La liberté
Corrigé
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La morale
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Amérique du Nord • Mai 2012
La liberté ne consiste […] pas dans des déterminations indépendantes de l'action des objets, et de toute influence des connaissances que nous avons acquises. Il faut bien que nous dépendions des objets par l'inquiétude
La liberté consiste donc dans des déterminations, qui, en supposant que nous dépendons toujours par quelque endroit de l'action des objets, sont une suite des délibérations que nous avons faites, ou que nous avons eu le pouvoir de faire.
Confiez la conduite d'un vaisseau à un homme qui n'a aucune connaissance de la navigation, le vaisseau sera le jouet des vagues. Mais un pilote habile en saura suspendre, arrêter la course ; avec un même vent il en saura varier la direction ; et ce n'est que dans la tempête que le gouvernail cessera d'obéir à sa main. Voilà l'image de l'homme.
Condillac, Traité des sensations, 1754.
Dégager la problématique du texte
Suffit-il de produire des déterminations indépendamment de tout pour être libre ? Mais est-il seulement possible d'être dans un état de totale indépendance ? L'homme est avant tout un être de besoin, toujours dans un état de manque. La liberté doit être définie par rapport à cette condition humaine. Seules la connaissance et la délibération par rapport à une action sur ces objets manquants donnent un espace à une liberté possible.
Repérer la structure du texte et les procédés d'argumentation
- Il s'agit dans un premier temps d'étudier la possibilité pour un homme d'être libre indépendamment des objets sur lesquels il veut agir.
- Puis comprenant que nous sommes toujours dépendants des objets qui nous manquent et que seule la connaissance de leur influence possible permet de s'en libérer, l'auteur propose dans un second temps une définition de la liberté comme délibération sur les choix par rapport aux objets dont on dépend.
- Pour appuyer sa démonstration, l'auteur illustre son propos par l'image d'un homme qui pilotera d'autant mieux son bateau qu'il connaîtra l'art de la navigation, afin d'échapper s'il le peut aux difficultés de la mer.
Éviter les erreurs
- L'auteur utilise deux niveaux d'analyse qu'il ne faut pas confondre : l'essence, la définition de la liberté, et son existence, c'est-à-dire son inscription dans une réalité à laquelle l'homme ne peut échapper.
- Il convient de rendre compte du contenu du texte (la thèse de l'auteur), mais aussi de sa structure : l'auteur appuie sa thèse sur une explication et un raisonnement par l'absurde dans le premier paragraphe. Puis il en déduit une définition qu'il illustre avec l'image du pilote.
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Introduction
Être
Si l'indépendance absolue semble compromise, cela ne signifie pas pour autant que la liberté est impossible. En effet, Condillac, dans cet extrait du Traité des sensations, définit la liberté comme étant l'ensemble des
Pour expliquer cette thèse paradoxale, il part dans un premier paragraphe du constat de notre dépendance liée à notre condition humaine, et montre que c'est par l'expérience des objets du réel que l'on acquiert la connaissance nécessaire à notre émancipation. Il en déduit alors, dans une seconde partie, une définition de la liberté issue des
1. La liberté ne réside pas dans des déterminations indépendantes des objets
A. L'homme, être de besoin, dépend des objets qui lui manquent
La liberté peut être envisagée selon une définition négative comme absence d'obstacle. En ce sens,
Le problème est alors de savoir comment l'homme peut exercer cette volonté, dans un monde qui a ses propres règles de nécessité et dans lequel il est nécessairement engagé, ne serait-ce que par sa dépendance aux objets dont il a besoin pour survivre (air, nourriture, abris…). Hegel, dans Esthétique, affirme en ce sens que la conscience de soi passe par l'action de l'homme dans le monde auquel il ne peut échapper. Comment concilier alors la liberté, la possibilité d'être à l'origine de son action sur le monde et le fait d'en être dépendant ?
