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Corneille, Le Menteur, acte V, scène 3

Sujet d’oral • Explication & entretien

Corneille, Le Menteur, acte V, scène 3

20 minutes

20 points

1. Lisez le texte à voix haute.

Puis proposez-en une explication.

document

Pour échapper au mariage prévu par son père, Dorante s’est inventé une union avec Orphise. Désabusé par Philiste, Géronte vient en faire reproche à son fils. Le menteur est démasqué et réduit au silence.

Dorante

Qui vous dit que je mens ?

Géronte

                                         Qui me le dit, infâme ?

Dis-moi, si tu le peux, dis le nom de ta femme,

Le conte qu’hier au soir tu m’en fis publier1.

Cliton, à Dorante.

Dites que le sommeil vous l’a fait oublier.

Géronte

Ajoute, ajoute encore avec effronterie

Le nom de ton beau-père, et de sa Seigneurie,

Invente à m’éblouir quelques nouveaux détours.

Cliton, à Dorante.

Appelez la mémoire, ou l’esprit au secours.

Géronte

De quel front cependant faut-il que je confesse

Que ton effronterie a surpris ma vieillesse,

Qu’un homme de mon âge a cru légèrement

Ce qu’un homme du tien débite impudemment2 ?

Tu me fais donc servir de fable et de risée,

Passer pour esprit faible, et pour cervelle usée !

Mais dis-moi, te portais-je à la gorge un poignard ?

Voyais-tu violence, ou courroux de ma part ?

Si quelque aversion t’éloignait de Clarice,

Quel besoin avais-tu d’un si lâche artifice ?

Et pouvais-tu douter que mon consentement

Ne dût tout accorder à ton contentement,

Puisque mon indulgence au dernier point venue

Consentait à tes yeux l’Hymen3 d’une inconnue ?

Ce grand excès d’amour que je t’ai témoigné

N’a point touché ton cœur, ou ne l’a point gagné,

Ingrat, tu m’as payé d’une impudente feinte,

Et tu n’as eu pour moi respect, amour, ni crainte.

Va, je te désavoue.

Corneille, Le Menteur, acte v, scène 3, 1644.

1. Publier : annoncer publiquement.

2. Impudemment : de manière effrontée.

3. Hymen : mariage.

2. question de grammaire.

Étudiez l’expression de la négation dans les trois derniers vers du passage.

 

Conseils

1. Le texte

Faire une lecture expressive

C’est une scène de conflit : faites entendre les dissensions entre le fils effronté et le père accablé, en respectant la ponctuation expressive.

Les paroles de Cliton à Dorante sont des apartés ; la voix devra donc s’abaisser et prendre le ton de la confidence.

Situer le texte, en dégager l’enjeu

L’acte v est en marche vers le dénouement de la comédie qui exige, pour préserver la morale, que Dorante soit démasqué. Aussi les mensonges que le personnage a inventés aux actes précédents se trouvent-ils révélés.

Incarnée par Géronte, la figure paternelle assume plusieurs fonctions : sur le plan dramatique, elle démasque son fils ; sur le plan moral, elle condamne ses agissements ; sur le plan théâtral, elle fait naître des sentiments d’admiration et de pitié chez le spectateur.

2. La question de grammaire

Il faut relever les négations tant syntaxiques que lexicales.

Pour les premières, on détermine leur portée, totale ou partielle, en identifiant précisément les constituants grammaticaux qui les forment ; pour toutes, on s’interroge sur leur valeur, descriptive ou polémique.

1. L’explication de texte

Introduction

[Présenter le contexte] Avec Le Menteur, créée en 1644, Corneille met en scène un affabulateur qui, par ses mensonges, anime l’action de la pièce jusqu’à l’imbroglio et en assure la dimension comique par ses extravagances. Dorante met le mensonge au service de l’amour : par ses inventions, il séduit Clarice qu’il croit être Lucrèce et cherche à échapper au mariage que son père Géronte lui propose avec Clarice. [Situer le texte] À l’acte v, les mensonges se trouvent progressivement révélés : découvert par la figure paternelle, le menteur se trouve mis devant son effronterie, qui l’a conduit à la scène 5 de l’acte ii à prétendre qu’il s’était marié en secret avec une dénommée Orphise. [En dégager l’enjeu] Conflictuel, le dialogue entre père et fils n’est-il qu’un moyen, pour le dramaturge, d’acculer le mystificateur ?

