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Colette, Sido, le portrait du père

Sujet d’oral • Explication & entretien

Colette, Sido, le portrait du père

20 minutes

20 points

1. Lisez le texte à voix haute.
Puis proposez-en une explication linéaire.

document

Dans la partie intitulée « Le Capitaine », Colette propose un portrait de son père, ancien militaire dont la sensibilité à la nature est bien différente de la sienne.

Il était poète, et citadin. La campagne, où ma mère semblait se sustenter1 de toute sève, et reprendre vie à chaque fois qu’en se baissant elle en touchait la terre, éteignait mon père, qui s’y comporta en exilé.

Elle nous sembla parfois scandaleuse, la sociabilité2 qui l’appelait vers la politique des villages, les conseils municipaux, la candidature au conseil général, vers les assemblées, les comités régionaux où l’humaine rumeur répond à la voix humaine. Injustes, nous lui en voulions vaguement de ne pas assez nous ressembler, à nous qui nous dilations d’aise3 loin des hommes.

Je m’avise à présent qu’il cherchait à nous plaire, lorsqu’il organisait des « parties de campagne », comme font les habitants des villes. La vieille victoria4 bleue emportait famille, victuailles5 et chiens jusqu’aux bords d’un étang, Moutiers, Chassaing, ou la jolie flaque forestière de la Guillemette qui nous appartenait. Mon père manifestait le « sens du dimanche », le besoin urbain de fêter un jour entre les sept jours, au point qu’il se munissait de cannes à pêche, et de sièges pliants.

Au bord de l’étang, il essayait une humeur joviale6 qui n’était pas son humeur joviale de la semaine ; il débouchait plaisamment la bouteille de vin, s’accordait une heure de pêche à la ligne, lisait, dormait un moment, et nous nous ennuyions, nous autres, sylvains7 aux pieds légers, entraînés à battre le pays sans voiture, et regrettant, devant le poulet froid, nos en-cas de pain frais, d’ail et de fromage. La libre forêt, l’étang, le ciel double exaltaient mon père, mais à la manière d’un noble décor. Plus il évoquait

… le bleu Titarèse, et le golfe d’argent… 8

plus nous devenions taciturnes9 — je parle des deux garçons10 et de moi — nous qui n’accordions déjà plus d’autre aveu, à notre culte bocager11, que le silence.

Assise au bord de l’étang, entre son mari et ses enfants sauvages, seule ma mère semblait recueillir mélancoliquement le bonheur de compter, gisants12 contre elle, sur l’herbe fine et jonceuse13 rougie de bruyère14, ses bien-aimés…

Colette, Sido, « Le Capitaine », 1930.

1. Se sustenter : se nourrir.

2. Sociabilité : aptitude à vivre en société.

3. Nous dilations d’aise : nous épanouissions.

4. Victoria : voiture à quatre roues tirée par un cheval.

5. Victuailles : provisions de nourriture.

6. Joviale : gaie, encline à plaisanter.

7. Sylvains : divinités des forêts.

8. Vers tiré de La Nuit de mai d’Alfred de Musset (1835). Le Titarèse est un cours d’eau en Grèce que Musset évoque avec nostalgie, comme le lieu naturel d’un âge d’or.

9. Taciturnes : tristes et sombres.

10. Léo et Achille, frères de Colette.

11. Bocager : qui concerne le bocage, les champs et les arbres.

12. Gisants : statues allongées, représentant des morts auxquels on rend hommage.

13. Jonceuse : ressemblant au jonc, plante à longue tige poussant dans les régions humides.

14. Bruyère : plante à petites fleurs violettes ou roses.

2. question de grammaire.
Analysez la structure de la deuxième phrase du texte.

 

Conseils

1. Le texte

Faire une lecture expressive

Montrez l’ambivalence des sentiments de Colette pour son père, tantôt agacée (l. 5-6 ou 8-10), tantôt attendrie par ses efforts (l. 11-12).

Au début et à la fin de l’extrait, votre lecture doit évoquer le plaisir presque sensuel que Colette, sa mère et ses frères éprouvaient au contact de la nature.

Situer le texte, en dégager l’enjeu

Montrez comment, dans ce portrait nuancé, Colette se montre critique envers son père, tout en se reprochant d’avoir été trop dure avec lui.

Ce texte parle aussi de poésie : en quoi la sensibilité poétique du Capitaine diffère-t-elle de celle du reste de sa famille ?

