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Corneille, Le Menteur, acte I, scène 3

Sujet d’oral • Explication & entretien

Corneille, Le Menteur, acte I, scène 3

20 minutes

20 points

1. Lisez le texte à voix haute.

Puis proposez-en une explication.

document

La scène 3 de l’acte i relève de l’exposition et contient le premier mensonge de Dorante aux « dames » qu’il vient de rencontrer aux Tuileries.

Clarice

Quoi, vous avez donc vu l’Allemagne, et la guerre ?

Dorante

Je m’y suis fait quatre ans craindre comme un tonnerre.

Cliton

Que lui va-t-il conter ?

Dorante

                                    Et durant ces quatre ans

Il ne s’est fait combats, ni sièges importants,

Nos armes n’ont jamais remporté de victoire,

Où cette main n’ait eu bonne part à la gloire,

Et même la Gazette1 a souvent divulgué…

Cliton, le tirant par la basque2.

Savez-vous bien, Monsieur, que vous extravaguez3 ?

Dorante

Tais-toi.

Cliton

             Vous rêvez, dis-je, ou…

Dorante

                                                  Tais-toi, misérable.

Cliton

Vous venez de Poitiers, ou je me donne au Diable,

Vous en revîntes hier.

Dorante, à Cliton.

                                 Te tairas-tu, maraud4 ?

                                    À Clarice.

Mon nom dans nos succès s’était mis assez haut

Pour faire quelque bruit, sans beaucoup d’injustice,

Et je suivrais encore un si noble exercice,

N’était que l’autre hiver faisant ici ma Cour

Je vous vis, et je fus retenu par l’amour.

Attaqué par vos yeux, je leur rendis les armes,

Je me fis prisonnier de tant d’aimables charmes,

Je leur livrai mon âme, et ce cœur généreux

Dès ce premier moment oublia tout pour eux.

Vaincre dans les combats, commander dans l’Armée,

De mille exploits fameux enfler ma renommée,

Et tous ces nobles soins qui m’avaient su ravir,

Cédèrent aussitôt à ceux de vous servir.

Corneille, Le Menteur, acte i, scène 3, 1644.

1. La Gazette de France était un journal d’information connu des spectateurs de l’époque.

2. Basque : partie inférieure d’une veste.

3. Extravaguer : déraisonner.

4. Maraud : vaurien.

2. question de grammaire.

Transformez la première interrogative directe de Clarice (v. 1) en interrogative indirecte et commentez toutes les modifications opérées.

 

Conseils

1. Le texte

Faire une lecture expressive

Faites entendre le mensonge de Dorante en accusant l’emphase de sa fanfaronnade.

Le ton doit mettre en valeur le comique de situation : étonné de la part de Clarice ; offusqué chez Cliton ; entre assurance et injure pour le menteur.

Situer le texte, en dégager l’enjeu

Participant à l’exposition, la scène contribue à camper le décor et les protagonistes de la pièce.

Montrant pour la première fois le menteur en action, le texte annonce une comédie d’intrigue autant que de caractère.

2. La question de grammaire

Relevez les marqueurs grammaticaux de l’interrogative directe (pronom, signe de ponctuation…).

Construisez la principale à laquelle sera rattachée la subordonnée interrogative indirecte, en identifiant le locuteur et en mobilisant un verbe de parole/questionnement.

1. L’explication de texte

Introduction

[Présenter le contexte] En 1644, avec Le Menteur, Corneille revient au genre de la comédie, après s’être illustré dans celui de la tragédie aux accents héroïques. Anti-Rodrigue, Dorante nourrit la pièce de ses mensonges, selon les principes d’une esthétique baroque. [Situer le texte] Dès les premières scènes du drame, le protagoniste révèle son penchant à l’affabulation : face à deux femmes rencontrées aux Tuileries, il prétend s’être distingué durant la guerre de Trente Ans. [En dégager l’enjeu] En quoi la scène 3 de l’acte I relève-t-elle de l’exposition ? Nous nous interrogerons d’abord sur la fonction du récit théâtral porté par le personnage du menteur, puis sur le rôle de l’échange en aparté avec le valet ; enfin, nous étudierons le caractère protéiforme du protagoniste.