B. Seule l'expérience donne une connaissance permettant
de se régler sur le monde
Le monde nous préexiste et, en ce sens, il faut bien « que nous nous réglions d'après notre expérience sur le choix de ce qui peut nous être utile » : ce n'est que par la
Si nous devons nous régler sur les objets du réel grâce à l'expérience que nous en avons, peut-on imaginer cependant qu'on puisse exercer sa volonté par une pure décision rationnelle indépendante de toute connaissance expérimentale ?
C. L'homme ne peut vouloir quelque chose qu'il ne connaît pas
Pour Condillac, il ne semble pas possible d'acquérir des connaissances autrement que par les sens, et en cela il est un
Imaginons que nous voulions quelque chose que nous ne connaissons pas, nous pourrions vouloir cette chose tout en étant persuadés qu'elle peut nous nuire. Nous souhaiterions alors quelque chose contre nous, « nous voudrions notre mal pour notre mal », or il est évident que, même si on ne s'accorde pas sur la définition du bien et du mal, personne ne veut son propre mal. L'hypothèse d'une liberté par ignorance est donc fausse.
Ainsi, au terme de ce premier paragraphe, l'auteur a
2. La liberté est donc issue des délibérations
sur ces objets
A. Malgré notre dépendance aux objets, on peut délibérer sur eux
Après avoir écarté les fausses définitions de la liberté et affirmé l'impossibilité d'échapper au déterminisme, Condillac propose une nouvelle définition qui tient compte de la dépendance de l'homme. Il s'agit non pas de nier la nécessité des choses mais au contraire de montrer que c'est contre et par elles que la liberté est possible. La liberté consiste, selon l'auteur, « dans des déterminations, qui […] sont une suite des délibérations que nous avons faites, ou que nous avons eu le pouvoir de faire ».
Une
B. Un navigateur habile peut bien agir sur les mouvements de la mer
Pour le comprendre, Condillac nous donne une
La liberté étant en ce sens possible, elle n'en reste pas moins limitée. En effet, si le navigateur est parvenu à surmonter la force des vents et les mouvements de l'eau, il n'en reste pas moins à l'abri d'une « tempête » qui peut, pour finir, avoir raison de lui, de la même manière que l'homme peut trouver un chemin d'action au sein du déterminisme, en agissant sur ce qui reste contingent. En revanche, l'homme malgré sa liberté possible, peut rencontrer la limite de la nécessité des choses.
C. L'homme surmontera d'autant plus librement les obstacles qu'il sera expérimenté
Ainsi, l'homme sera d'autant plus libre au sein d'un monde déjà déterminé qu'il en comprendra la nécessité. Descartes dans son Discours de la méthode, affirme qu'on est d'autant plus libre que l'on agit en connaissance de cause. La
On peut rapprocher ce texte de la conception sartrienne, qui affirme que l'homme sera d'autant plus libre qu'il se confrontera à un obstacle, tel l'alpiniste qui se sert d'un rocher proéminant comme d'un tremplin pour aller plus haut, au lieu de rester tétanisé devant la difficulté.
Déjà inscrit dans une situation donnée, l'homme a cependant la possibilité d'exercer sa liberté, et cela d'autant plus efficacement qu'il sera expérimenté.
Conclusion
Condillac pose dans ce texte le problème d'une inévitable inscription de l'homme dans un déterminisme menaçant sa liberté. La liberté est cependant possible si on la définit, non pas comme absence de contraintes ou indépendance, mais comme connaissance des objets qui s'imposent à l'homme. Cette connaissance, issue de l'expérience que l'on fait des objets, est à l'origine des délibérations qui permettront de déterminer des actions possibles.
Condillac nous propose donc une définition de la liberté qui tient compte de la condition humaine où l'homme, être de besoin, est déjà inscrit dans le monde. La liberté naît alors de
La connaissance de la doctrine de l'auteur n'est pas requise. Il faut et il suffit que l'explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.