Colette, Sido
ORAL
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Sujet d’oral • Explication & entretien
Colette, Sido, les tempêtes hivernales
1. Lisez ce texte à voix haute.
Puis proposez-en une explication linéaire.
DOCUMENT
La narratrice se souvient de son enfance à Saint-Sauveur-en-Puisaye, et plus particulièrement des tempêtes hivernales.
Il y avait dans ce temps-là de grands hivers, de brûlants étés. J’ai connu, depuis, des étés dont la couleur, si je ferme les yeux, est celle de la terre ocreuse, fendillée entre les tiges du blé et sous la géante ombelle du panais sauvage1, celle de la mer grise ou bleue. Mais aucun été, sauf ceux de mon enfance, ne commémore le géranium écarlate et la hampe enflammée des digitales2. Aucun hiver n’est plus d’un blanc pur à la base d’un ciel bourré de nues ardoisées3, qui présageaient une tempête de flocons plus épais, puis un dégel illuminé de mille gouttes d’eau et de bourgeons lancéolés4… Ce ciel pesait sur le toit chargé de neige des greniers à fourrages, le noyer nu, la girouette, et pliait les oreilles des chattes… La calme et verticale chute de neige devenait oblique, un faible ronflement de mer lointaine se levait sur ma tête encapuchonnée, tandis que j’arpentais le jardin, happant la neige volante… Avertie par ses antennes, ma mère s’avançait sur la terrasse, goûtait le temps, me jetait un cri :
– La bourrasque d’Ouest ! Cours ! Ferme les lucarnes du grenier !… La porte de la remise aux voitures !… Et la fenêtre de la chambre du fond !
Mousse5 exalté du navire natal, je m’élançais, claquant des sabots, enthousiasmée si du fond de la mêlée blanche et bleu noir, sifflante, un vif éclair, un bref roulement de foudre, enfants d’Ouest et de Février, comblaient tous deux un des abîmes du ciel… Je tâchais de trembler, de croire à la fin du monde.
Mais dans le pire du fracas ma mère, l’œil sur une grosse loupe cerclée de cuivre, s’émerveillait, comptant les cristaux ramifiés6 d’une poignée de neige qu’elle venait de cueillir aux mains même de l’Ouest rué7 sur notre jardin…
Colette, Sido, 1930.
1. Ombelle : ensemble sphérique de fleurs qui partent du même point de la tige ; panais sauvage : plante dont la racine est comestible.
2. Hampe : tige ; digitales : plantes dont les fleurs sont en forme de petites cloches.
3. Nues : nuages ; ardoisées : grises comme des ardoises.
4. Lancéolés : qui ont la forme de la pointe métallique du bout d’une lance.
5. Mousse : jeune marin.
6. Ramifiés : se divisant en petites branches.
7. Rué : qui s’est précipité avec force.
2. question de grammaire.
Étudiez l’expression de la négation dans la phrase :
« Mais aucun été, sauf ceux de mon enfance, ne commémore le géranium écarlate et la hampe enflammée des digitales. » (l. 4-6)
Conseils
1. Le texte
Faire une lecture expressive
Faites sentir la différence de ton entre la narration, marquée par la remémoration, et le discours direct de Sido, exclamatif et injonctif.
Le rythme du texte évolue progressivement : n’hésitez pas à exprimer le fracas de la tempête lorsqu’elle arrive !
Situer le texte, en dégager l’enjeu
L’extrait décrit l’un des nombreux souvenirs d’enfance évoqués par la narratrice de Sido. Qu’est-ce qui fait son originalité ?
Demandez-vous comment Colette célèbre les intempéries de l’hiver et quel portrait de sa mère cette évocation construit en creux.
2. La question de grammaire
Repérez d’abord les termes qui construisent la négation.
Sur quel constituant de la phrase cette négation porte-t-elle ? Quelle est sa valeur ?
