France métropolitaine 2022 • Explication de texte
Sprint final
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France métropolitaine • Juin 2022
Cournot, Essai sur les fondements de nos connaissances et sur les caractères de la critique philosophique
explication de texte
Intérêt du sujet • Certains adversaires de la psychanalyse soutiennent que la théorie de l’Œdipe est une généralisation abusive tirée de l’introspection de Freud, profondément lié à sa mère. Mais alors, toute psychologie n’est-elle qu’une imposture ?
Expliquez le texte suivant :
Pour qu’une observation puisse être qualifiée de scientifique, il faut qu’elle soit susceptible d’être faite et répétée dans des circonstances qui comportent une définition exacte, de manière qu’à chaque répétition des mêmes circonstances on puisse toujours constater l’identité des résultats, au moins entre les limites de l’erreur qui affecte inévitablement nos déterminations empiriques1. Il faut en outre que, dans les circonstances définies, et entre les limites d’erreurs qui viennent d’être indiquées, les résultats soient indépendants de la constitution de l’observateur ; ou que, s’il y a des exceptions, elles tiennent à une anomalie de constitution, qui rend manifestement tel individu impropre à tel genre d’observation, sans ébranler notre confiance dans la constance et dans la vérité intrinsèque du fait observé. Mais rien de semblable ne se rencontre dans les conditions de l’observation intérieure sur laquelle on voudrait fonder une psychologie scientifique ; d’une part, il s’agit de phénomènes fugaces, insaisissables dans leurs perpétuelles métamorphoses et dans leurs modifications continues ; d’autre part, ces phénomènes sont essentiellement variables avec les individus en qui se confondent le rôle d’observateur et celui de sujet d’observation ; ils changent, souvent du tout au tout, par suite des variétés de constitution qui ont le plus de mobilité et d’inconsistance, le moins de valeur caractéristique ou d’importance dans le plan général des œuvres de la nature. Que m’importent les découvertes qu’un philosophe a faites ou cru faire dans les profondeurs de sa conscience, si je ne lis pas la même chose dans la mienne ou si j’y lis tout autre chose ? Cela peut-il se comparer aux découvertes d’un astronome, d’un physicien, d’un naturaliste2 qui me convie à voir ce qu’il a vu, à palper ce qu’il a palpé, et qui, si je n’ai pas l’œil assez bon ou le tact assez délicat, s’adressera à tant d’autres personnes mieux douées que je ne le suis, et qui verront ou palperont si exactement la même chose, qu’il faudra bien me rendre à la vérité d’une observation dont témoignent tous ceux en qui se trouvent les qualités du témoin ?
Cournot, Essai sur les fondements de nos connaissances
et sur les caractères de la critique philosophique (1851).
1. Empiriques : issues de l’expérience.
2. Naturaliste : celui qui étudie la nature, en particulier les êtres vivants.
Les clés du sujet
Repérer le thème et la thèse
Peut-il y avoir une science des réalités humaines ?
Cournot démontre ici qu’il s’agirait d’une prétention abusive, en expliquant pour quelles raisons la psychologie ne peut en aucun cas prétendre à la scientificité.
Dégager la problématique
Repérer les étapes de l’argumentation
Les titres en couleurs et les indications entre crochets servent à guider la lecture mais ne doivent en aucun cas figurer sur la copie.
Introduction
[Question abordée] Peut-on tenir un discours scientifique portant sur l’esprit ou sur toute autre réalité humaine ? La psychologie fait en effet partie de ce que nous appelons aujourd’hui les « sciences humaines ». Mais dès lors que la science se distingue par sa méthode, son objectivité et sa rationalité, n’est-ce pas un abus de langage ? [Thèse] C’est la question qu’envisage Cournot dans ce texte, en démontrant qu’il manque à la psychologie, comme à tout discours portant sur des réalités humaines, les caractéristiques de la scientificité, et qu’ils ne peuvent prétendre établir des vérités. [Problématique] Pour démontrer cela, Cournot se demande d’abord ce qui définit un discours scientifique et en établit les conditions. Mais la psychologie a-t-elle les moyens d’en faire partie ? Cournot montre alors pour quelles raisons la psychologie ne sera jamais une science. Aucune réalité humaine ne peut-elle donc être l’objet d’un discours scientifique ? Il démontre enfin que les vérités scientifiques ne peuvent se trouver que dans la nature.
1. Les critères de la scientificité
A. Le discours scientifique suppose une méthode précise
Le texte s’ouvre sur une définition des critères de la scientificité. Si certaines sciences dites formelles ou exactes, comme les mathématiques ou la logique, ne portent pas sur le réel et sont donc pures de tout rapport à l’expérience, d’autres ont pour objet la réalité. Mais dès lors qu’elles mettent en jeu notre rapport au monde, qu’est-ce qui garantit leur scientificité ?
Cournot établit le premier critère de scientificité d’une « observation » : il ne suffit pas, en effet, d’observer un phénomène pour qu’il soit qualifié de scientifique. Cette observation première doit être confirmée par l’expérimentation, autrement dit par l’expérience reconstruite à l’identique, qui doit valider ou invalider l’hypothèse. En d’autres termes, l’observation n’est que le point de départ d’une connaissance scientifique, et ne peut y contribuer que dans la mesure où elle passe l’épreuve du test expérimental.
