamistes contre leurs adversaires.

Le document 1 rappelle les principes fondamentaux de la théorie militaire clausewitzienne. Le document 2 permet d'en souligner les limites, en particulier dans leur dimension spatiale. Le sujet vous invite à mobiliser vos connaissances pour analyser ces documents.

Dégager la problématique et construire le plan

Depuis le début du xxie siècle, avec l'essor du djihadisme, les États sont confrontés à des guerres qui sortent du schéma classique théorisé par Clausewitz : les guerres irrégulières.

C'est pourquoi, explicitement, le sujet vous invite à répondre à la problématique suivante : la conception clausewitzienne de la guerre permet-elle de comprendre les conflits contemporains liés au djihadisme ?

Tableau de 2 lignes, 2 colonnes ;Corps du tableau de 2 lignes ;Ligne 1 : I. Les conflits contemporains : des duels entre États ?; Quels sont les acteurs des conflits ?S'agit-il d'une guerre d'anéantissement ?; Ligne 2 : II. Les conflits contemporains : une continuation de la politique par d'autres moyens ?; Quels sont les espaces de la guerre ?Quelle est la temporalité de la guerre ?Y a-t-il une asymétrie attaque/défense ?Quelle est l'importance du politique ?;

Les titres et les indications entre crochets ne doivent pas figurer sur la copie.

Introduction

[Accroche] Aux xixe et xxe siècles, le traité de théorie militaire De la guerre (publié en 1832) de Carl von Clausewitz est considéré comme une référence par de nombreux spécialistes des relations internationales. Cependant, avec l'essor de nouvelles formes de conflits liés au terrorisme islamiste à partir du début du xxie siècle, les analyses clausewitziennes semblent moins pertinentes. [Présentation des documents] Les deux documents qui nous sont proposés en sont une illustration. Le premier est un texte géopolitique extrait des Mémoires du politologue et historien Raymond Aron. Publié en 1983, il analyse la pensée de Clausewitz à l'échelle mondiale. Le second est une carte géopolitique provenant de l'atelier de cartographie de Sciences-Po. Réalisée en 2015 par les cartographes de cette institution, elle présente à l'échelle régionale, de la Mauritanie à l'Inde, les zones d'implantation des mouvements djihadistes à ce moment-là. [Problématique] Nous analyserons ces documents pour répondre à la question suivante : la conception clausewitzienne de la guerre permet-elle de comprendre les conflits contemporains liés au djihadisme ? [Annonce du plan] Pour ce faire, nous prendrons en compte les deux interprétations de Raymond Aron : les conflits comme duels entre États [I], puis les conflits comme continuation de la politique par d'autres moyens [II].

I. Les conflits liés au djihadisme : des duels entre États ?

1. Le modèle le plus simple de Clausewitz…

Comme le rappelle Raymond Aron au début de son texte, Clausewitz assimile la guerre à un duel au cours duquel deux États utilisent la violence pour l'emporter (« Au point de départ… de la violence physique », l. 1-3). En effet, Clausewitz a comme référence les guerres de la période moderne qui opposent des États ou des coalitions (guerre de Sept Ans, guerres des périodes révolutionnaire et impériale).

conseil

Utilisez vos connaissances pour donner de la profondeur à votre analyse, au-delà des informations fournies par le document.

L'objectif est de soumettre voire d'anéantir l'adversaire : c'est le concept de « guerre absolue ». D'où l'enjeu de la bataille décisive (« la bataille d'anéantissement ») au cours de laquelle se joue le sort de la guerre.

2. … à l'épreuve des conflits contemporains

Comme nous le montre la carte, les conflits contemporains liés au djihadisme ne peuvent être assimilés à des conflits entre États. En effet, ils se caractérisent par l'affirmation d'acteurs non étatiques, en l'occurrence Al-Qaida et l'État islamique (désigné ici par le « Califat »). Ces organisations terroristes affrontent des États de la région (ex. : Boko Haram contre le Nigeria, le Niger, le Tchad et le Cameroun) ; ils s'attaquent également à des États extérieurs à la région (ex. : l'État islamique contre les puissances occidentales, la Russie et la Turquie).