1. L’explication de texte
Introduction
[Présenter le contexte] Magistralement mise en œuvre par des écrivains comme Marcel Proust, l’écriture du souvenir constitue une veine littéraire importante dans la première moitié du xxe siècle. [Situer le texte] Dans Sido, Colette évoque son enfance dans un village rural de l’Yonne, et notamment le jardin de la maison familiale, marqué par la présence maternelle. [En dégager l’enjeu] Comment Colette, se rappelant les saisons de son enfance, célèbre-t-elle les intempéries de l’hiver ? Quel portrait de sa mère cette évocation construit-elle ?
Explication au fil du texte
Le souvenir de saisons extrêmes (l. 1-9)
Un souvenir indéfini et démesuré
Le texte inscrit immédiatement l’évocation du passé dans une atmosphère merveilleuse. L’extrait commence à l’imparfait, sur le ton indéfini du conte : « Il y avait dans ce temps-là » rappelle la formule consacrée « Il était une fois… ».
D’emblée, l’auteure essaie de retrouver le regard enfantin qu’elle posait sur le monde. Le thème du cycle des saisons est annoncé : « de grands hivers, de brûlants étés ». Les adjectifs semblent mimer la sensibilité de Colette enfant, pour qui tout paraissait alors démesuré.
L’évocation de l’été
L’évocation des saisons estivales est de l’ordre de la recréation mentale, comme le montre la subordonnée circonstancielle « si je ferme les yeux ». Elle fait la part belle aux sensations visuelles (« terre ocreuse », « mer grise ou bleue »).
Cependant les saisons de l’enfance conservent un caractère singulier, quelque chose d’unique. L’auteure crée un contraste entre les étés plus récents et « ceux de [son] enfance ». Ces derniers font l’objet d’une véritable célébration, que renforce la précision du lexique : « […] ne commémore le géranium écarlate et la hampe enflammée des digitales ».
L’évocation de l’hiver
Le cycle naturel entier des saisons est célébré pour sa beauté, comme le montre le parallélisme entre « aucun été » (l. 5) et « Aucun hiver » (l. 6).
L’évocation s’étend alors au souvenir des hivers, dont la pureté, symbolisée par la couleur blanche, semble disparue depuis longtemps : « Aucun hiver n’est plus d’un blanc pur […] ». Le temps de l’enfance, idéalisé, est bel et bien révolu.
[Transition] L’hiver de l’enfance fascine par ses métamorphoses merveilleuses : aux « nues ardoisées » succèdent la « tempête de flocons », puis les « mille gouttes d’eau » du dégel.
L’arrivée des tempêtes hivernales (l. 9-15)
La présence physique de l’hiver
L’hiver se caractérise par la présence des flocons, qui recouvrent la maison tout entière et le jardin, et par un ciel tellement bas qu’il semble être en contact avec les choses et les êtres : « Ce ciel pesait sur le toit […] et pliait les oreilles des chattes… ».
Mais des indices visuels et sonores annoncent une évolution inquiétante : « La calme et verticale chute de neige devenait oblique, un faible ronflement de mer lointaine se levait […]. »
Une tempête qui s’approche
La narratrice glisse de l’évocation générale des hivers au récit d’une tempête hivernale en particulier, qui met en scène l’enfant qu’elle a été. Son insouciance de petite fille (« j’arpentais le jardin, happant la neige volante ») contraste plaisamment avec la dangereuse tempête en train de se lever.
[Transition] Sa mère, Sido, apparaît, elle, comme une sorte de prophétesse qui communique avec la nature grâce à ses « antennes ». Comme sa fille, elle « goûte le temps », mais y lit des présages, car elle connaît le langage secret des éléments.
La figure maternelle au cœur de la tempête (l. 16-27)
Le branle-bas de combat
D’un seul coup, la scène devient très vivante : il faut se protéger face aux éléments sur le point de se déchaîner. Les injonctions de la mère, rapportées au discours direct se multiplient : « La bourrasque d’Ouest ! Cours ! Ferme les lucarnes du grenier !… ».