2. La question de grammaire

Cette phrase comporte quatre verbes conjugués (soulignez-les en les reliant à leur sujet), donc quatre propositions. Attention à l’emboîtement de certaines propositions !

Relevez les mots subordonnants qui introduisent les trois propositions subordonnées : quelle est la nature de chacun d’eux ?

1. L’explication de texte

Introduction

[Présenter le contexte] Dans Sido, récit autobiographique dédié à sa mère, Colette consacre à son père la deuxième partie, intitulée « Le Capitaine ». [Situer le texte] Tout en reprenant les thèmes centraux de son œuvre (la célébration de la nature, la figure sacrée de la mère), Colette y brosse un portrait nuancé, à la fois critique et tendre, de son père. [En dégager l’enjeu] Comment, à travers ce portrait, ce père lui apparaît-il rétrospectivement comme un poète manqué, dont la sensibilité diffère de celle de la famille, et comme un homme profondément attaché aux siens ?

Explication au fil du texte

Un père qui détonne dans la famille (l. 1 à 10)

Le passage s’ouvre sur une phrase très courte, qui tente de résumer en peu de mots les contradictions du père. Car les deux attributs du sujet utilisés ici sont antithétiques, comme le concrétise nettement l’utilisation irrégulière de la virgule avant la conjonction de coordination « et ». Cette phrase est ainsi programmatique : elle annonce les ambiguïtés de la figure paternelle et la réflexion, à laquelle conduit ce portrait, sur ce qu’est un poète authentique.

La phrase suivante explique pourquoi le père ne peut être un véritable poète : il n’a aucune sensibilité à la nature, contrairement à sa femme, que Colette compare à Antée (ce géant de la mythologie grecque qui s’affaiblissait s’il perdait le contact direct avec la terre). Le jeu d’antithèses permet d’opposer le père et la mère : « reprendre vie/éteignait » ; « touchait la terre/s’y comporta en exilé ».

info

Ce passage peut faire penser à Autant en emporte le vent, de Margaret Mitchell dans lequel Scarlett, elle-même comparée à Antée dans le roman, ne vit véritablement qu’au contact de la terre familiale qu’elle possède, dans le vieux Sud américain.

Le deuxième paragraphe reprend le thème de l’exil, avec une longue énumération des raisons politiques qui éloignaient le père de la campagne. La ville apparaît alors comme un lieu sans authenticité (ce que suggère le chiasme qui oppose l’« humaine rumeur » des villes, confuse et embrouillée, à la « voix humaine », plus naturelle), et un lieu étriqué, alors que la campagne permet, elle, un véritable épanouissement (l. 10).

Pourtant, Colette semble nuancer sa critique : en plaçant l’adjectif « Injustes » (l. 8) en apposition, au début de la phrase, elle se reproche l’intolérance et l’ingratitude avec lesquelles elle considérait ce père trop différent. Pour expliquer cette intolérance, elle évoque l’existence qu’elle menait alors en vase clos, sauvage, « loin des hommes », incapable donc de s’ouvrir à l’altérité.

Une anecdote révélatrice (l. 11 à 30)

Dans cette deuxième partie, Colette illustre ce portrait en demi-teinte par l’anecdote des « parties de campagne » organisées par son père. À la ligne 11, le recours au présent d’énonciation montre que Colette a maintenant plus de recul pour apprécier avec justice les attentions de son père. Toute une série de verbes soulignent les efforts entrepris : « il cherchait » ; « Mon père manifestait » ; « il essayait une humeur joviale » ; « s’accordait une heure de pêche ».

à noter

Dans un récit autobiographique, souvent raconté au passé, l’auteur utilise le présent d’énonciation pour renvoyer au moment de l’écriture.

Pourtant, le père reste malgré tout un homme de la ville : son attachement au dimanche est un « besoin urbain », typique des citadins. Dès lors, tous ses efforts sonnent faux, et il apparaît comme un mauvais comédien, qui surjoue un peu la bonne humeur (ce qu’évoque l’adverbe « plaisamment ») et qui a recours à d’inutiles accessoires pour jouer son rôle (les pliants et les cannes).

Le reste de la famille témoigne d’une relation plus authentique, plus directe, à la nature : ces « sylvains aux pieds légers » n’ont besoin ni de voiture ni de pliants, préfèrant une nourriture simple aux « victuailles » préparées par le père. Cette authenticité s’éprouve aussi à travers le lexique religieux (« sylvains » ; « notre culte bocager ») qui confère à la nature une dimension sacrée.