Explication au fil du texte

Le menteur pris en défaut (v. 1-8)

L’interrogation directe partielle de Dorante vaut à la fois pour une demande d’informations et une provocation à l’égard de son père : le jeune homme lui a débité une longue fable sur l’union qu’il aurait contractée hors scène, lors de son séjour à Poitiers, et cherche à connaître la source du démenti qui lui est infligé. Le pronom interrogatif peut renvoyer au sujet comme à l’objet, s’il est la contraction de la locution interrogative « Qu’est-ce qui ».

à noter

À la scène 3 de l’acte ii, au vers 471, le pronom interrogatif se trouve déjà employé comme tel dans la question « qui vous fait soupirer ? », où l’interrogation porte moins sur un être humain qu’un élément non animé.

Géronte reprend à son compte l’interrogation de son fils selon une question rhétorique : la formulation relève moins d’une requête que de l’indignation, traduite par l’apostrophe « infâme ». Cet adjectif substantivé appartient au lexique de la morale et désigne celui qui a des comportements bas, vils. La flétrissure sociale imposée par le menteur à Géronte est contraire au code de l’honneur aristocratique et justifie que le père manie l’injure à l’endroit de son fils.

La répétition de l’impératif « dis » et la subordonnée circonstancielle de condition, « si tu le peux » en forme de défi, rappellent la position de supériorité paternelle. Aux mensonges de son fils, Géronte oppose les faits – l’incapacité où s’est trouvé Dorante de mentionner « le nom de [s]a femme » – et l’opprobre dont il l’a couvert. « Le conte qu’hier au soir tu m’en fis publier » fait référence à l’histoire inventée que Géronte tenait de Dorante et qu’il a colportée au père de Clarice. Par son mensonge, Dorante a donc sali l’honneur familial.

Les didascalies « à Dorante » correspondent à des apartés : à l’opposé de l’indignation qu’il manifestait face aux audaces affabulatrices de son maître dans l’exposition, le valet prescrit ici des manières de sauver les apparences. Le domestique fait alors figure de double du spectateur sur scène pour qui « sommeil », « mémoire » et « esprit » pourraient fournir autant d’alibis à l’oublieux­ Dorante.

Contre toute attente, le fils ne reprend pas la parole et ne fait pas appel à l’« effronterie » que Géronte, Cliton et le public lui connaissent. Le champ lexical de l’imagination créatrice avec « conte », « invente », « éblouir », « détours » rappelle pourtant ses pouvoirs de conteur : à la scène 4 de l’acte iv, il avait prétendu avoir confondu le nom de son beau-père et celui de sa « terre » (Armédon/Pyrandre).

Une tirade héroïque (v. 9-27)

Synecdoque du visage, le « front » oriente la tirade du côté de l’autoportrait pathétique, ce que confirment encore le verbe « confesse » et l’emploi massif de la première personne (pronom personnel « je » et déterminant possessif associé). Géronte met l’accent sur sa maturité avec « vieillesse », « âge », « esprit faible » et « cervelle usée », qu’il oppose à la désinvolture coupable de son fils avec « effronterie », « impudemment » et « lâche artifice ». La portée morale du reproche est d’autant plus accablante que Dorante a profité de la faiblesse paternelle.

Sur le plan social, le fils a déconsidéré son père en lui servant des mensonges qu’il a propagés. Les termes « fable », « risée », « artifice » relèvent du champ lexical de la comédie et invitent le spectateur à dépasser la dimension purement comique du mensonge dans la pièce pour en envisager la condamnation morale.