Explication au fil du texte

Le récit théâtral de la guerre de Trente Ans (v. 1-7)

L’interrogation totale de Clarice manifeste sa surprise d’apprendre que Dorante a fait la guerre, étonnement renforcé par le pronom exclamatif « Quoi » et souligné par un niveau de langue familier qui ne pratique pas l’inver­sion du sujet.

Placée sous le signe de l’hyperbole, la réponse de Dorante l’apparente à un Matamore ; le champ lexical de la terreur (« craindre ») et la comparaison (« comme un tonnerre ») soulignent sa vantardise.

mot clé

Un Matamore est un personnage type de la comédie, incarnant le soldat fanfaron qui se vante de ses prétendus exploits, tel celui mis en scène par Corneille dans L’Illusion comique.

La mention chiffrée « quatre ans » relève des realia (choses réelles de l’époque de Corneille) qui permettent simultanément au dramaturge d’ancrer sa pièce dans une temporalité historique et au personnage de donner de la vraisemblance à son mensonge.

En aparté, la question de Cliton, directe et partielle, introduite par le pronom « que », revêt une fonction métathéâtrale : elle signale à l’attention du public l’émergence du mensonge dans la bouche du maître.

La tirade de Dorante prend la forme d’un récit théâtral. Le jeune homme puise abondamment dans le lexique de l’armée avec « combats », « sièges », « armes », « victoire », « gloire », de manière à donner à voir la guerre à son interlocutrice comme au spectateur, selon le principe de la double énonciation. La négation présente notamment à travers la locution « n’ont jamais » et le « ne » explétif « n’ait eu » soulignent le caractère inédit des exploits du personnage. La référence à « La Gazette » cherche à accréditer le mensonge de Dorante et signale simultanément son audace à mentir.

à noter

Créée par Théophraste­ Renaudot en 1631, La Gazette est le premier journal d’infor­ma­tion français, considéré comme sérieux et crédible.

L’aposiopèse qui interrompt le morceau de bravoure de Dorante est éclairée par la didascalie qui suit, « le tirant par la basque ». Le jeu de scène avec le vêtement traduit le malaise du valet face à l’effronterie de son maître ; ce comique de geste met en relief l’affabulation de Dorante.

L’échange en aparté avec le valet (v. 8-11)

L’interrogation de Cliton exprime sa stupéfaction en dépit du respect qu’il doit à son maître, désigné par le titre « Monsieur ». Le verbe extravaguer renvoie à l’état d’une personne qui a perdu la raison et se rapproche de la folie. La propension au mensonge se trouve présentée comme pathologique.

Dorante coupe court à l’impertinence de son valet par des injonctions laconiques à l’impératif et au futur d’ordre, et des apostrophes à connotations péjoratives avec « misérable » et « maraud » : il souhaite faire taire le domestique qui constitue un obstacle à sa stratégie de séduction.

À l’imagination débridée de Dorante, son valet oppose des notations spatio-temporelles bien ancrées (« Poitiers », « hier »), comme pour le ramener à la réalité.

Du soldat au galant : un menteur protéiforme (v. 12-24)

À l’agacement succède à nouveau la fanfaronnade. Dorante s’invente une réputation militaire avec le champ lexical correspondant – « nom », « succès », « bruit », « noble exercice » – et l’usage du déterminant possessif de la première personne du singulier opposé aux pluriels (« mon nom », « ma Cour » versus « vous vis », « vos yeux »). Il feint pourtant la modestie à l’aide de litotes (« assez haut », « quelque bruit »).

Le récit ménage ses effets : la conjonction de coordination « Et » (v. 14) prend une valeur chronologique ; le conditionnel « je suivrais » signale un bouleversement dans le cours des événements ; la négation restrictive « N’était que » annonce une exception ; les compléments circonstanciels, « l’autre hiver faisant ici ma Cour », retardent le moment de la rencontre amoureuse.