Enfin, au contraire d’un père qui aime déclamer des vers, Colette et ses frères préfèrent le silence, et c’est significativement sur ce terme que se clôt cette partie. Au fond, la véritable poésie de la nature se dispense de mots, de cet artifice que peut être le langage ; elle passe par un contact profond et sensuel avec la nature, comme le confirme la dernière partie de cet extrait.

La mère, point d’équilibre de la famille (l. 31 à 34)

Un bref paragraphe conclut l’anecdote des parties de campagne, en écartant la figure paternelle. La mère incarne seule cette profonde intimité avec la nature qu’elle a transmise à ses enfants. On notera à cet égard l’impression d’étroite proximité que suggèrent les groupes prépositionnels (« au bord de l’étang » ; « contre elle » ; « sur l’herbe fine ») et le surgissement d’une certaine sensualité (« l’herbe fine et jonceuse » évoque des sensations tactiles).

Mais, plus encore, la mère joue un rôle essentiel dans ce tableau final, comme le soulignent la fonction sujet du groupe « seule ma mère » et sa place centrale dans cette longue phrase. L’amour maternel est un trait d’union essentiel entre les êtres si disparates qui constituent cette famille, entre le père citadin et les « enfants sauvages ». Ainsi peut-on comprendre l’oxymore de « l’herbe fine et jonceuse » (le jonc possède une tige épaisse et plutôt rugueuse), à laquelle se mêle la bruyère rouge : la nature elle-même est le reflet de cette famille unie malgré ses dissemblances.

Conclusion

[Faire le bilan de l’explication] Dans la suite du récit, une voyante affirme à Colette : « vous représentez tout ce qu’il aurait tant voulu être sur la terre. » Comme le montre cet extrait, le père ne peut être un bon poète parce qu’il ne sait pas s’abandonner à la nature : son amour pour les siens et ses efforts pour leur plaire ne peuvent masquer une pratique certes passionnée, mais artificielle de la poésie. [Mettre le texte en perspective] Ce lien étroit entre nature et poésie rappelle Naissance de l’Odyssée (1930), roman de Jean Giono dans lequel le héros grec Ulysse, de retour chez lui après dix ans d’absence, retrouve la nature sensuelle de son île natale et découvre en même temps le pouvoir de la parole poétique.

2. La question de grammaire

« [La campagne, [où ma mère semblait se sustenter de toute sève, et reprendre vie] [à chaque fois qu’en se baissant elle en touchait la terre], éteignait mon père], [qui s’y comporta en exilé.] »

La phrase comprend quatre verbes conjugués (en couleur), donc quatre propositions (entre crochets) :

une proposition principale, dans laquelle s’emboîtent les deux propositions suivantes ;

une proposition subordonnée relative, apposée au nom « campagne » puisqu’elle en est séparée par une virgule, introduite par le pronom relatif « où » ;

une proposition subordonnée conjonctive circonstancielle de temps, introduite par la locution conjonctive « à chaque fois qu’ » ;

une proposition subordonnée relative, apposée au nom « père », introduite par le pronom relatif « qui ».

Des questions pour l’entretien

Lors de l’entretien, vous devrez présenter une autre œuvre lue au cours de l’année. L’examinateur introduira l’échange et vous posera quelques questions. Celles ci-dessous sont des exemples.

1 Je vous remercie pour votre présentation du roman Dans la forêt (1996), de Jean Hegland. Quelle place la nature y occupe-t-elle ?

Dans le monde post-apocalyptique évoqué par ce roman, deux sœurs doivent survivre sans les repères et les objets traditionnels de la civilisation, en apprenant donc à mieux connaître la faune et la flore de leur forêt.

2 En quoi ce roman invite-t-il à une célébration originale de la nature ?

En vivant un véritable dépouillement, les deux héroïnes restaurent avec la nature un lien que les technologies du monde moderne avaient rompu.

3 Pourquoi la forêt aide-t-elle à préserver une forme d’humanité ?

Privées de leurs parents, les deux sœurs apprennent à être plus solidaires. Cet espace intime et sensuel qu’est la forêt les aide dans cette tâche.

4 En quoi la nature apparaît-elle pourtant comme un lieu ambigu ?

Elle est à la fois un refuge où les sœurs peuvent acquérir une forme de liberté ; mais elle est aussi, comme dans les contes, le lieu inquiétant des pulsions obscures et des monstres, et les sœurs n’en sont pas épargnées.

 

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