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Clausewitz à l'épreuve des tentatives de paix au Moyen-Orient

Sujet spécimen 2021

étude critique de documents

Clausewitz à l’épreuve des tentatives de paix au Moyen-Orient

2 heures

10 points

Intérêt du sujet • Cette étude, assez difficile, doit vous permettre de faire preuve de réflexion pour mettre en lien la théorie de Clausewitz avec la tentative de résolution du conflit israélo-palestinien. La bonne compréhension du texte s’avère indispensable pour la mener à bien.

 

En analysant les documents, en les confrontant et en vous appuyant sur vos connaissances, montrez que la pensée de Clausewitz reste d’actualité pour comprendre la difficile construction de la paix au Moyen-Orient.

Document 1

On ne peut considérer la guerre, c’est-à-dire les tensions et les actions hostiles, comme ayant atteint son terme aussi longtemps que la volonté de l’ennemi n’a pas été brisée, son gouvernement et ses alliés contraints de faire la paix, son peuple de se soumettre. Car il se peut que les hostilités reprennent, de l’intérieur du pays ou par l’entremise de ses alliés, quand bien même nous l’occupons tout entier. Bien entendu, cela peut avoir lieu aussi après que la paix a été conclue, ce qui ne prouve rien d’autre que ceci : toutes les guerres n’aboutissent pas à un verdict définitif et à un règlement parfait. Même si tel est le cas, cependant, la signature de la paix éteint toujours bien des étincelles qui auraient continué de couver […].

Mais dans le monde réel, cette fin de la guerre abstraite, cet ultime moyen de réaliser la fin politique auquel concourent tous les autres, à savoir la réduction de l’adversaire à l’impuissance, n’est pas à tout coup à portée de la main, et n’est pas non plus la condition sine qua non de la paix ; il ne peut donc en aucun cas être érigé en loi par la théorie. D’innombrables traités de paix furent signés sans que l’un des deux camps puisse être considéré comme réduit à l’impuissance, et même avant que l’équilibre des forces ait été visiblement rompu […].

Dans la réalité, avec l’incapacité à résister plus avant, il y a deux raisons de faire la paix. La première est l’invraisemblance de la victoire, la deuxième son coût trop élevé […].

La guerre n’a donc pas toujours besoin que les combats continuent jusqu’à l’anéantissement de l’un des antagonistes ; il peut suffire parfois d’une probabilité d’insuccès légère, peut-être à peine perceptible, pour décider un camp à abandonner la partie si ses motifs d’agir et les tensions qui l’animent sont de faible intensité. Si l’autre côté en est persuadé à l’avance, il est normal qu’il vise à réaliser cette probabilité au lieu d’emprunter le long chemin de l’anéantissement complet de l’adversaire.

Le bilan de l’énergie dépensée et de celle qui reste à dépenser pèse d’un poids encore supérieur dans la décision de faire la paix. La guerre n’étant pas commise par passion aveugle, mais contrôlée par son objectif politique, c’est la valeur attribuée à ce dernier qui détermine l’ampleur des sacrifices requis par sa réalisation. Cela vaut non seulement pour son ampleur mais également pour sa durée. Dès que la dépense d’énergie passe le seuil où elle n’est plus équilibrée par la valeur de l’objectif politique, il faut y mettre un terme, et la paix s’ensuit logiquement.

Carl von Clausewitz, De la guerre, livre I, chapitre II, 1832, traduction française de 1999.

Document 2

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ph © J. DAVID AKE / AFP

Sur la photo, de gauche à droite : le ministre des Affaires étrangères de Russie Andrei Kozyrev ; le Premier ministre d’Israël Yitzhak Rabin ; un fonctionnaire américain ; le président des États-Unis Bill Clinton ; assis, le ministre des Affaires étrangères d’Israël Shimon Peres ; le président de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) Yasser Arafat ; le secrétaire d’État américain Warren Christopher ; le numéro 2 de l’OLP Mahmoud Abbas.

Signature à Washington des accords d’Oslo, 13 septembre 1993, photographie AFP/Getty Images.

 

Les clés du sujet

Identifier le document

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Comprendre la consigne

La consigne vous invite à montrer que la construction de la paix au Moyen-Orient peut être analysée à la lumière des principes énoncés par Clausewitz dans son traité militaire De la guerre.