Le topos du coup de foudre est mis en valeur par le lexique de la vue avec « vis », « vos yeux » et souligné par l’allitération en [v]. Le passé simple indique le caractère décisif de cette entrevue.

Dorante est influencé par la tradition galante : l’amour est donné comme un ensorcellement où la volonté n’a plus cours (comme en témoignent le mot « charmes », la voix passive « je fus retenu » et la forme pronominale « je me fis prisonnier »). La rhétorique amoureuse s’exprime par la personnification de la passion et la synecdoque des « yeux ».

La rime riche, qui à « charmes » associe « armes », introduit la métaphore guerrière filée avec « attaqué », « rendis les armes », « prisonnier », « livrai ». Le fanfaron rapporte ainsi la chronologie d’une défaite. La syllepse « cœur » joue sur les deux sens du mot : le siège des sentiments, mais aussi du courage, réunissant ainsi les facettes du séducteur et du brave.

La fin de la tirade amplifie la déclaration : Dorante prétend renoncer à la noblesse d’épée pour celle du cœur. Les infinitifs (« vaincre », « commander ») et les hyperboles (« mille exploits », « nobles soins ») sont balayés sans délai par le nouvel impératif amoureux, celui de « servir » la dame.

Conclusion

La scène 3 de l’acte I met le menteur en action : Dorante y commet sa première affabulation pour séduire Clarice. Si cette dernière est bien dupée sous le regard incrédule du valet Cliton, le spectateur, plus averti que les personnages, a de quoi être intrigué par ce fanfaron doublé d’un séducteur. Le registre épique se met au service de la rhétorique galante et dévoile un protagoniste protéiforme, capable de changer de masque à la première occasion, mais aussi de créer un imbroglio par son art du double discours. L’exposition annonce ainsi une comédie profondément baroque.

2. La question de grammaire

« Quoi, vous avez donc vu l’Allemagne, et la guerre ? »

Étonnée, Clarice demande à Dorante s’il a bien vu l’Allemagne et la guerre.

Le pronom « quoi » apparaît davantage exclamatif qu’interrogatif, c’est pourquoi on le transcrit par le participe passé « étonnée ». L’interrogative indirecte construite est introduite par la conjonction « si » puisqu’il s’agit d’une interrogation totale.

Des questions pour l’entretien

Lors de l’entretien, vous devrez présenter une autre œuvre lue au cours de l’année. L’examinateur introduira l’échange et vous posera quelques questions. Celles ci-dessous sont des exemples.

1 Je vous remercie pour votre présentation de la pièce Les Fausses Confidences (1737) de Marivaux. En quoi les confidences sont-elles fausses ?

L’oxymore du titre apparaît paradoxal puisque la confidence requiert en principe confiance et sincérité, à l’opposé de la fausseté. Pourtant chez Marivaux, la confidence est fausse, non pas tant par son contenu que par la manière dont elle est faite. Le valet Dubois, maître du jeu, livre à la jeune veuve Araminte que son intendant est follement épris d’elle ; l’aveu est vrai, mais le domestique cache la complicité qui le lie à l’amoureux Dorante.

2 Pourquoi les personnages mentent-ils dans la pièce de Marivaux ?

Chez Marivaux, les personnages que sont Dubois et Dorante mentent pour provoquer et faire triompher l’amour. Seul le mensonge permet de dépasser l’obstacle que constitue la norme sociale de l’époque : les fausses confidences garantissent la possibilité d’un mariage d’amour. Pourtant, le mensonge apparaît aussi chez le personnage d’Araminte comme une façon de dévoiler ses sentiments sans en avoir l’air, de s’acheminer contre toute attente vers la vérité du cœur.

3 Quel est votre passage préféré dans la comédie ?

La scène 12 de l’acte iii apparaît comme un moment de grande intensité dramatique : les amants s’avouent mutuellement leurs sentiments de manière touchante, mais c’est aussi l’occasion pour Dorante de révéler tous les mensonges qui ont conduit jusqu’à ce dénouement. Et la jeune femme de conclure : « Il est permis à un amant de chercher les moyens de plaire, et on doit lui pardonner lorsqu’il a réussi. »

 

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