Par ailleurs, l'objectif de ces organisations n'est pas de soumettre ni d'anéantir leurs adversaires, plus puissants militairement. Elles engagent des conflits asymétriques. Le but est de déstabiliser l'adversaire en l'attaquant sur ses points faibles. Il n'y a donc pas de bataille décisive, mais plutôt une guerre d'usure. Ainsi, Al-Qaida, fondée en 1987, organise depuis la fin des années 1990 des attentats contre les intérêts occidentaux.

mot clé

Un conflit asymétrique se caractérise par un déséquilibre notable des forces militaires antagonistes.

[Transition] Le modèle le plus simple de la guerre pensé par Clausewitz et analysé par Raymond Aron ne peut donc servir à comprendre les conflits contemporains liés au djihadisme. Examinons maintenant si le modèle le plus élaboré a davantage de pertinence.

Le secret de fabrication

Ce court paragraphe de transition vous permet d'articuler la première et la seconde partie de votre développement. Elle comprend une phrase de reprise de l'idée directrice déjà développée et une phrase d'ouverture sur ce qui sera développé.

II. Les conflits liés au djihadisme : une continuation de la politique par d'autres moyens ?

1. Le modèle le plus élaboré de Clausewitz…

Dans son texte, Raymond Aron nous rappelle une formule célèbre de Clausewitz : « la guerre continuation de la politique par d'autres moyens » (l. 21-22). La guerre serait un moyen d'atteindre des objectifs politiques d'où « la primauté de l'homme d'État sur le chef militaire ».

Dans le premier paragraphe, il énonce les caractéristiques de la guerre : un territoire ; une durée ; une alternance attaque/défense ; le contrôle de la guerre par la politique, « l'intelligence personnifiée de l'État » (l. 17).

Enfin, il souligne la dynamique de la guerre, fruit d'un équilibre entre le peuple, le chef de guerre et l'État. D'une logique binaire (le « duel », l. 1) on passerait à une logique ternaire (la « triade », l. 15).

2. … à l'épreuve des conflits contemporains

Les objectifs du djihadisme ne sont pas politiques mais idéologiques : il s'agit de lutter contre les valeurs occidentales au nom d'une interprétation stricte du Coran. Cependant, en s'autoproclamant calife en 2014, le chef de l'organisation État islamique, Abou Bakr Al-Baghdadi entend fonder un véritable État.

Comme le montre en partie le document 2, les caractéristiques du djihadisme échappent à la grille d'analyse de Clausewitz : il n'y a pas un territoire du djihadisme mais des zones d'action dispersées ignorant les frontières étatiques (à l'exception de l'État islamique qui s'est taillé un État à cheval sur la Syrie et l'Irak) ; on ne peut déterminer avec certitude le début et la fin des guerres qui se greffent sur des conflits antérieurs (ex. : Libye, Irak, Afghanistan) ; le djihadisme est essentiellement offensif ; il échappe à tout contrôle étatique.

à noter

Les terres de djihad se situent souvent dans des États déchirés par de longues guerres civiles (ex. : Afghanistan depuis 1979).

Quant à la dynamique peuple/chef de guerre/État, elle ne joue pas en raison du caractère transnational du djihadisme. Comme l'indique la légende de la carte, on est en présence de groupes autonomes qui, en faisant allégeance à Al-Qaida ou à l'État islamique, entrent dans leur « mouvance » (ex. : Al-Shebab en Somalie pour Al-Qaida, Province Libye pour l'État islamique). L'émirat islamique du Caucase reste autonome.

Conclusion

[Réponse à la problématique] Ainsi, ces documents nous montrent bien les limites de la pensée de Clausewitz pour comprendre les conflits contemporains liés au djihadisme. Tout d'abord, si le théoricien assimile la guerre à un duel entre États ayant pour finalité l'anéantissement de l'adversaire, ces conflits se caractérisent par l'affirmation d'acteurs non étatiques qui cherchent avant tout à déstabiliser leurs ennemis. Par ailleurs, Clausewitz voit la guerre comme un moyen pour un État d'atteindre un objectif politique ; d'où des caractéristiques spatiales, temporelles, tactiques et politiques bien déterminées. Or le djihadisme échappe à cette grille d'analyse par ses objectifs et ses modalités. [Intérêt et limites des documents] L'intérêt de ces documents est de permettre la confrontation entre la théorie et la réalité des conflits contemporains. Cependant, le document 2 est trop descriptif pour comprendre le fonctionnement du djihadisme.

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