Vous partirez des idées directrices du document 1 en les reliant à ce que vous savez du processus de paix israélo-palestinien. Le document 2 n’illustre qu’une étape de ce dernier.

Dégager la problématique et construire le plan

Depuis 1964, Israël est en guerre contre l’OLP dirigée par Yasser Arafat. Cependant, à partir de 1982, date de la reconnaissance palestinienne de l’État hébreu, les conditions de la paix se mettent en place. Ce processus semble aboutir lors des accords d’Oslo en 1993, remis en cause dès 1995. La pensée de Clausewitz permet d’en comprendre la logique.

Dans quelle mesure la pensée de Clausewitz permet-elle de comprendre la complexité de la construction de la paix au Moyen-Orient ?

Tableau de 2 lignes, 2 colonnes ;Corps du tableau de 2 lignes ;Ligne 1 :  I. Un adversaire réduit à l’impuissance ?; Quel est le rapport de force israélo-palestinien en 1993 ?La paix israélo-palestinienne est-elle définitive ? ; Ligne 2 : II. Une victoire improbable ou trop coûteuse ?; Quel est le risque de la guerre pour les deux parties ?Quel est le coût de la guerre pour celles-ci ?;

Les titres et les indications entre crochets ne doivent pas figurer sur la copie.

Introduction

[Accroche] Après trente ans d’une lutte sans merci, un processus de paix israélo-palestinien s’amorce à partir de 1993. Ces deux documents nous permettent d’en mesurer la complexité. [Présentation des documents] Deux documents nous sont proposés ici. Le document 1 est un extrait du traité militaire De la guerre du théoricien prussien Carl von Clausewitz. Il a été publié en 1832, à titre posthume, quelque temps après la fin des guerres entre les coalitions européennes et la France impériale. Dans cet extrait, l’auteur expose les différentes raisons qui poussent des adversaires à faire la paix. Le document 2 est une photographie officielle de presse diffusée par l’AFP. Elle a été prise le 13 septembre 1993, à la suite des négociations secrètes israélo-palestiniennes. Elle présente la signature des accords d’Oslo entre le gouvernement israélien et l’OLP, sous l’égide des États-Unis et de l’URSS.

à noter

La rédaction d’une déclaration de principes entre Israël et l’OLP s’est déroulée à partir de 1992 sous l’égide de la Norvège, d’où la dénomination d’« accords d’Oslo ».

[Problématique] Nous analyserons ces documents pour répondre à la question suivante : dans quelle mesure la pensée de Clausewitz permet-elle de comprendre la complexité de la construction de la paix au Moyen-Orient ? [Annonce du plan] Pour ce faire, nous reprendrons tour à tour les différentes hypothèses de Clausewitz : ce processus est-il le résultat de la réduction à l’impuissance de l’adversaire [I] ou bien celui d’une victoire considérée comme improbable ou trop coûteuse [II] ?

I. La réduction de l’adversaire à l’impuissance ?

1. La théorie de Clausewitz…

L’auteur rappelle que la guerre a pour but de soumettre l’ennemi à sa volonté (« On ne peut considérer la guerre… son peuple de se soumettre », l. 1-4).

Selon lui, la signature de la paix peut être la conclusion logique de la victoire militaire : il parle de « verdict définitif » et de « règlement parfait » (l. 9).

Même si le risque de reprise de la guerre après la signature d’un traité de paix existe (« Car il se peut que les hostilités reprennent… tout entier », l. 4-7), ce dernier est susceptible de limiter ce risque (« Même si tel est le cas… de couver », l. 10-11).

2. … à l’épreuve des faits

La guerre que se livrent l’État d’Israël et l’OLP à partir de 1969 est fondée sur l’antagonisme suivant : Israël rejette l’existence d’un État palestinien, l’OLP refuse l’existence de l’État hébreu.

Durant deux décennies, chacune des deux parties va tenter d’imposer par la force ses vues à l’autre : Israël par la force militaire ; l’OLP par la résistance armée et le terrorisme (ex. : l’intervention israélienne au Liban en 1982 contre les milices palestiniennes).