à noter
Dans la mythologie grecque, Zéphyr est le dieu du vent d’ouest. Dans l’œuvre de Colette, Sido, telle une déesse, se trouve invariablement au centre de la rose des vents.
L’enfant se prend alors au jeu, comme le montre la métaphore du « mousse exalté du navire natal », obéissant aux ordres de son capitaine. Les apparitions d’un « vif éclair, [d’] un bref roulement de foudre », repris sous la forme d’allégories (« enfants d’Ouest et de Février »), sont attendues par la petite fille « enthousiasmée » et avide de frissons.
Le plaisir enfantin réside dans la fausse croyance que tout peut s’écrouler : « Je tâchais de trembler, de croire à la fin du monde. »
Une mère protectrice
Au milieu de cette tempête, la mère apparaît comme une figure rassurante, véritable déesse protectrice du foyer. Sa sérénité contemplative (« l’œil sur une grosse loupe cerclée de cuivre ») contraste avec le déchaînement des éléments (« dans le pire du fracas » ; « l’Ouest rué sur notre jardin »).
Le texte se clôt sur l’image marquante de Sido qui « […] s’émerveillait, comptant les cristaux ramifiés d’une poignée de neige », où s’expriment une tendre ironie et une vive admiration pour cette mère hors du commun.
Conclusion
[Faire le bilan de l’explication] Dans ce texte, Colette célèbre la beauté des hivers de son enfance, intimement liés au souvenir d’une mère « puissante » qui paraît commander aux éléments.
[Mettre le texte en perspective] De cette figure maternelle, qui semble vivre en osmose avec la nature, la narratrice a bel et bien hérité ce regard attentif posé sur le monde, à l’origine d’œuvres comme Sido ou Les Vrilles de la vigne.
2. La Question de grammaire
« Mais aucun été, sauf ceux de mon enfance, ne commémore le géranium écarlate et la hampe enflammée des digitales. »
La négation syntaxique est exprimée par la locution négative, formée du déterminant indéfini aucun (qui détermine le nom été) et de l’adverbe ne.
La négation est partielle car elle porte sur un seul constituant de la phrase (son sujet), et non sur la phrase entière. Elle a une valeur descriptive.
La négation est nuancée par le groupe prépositionnel en apposition « sauf ceux de mon enfance » : Colette souligne ainsi la singularité de ces lointaines saisons estivales, qui sont les seules à ne pas être concernées par la négation.
Des questions pour l’entretien
Lors de l’entretien, vous devrez présenter une autre œuvre lue au cours de l’année. L’examinateur introduira l’échange et vous posera quelques questions. Celles ci-dessous sont des exemples.
1 Je vous remercie pour votre présentation des Rêveries du promeneur solitaire de Jean-Jacques Rousseau. Quel lien pouvez-vous faire entre cette œuvre et le texte étudié ?
L’œuvre de Rousseau et le texte de Colette donnent une place essentielle au regard posé sur la nature : regard rétrospectif et poétique pour Colette, regard philosophique pour Rousseau. Celui-ci se détache ainsi des affres de la vie quotidienne, afin de se livrer à ses méditations, « seul sur la terre, n’ayant plus de frère, de prochain, d’ami, de société que [lui]-même ».
2 Quel regard Rousseau pose-t-il sur les plantes qu’il découvre au fur et à mesure de ses « promenades » ?
Rousseau pose un regard de connaisseur sur les plantes qu’il découvre : il les observe de manière précise et les classifie scientifiquement. Elles sont pour lui une source de plaisir et de fascination.
3 Dans cette œuvre, de quelle manière l’expérience du monde amène-t-elle à la réflexion philosophique ?
Les diverses expériences et anecdotes dont parle Rousseau (par exemple, la découverte de la grotte isolée dans la septième promenade) sont propices à une réflexion profonde sur l’être humain et son rapport au bonheur.