Les questions rhétoriques permettent à Géronte de se désolidariser des figures paternelles tyranniques comme la farce ou les tragédies en ont donné des exemples à la même époque ; les mots « poignard », « violence », « courroux », « aversion », « artifice » sont empruntés à ces formes littéraires.

C’est l’image d’un homme généreux qui se dégage de la suite des propos : les expressions hyperboliques, telles « tout accorder », « au dernier point », « excès d’amour », composent le portrait d’un père magnanime qui ne saurait se laisser aller à des actes déshonorants. La rime établie entre « consentement » et « contentement » et le choix du mot « indulgence » soulignent la dignité du personnage. Sa parole même se pare d’accents héroïques et tragiques : « hymen » se trouve couramment employé dans la tragédie pour désigner le mariage ; le parallélisme d’un hémistiche à l’autre dans le vers « N’a point touché ton cœur, ou ne l’a point gagné » lui confère une certaine emphase.

à noter

Du latin magna, « grande », et anima, « âme », la magnanimité est, selon Aristote­, une vertu par laquelle un individu aspire à la grandeur.

La fin de la tirade met en scène un père déshonoré qui fait le choix fatal de la répudiation de son fils : la négation lexicale – avec « ingrat », « impudence », « désavoue » notamment – contamine tout le propos et manifeste les contrariétés où plonge une décision paternelle contre-nature.

Conclusion

[Faire le bilan de l’explication] Acculé par son père, Dorante se voit dans la scène 3 de l’acte v, réduit au silence. C’est l’occasion pour Géronte de blâmer les mensonges de son fils et de se lancer dans un morceau de bravoure : il révèle sa générosité, notion centrale dans le théâtre héroïque de Corneille. Si la révélation du mensonge aide à acheminer l’action vers son dénouement, elle offre aussi l’occasion d’apporter une caution morale à la comédie. [Mettre le texte en perspective] L’émotion s’y trouve également garantie par la noblesse dont fait preuve la figure paternelle, qui peut être rapprochée de celle de Dom Louis dans Dom Juan (1665) de Molière ou de celle du père du dramaturge lui-même.

2. La question de grammaire

« Ingrat, tu m’as payé d’une impudente feinte,

Et tu n’as eu pour moi respect, amour, ni crainte.

Va, je te désavoue. »

La négation syntaxique repose sur l’emploi de l’adverbe « ne » en corrélation avec la conjonction de coordination « ni » ; elle est partielle et descriptive.

La négation lexicale repose :

sur des termes formés avec un préfixe de sens privatif : « Ingrat », « impudente », « savoue » ;

sur un lexique à connotation péjorative – « feinte », « crainte » ; et prend un tour polémique.

Des questions pour l’entretien

Lors de l’entretien, vous devrez présenter une autre œuvre lue au cours de l’année. L’examinateur introduira l’échange et vous posera quelques questions. Celles ci-dessous sont des exemples.

1 Je vous remercie pour votre présentation de la pièce Le Misanthrope de Molière. Qu’a d’éclairant le sous-titre de la pièce, « L’Atrabilaire amoureux » ?

Dans Le Misanthrope, Molière met en scène un « atrabilaire amoureux ». Alceste érige la sincérité en valeur ultime et nourrit simultanément des sentiments pour Célimène, une coquette agile dans le jeu social. L’hypocrisie de cette jeune femme est incompatible avec la radicalité de son amant et engage finalement ce dernier à se retirer dans le « désert ».

2 Comment rattachez-vous Le Misanthrope au parcours « Mensonge et comédie » ?

La comédie de mœurs interroge la vérité dans les relations sociales. D’Alceste­ aux petits marquis, en passant par Philinte, le dramaturge examine les attitudes qui vont de l’extrême franchise à la compromission ou à la modération et pose la question du mensonge dans les rapports humains.

3 La posture d’Alceste vous paraît-elle tenable ?

Alceste est un personnage paradoxal : il réclame une sincérité absolue, mais il le fait de manière théâtrale en forçant le mépris qu’il a des hypocrites ; par là, il se masque lui aussi derrière un personnage, comme si les relations sociales ne pouvaient se libérer du mensonge.

 

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