La signature des accords d’Oslo en 1993, complétés par ceux d’Oslo II, peut être interprétée comme la reconnaissance par l’OLP de sa défaite militaire face à un adversaire plus puissant : la voie diplomatique semble alors pour Yasser Arafat la seule alternative à la lutte armée. Outre la reconnaissance mutuelle d’Israël et de l’OLP, ces accords prévoient l’autonomie des territoires occupés, confiés à une Autorité palestinienne.

à noter

À la fin de 1993, Yasser Arafat, Yitzhak Rabin et Shimon Peres reçoivent conjointement le prix Nobel de la paix.

Cependant, la théorie de Clausewitz trouve ses limites dans le fait que les accords d’Oslo, complétés en 1995 par ceux d’Oslo II, n’évitent pas de nouvelles violences : dès 1994, le Hamas déclenche des attentats-suicides ; en 1995, le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin est assassiné par un colon juif d’extrême droite.

mot clé

Fondé en 1987, le Hamas est un mouvement islamiste palestinien très influent à Gaza.

II. Une victoire improbable ou trop coûteuse ?

1. Une victoire improbable ?

Selon Clausewitz, le risque de la défaite peut pousser un des deux belligérants à abandonner l’objectif de la destruction de l’adversaire et à opter pour la paix (« La guerre n’a donc pas toujours besoin… de faible intensité », l. 24-28).

Ce risque pousse le gouvernement israélien à négocier secrètement avec l’OLP dès 1992. En effet, depuis 1987, l’image d’Israël est ternie par la répression de l’Intifada dans les territoires occupés. De même, jusque-là, l’OLP a échoué à fonder un État palestinien par les armes face à un État hébreu beaucoup plus puissant militairement.

mot clé

L’Intifada (guerre des pierres) oppose de jeunes Palestiniens aux soldats israéliens à Gaza et en Cisjordanie.

Le contexte international, marqué par la fin de la guerre froide et le rapprochement américano-russe, joue aussi en faveur d’un règlement pacifique du conflit israélo-palestinien. Ainsi la photographie montre bien que les accords d’Oslo sont signés sous les auspices des États-Unis (représentés par le président Bill Clinton et son secrétaire d’État Warren Christopher) et de la Russie (représentée par le ministre des Affaires étrangères Andrei Kozyrev).

Le secret de fabrication

En précisant le contexte international dans lequel s’inscrivent les accords d’Oslo vous valorisez votre propos à plusieurs égards : vous complétez le contexte historique du document que vous avez présenté en introduction ; vous exploitez les informations de la photographie pour souligner la signification de la scène représentée. En effet, le rapprochement israélo-palestinien n’aurait pu avoir lieu sans la convergence de vue des deux grandes puissances.

2. Une victoire trop coûteuse ?

Dans le dernier paragraphe du texte, Clausewitz explique que l’effort de guerre doit être proportionné à l’objectif politique que l’on cherche à atteindre. Si cet effort est disproportionné, la paix s’impose.

Pour Israël, le coût moral de la victoire sur les Palestiniens semble trop lourd, à l’échelle nationale et internationale. Ainsi, depuis le début des années 1990, un puissant mouvement pacifiste s’exprime au sein de la société israélienne pour mettre fin à la répression militaire de l’Intifada. De plus, l’image d’Israël à l’étranger se dégrade pour cette même raison.

Pour l’OLP, c’est le coût humain et politique qui est trop lourd : les jeunes Palestiniens tombent par dizaines sous les balles des soldats israéliens ; depuis sa fondation en 1987, le Hamas dispute à l’OLP le leadership de la cause palestinienne.

Conclusion

[Réponse à la problématique] Ainsi, la pensée de Clausewitz s’avère tout à fait pertinente pour comprendre la complexité de la construction de la paix au Moyen-Orient. La signature des accords d’Oslo peut être interprétée comme la conclusion logique de l’impuissance de l’OLP à fonder un État palestinien face à l’inflexibilité de l’État d’Israël. Cependant, ces accords ne permettent pas d’assurer une paix durable. Par ailleurs, la victoire contre l’OLP étant considérée par l’État hébreu comme improbable et trop coûteuse, la voie de la négociation et de la paix semble s’imposer. [Critique des documents] L’intérêt de cet ensemble documentaire est de nous donner la possibilité de confronter une théorie et une réalité historique qui la valide. Cependant, si le premier document est riche d’informations, le second est relativement descriptif d’autant qu’il s’agit d’une mise en scène très convenue.

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