à noter
Le réfutationnisme de Karl Popper établira par la suite que la possibilité de valider ou d’invalider une hypothèse par l’expérimentation permet de distinguer les sciences des pseudosciences.
B. Le discours scientifique est rationnel et objectif
À ce premier critère s’ajoute un deuxième, à savoir que « les résultats soient indépendants de la constitution de l’observateur ». De fait, tout discours scientifique se caractérise par sa rationalité et son objectivité. Ainsi, l’observation ne doit pas dépendre de la subjectivité, autrement dit de la « constitution » particulière de l’observateur. Celui-ci, quel qu’il soit, doit pouvoir faire cette observation, qui peut ainsi apparaître comme une donnée sur laquelle chacun peut s’accorder.
définitions
Un discours objectif reflète son objet tel qu’il est. Un discours subjectif reflète moins son objet que la subjectivité de celui qui l’énonce.
À cette condition, dit Cournot, cette observation peut devenir un « fait » doté d’une « vérité intrinsèque ». Évoquer la vérité d’un fait peut pourtant sembler étonnant : la vérité n’est pas une propriété du réel, mais d’une représentation ou d’un discours qui se rapporte au réel. Par cette formule, Cournot nous indique en réalité qu’un fait peut être faux, au sens où il correspondrait à une observation subjective. Ce qui donne à mon observation le statut de fait, c’est qu’elle pourrait être effectuée par n’importe qui.
[Transition] Mais alors, une fois posée cette définition de la scientificité de l’observation, peut-on admettre la psychologie au rang des sciences ?
2. La psychologie ne peut pas être scientifique
A. La psychologie est incapable de valider ses hypothèses
Dans le deuxième temps de son argumentation, Cournot rapporte ces éléments de définition à la psychologie (de psukhé, l’âme, et logos, le discours), ce discours qui entend expliquer le fonctionnement de notre esprit et qui, aux alentours du xixe siècle, commence à prétendre se constituer en science. Si la psychologie porte sur la réalité, et en ce sens s’ancre nécessairement dans des observations, peut-on pour autant admettre qu’il s’agit d’une science ?
Cournot oppose d’abord l’observation « scientifique » telle qu’il l’a définie à l’« observation intérieure » propre à la psychologie. De fait, le sujet dont elle s’occupe n’est pas une réalité extérieure et uniforme, à laquelle nous pouvons tous avoir accès, mais une réalité intérieure dont Cournot souligne alors le caractère « fugace ». En d’autres termes, si nous pouvons observer une réalité extérieure, elle a la solidité et la permanence d’un fait ; mais les sentiments ou les idées qui appartiennent à notre intériorité sont changeants par nature. Comment, dès lors, parler de faits ?
B. L’objet de la psychologie la rend nécessairement subjective
Bien plus, si la psychologie porte sur le contenu de notre esprit, il semble que nous ne puissions jamais accéder au statut d’observateur impartial, extérieur à son objet. Or telle était la deuxième condition à laquelle une observation pouvait être dite scientifique. Comment garantir l’objectivité de l’expérience, dès lors que l’observateur est aussi « sujet de l’observation » ?
Il s’agit d’ailleurs de l’une des objections formulées par Auguste Comte à l’endroit de la psychologie : nulle science, dit-il, ne peut se constituer sur la base de l’introspection, ou observation intérieure.
l’auteur
Auguste Comte (1798-1857).
Comte est le fondateur du positivisme, doctrine qui tient la science pour l’unique détentrice de la vérité : elle doit chercher les lois des phénomènes et non s’interroger sur leur sens.
[Transition] Mais si la psychologie ne peut prétendre à la scientificité en raison de la nature même de son objet, y a-t-il des sciences des autres réalités humaines ?
3. Aucun discours portant sur les réalités humaines n’est scientifique
A. Les sciences humaines n’accédent pas à la vérité
Enfin, Cournot élargit sa démonstration au champ de l’ensemble des discours portant sur les réalités humaines, que l’on nommera plus tard « sciences humaines ». Il distingue, au sein du réel, ce qui ressort de la nature et ce qui relève de l’homme.
La question devient ici celle de la valeur qu’il est possible d’accorder à une connaissance empreinte de subjectivité. Il met en parallèle la psychologie et la philosophie, autre science humaine dont les observations ne pourraient être tenues pour scientifiques, dans la mesure où elles relèveraient d’une intériorité que nous n’aurions pas en commun.
B. Seules les sciences de la nature accèdent à des vérités
Aux figures du psychologue et du philosophe, Cournot oppose les exemples de l’astronome, du physicien, du naturaliste, tous trois se référant à une réalité uniforme, régulière, et extérieure à eux, à savoir la nature (qu’il s’agisse des astres, du monde physique ou du vivant). Si nous pouvons tous accéder à cette réalité extérieure qu’est la nature, alors les observations d’un physicien nous sont accessibles : nous sommes tous « témoins » de cette réalité, puisqu’elle nous est commune.
En revanche, nul n’est témoin d’une réalité intérieure, qu’il s’agisse d’un sentiment ou d’une idée, qui pour cette raison ne peut prétendre être considérée comme un fait.
Conclusion
En définitive, il serait faux de voir dans la psychologie, comme dans toute autre discipline portant sur des réalités humaines, autre chose qu’un discours hypothétique, en raison de la nature même de leur objet. Si la nature est accessible à la science, le monde humain n’est l’objet que de connaissances qui ne peuvent établir solidement leurs vérités.