hggspT_2000_00_33C
La connaissance
Produire et diffuser des connaissances
30
Étude critique de documents
Défendre la libre circulation de la connaissance
Intérêt du sujet • Ce sujet mobilise ce que vous avez appris sur les enjeux de la circulation de la connaissance et le rapport entre les acteurs de la communauté scientifique et savante. Cependant, ne vous contentez pas de réciter votre cours : vous devez analyser les deux documents et les confronter.
D'après les documents proposés, montrez que la circulation de la connaissance scientifique est l'objet de débats et d'importants enjeux économiques.
Document 1Aaron Swartz, un héros contemporain
Aaron Swartz est un génie informatique, à plusieurs reprises, il aurait pu capitaliser sur cette virtuosité technique mais ce n'est pas l'argent qui l'intéresse. Aaron Swartz est un idéaliste, ce qu'il défend – avec un caractère de cochon – c'est une idée de l'Internet, et de la manière dont il peut contribuer à la diffusion du savoir.
Aaron Swartz est un idéaliste et quand au milieu des années 2000, les barrières contre un accès libre à l'information s'élèvent encore, son combat devient plus directement politique. […] À la base un étonnement : comment se fait-il que les scientifiques publient gratuitement des articles qui sont commercialisés ensuite par d'énormes plateformes, au chiffre d'affaires gigantesque, privant ainsi l'accès libre du public à ces informations ? Pendant quelques nuits, entre septembre 2010 et janvier 2011, il se glisse dans les conduits d'aération et s'introduit dans une salle de serveurs du MIT pour copier la quasi-totalité des articles d'une de ces plateformes, Jstor, soit 4,8 millions d'articles scientifiques, dans le but de les rendre accessibles au grand public.
Mais il n'aura jamais l'occasion de le faire. Il est arrêté par le service de sécurité du MIT (lui si fort en informatique, il n'a fait aucun effort pour dissimuler son acte) et est traduit en justice. Il devait comparaître en février 2012 devant un tribunal du Massachusetts, où il risquait 35 ans de prison et 1 million de dollars d'amende.
Mais le 11 janvier dernier, il s'est pendu […]. Sa famille et ses amis sont intervenus pour dire à quel point ce suicide était politique. C'est comme ça qu'il est interprété par beaucoup sur Internet, et par grand nombre de chercheurs qui, en hommage à Swartz, ont mis leurs articles en accès libre. […]
Un héros de 2013, c'est peut-être quelqu'un comme Aaron Swartz […] qui ne cherche pas la notoriété (et dont la mort tragique a à peine élargi cette notoriété), quelqu'un dont la lutte est une passion individuelle qui rejoint un souci collectif et contemporain, par exemple le souci de l'accès libre à l'information (contre le contrôle politique des régimes autoritaires, mais aussi contre les barrières commerciales dans nos démocraties).
Xavier de La Porte, « Aaron Swartz, un héros contemporain », Ce qui nous arrive sur la toile, chronique diffusée sur France Culture le 10 décembre 2013.
Document 2Loi pour une République numérique
Loi pour une République numérique, JORF n° 0235 Loi n° 2016-1321, article 30, 8 octobre 2016.
Les clés du sujet
Identifier les documents
Comprendre la consigne
Les textes évoquent la liberté d'accès à la connaissance scientifique. Ils mettent en regard les intérêts particuliers et le bien général.
Le sujet implique des acteurs qui n'ont pas les mêmes priorités : si les scientifiques ont intérêt à ce que leurs recherches circulent facilement, les universités sont soumises à la concurrence et exercent un contrôle. Les éditeurs privés défendent quant à eux leurs intérêts économiques. L'État intervient comme régulateur dans le cadre de la loi.
Dégager la problématique et construire le plan
Un plan thématique s'impose. Il peut s'articuler autour des différences entre les acteurs : Quelles positions divergentes peuvent s'opposer sur la question de la circulation de la connaissance ?

Les titres et les indications entre crochets ne doivent pas figurer sur la copie.
Introduction
[Accroche] En 2013, Aaron Swartz, informaticien et hacktiviste américain, militant pour la liberté de circulation de l'information et du savoir, se suicide à la veille de son procès pour avoir voulu mettre en ligne des millions d'articles scientifiques gratuitement. [Présentation du sujet] Les deux textes proposés, une chronique radiophonique de France Culture diffusée en 2013 et un texte de loi français de 2016, montrent que la connaissance ne circule pas aussi simplement que le souhaiteraient les promoteurs d'un libre accès total. [Problématique] Quelles positions divergentes peuvent s'opposer sur la question de la circulation de la connaissance ? [Annonce du plan] Si les scientifiques sont largement favorables à sa libre diffusion [I], d'autres acteurs défendent une circulation contrôlée [II], ce pourquoi l'État s'engage comme régulateur [III].
I. Les scientifiques en faveur de la libre circulation
1. Le chercheur vise la diffusion de ses résultats
La connaissance scientifique n'émerge qu'en se confrontant au regard des autres et au débat. Sa construction exige de se référer à des pairs qui légitiment les travaux de recherche par leur évaluation au sein de comités de lecture lors de leur communication. Les chercheurs ont donc besoin d'une communauté scientifique pour enrichir leur champ de recherche, notamment par la confrontation des regards et la controverse, qui corrige et enrichit la compréhension.
mot clé
L'évaluation par les pairs (chercheurs travaillant dans le même domaine) est fondamentale.
Les connaissances nouvelles sont validées par la publication des travaux de recherche dans des revues scientifiques.
La communauté scientifique doit s'ouvrir au reste du monde, comme le montre le document 1, et rendre accessible l'information au grand public en accès libre. La population se forme grâce aux scientifiques mais joue également un rôle de construction et de diffusion du savoir. C'est la vision que défend Aaron Swartz, dans une démarche idéaliste d'un Internet où les savoirs circuleraient librement.
2. Le scientifique est le propriétaire légitime de ses recherches
Le chercheur doit pouvoir diffuser librement ses recherches, même s'il a un contrat d'édition, parce qu'il en détient la propriété intellectuelle légitime et que la recherche scientifique est fondée sur un idéal de partage universel du savoir qui la nourrit. La loi de 2016 rappelle ce principe, en posant les bases de la liberté de publication.
Les scientifiques publient gratuitement leurs articles : « son auteur dispose, même après avoir accordé des droits exclusifs à un éditeur, du droit de mettre à disposition gratuitement dans un format ouvert, par voie numérique » (doc. 2, l. 6-8). En France, depuis 1982, les chercheurs ont une obligation légale de transmission au grand public. Cela permet aux connaissances les plus pointues de circuler plus rapidement et d'atteindre un plus large auditoire que la communauté scientifique spécialisée.
II. Des obstacles à la circulation libre et gratuite
1. Les universités protègent leurs résultats
Mais les universités s'inscrivent également dans une logique de concurrence : une trop grande liberté de circulation leur fait perdre l'exclusivité qui leur donnait de l'avance. C'est dans ce sens qu'il faut comprendre la position du MIT dans l'affaire d'Aaron Swartz. Les savoirs scientifiques sont aussi au cœur d'une hiérarchie économique qui régit le monde universitaire, et sont le fondement des ambitions des chercheurs et de leurs laboratoires.
info +
Le MIT a une position complexe dans l'histoire d'A. Swartz : après l'avoir fait arrêter et suscité le procès, il organise aujourd'hui un concours de désobéissance civile sur le thème suivant : « Vous ne changez pas le monde en faisant ce que l'on vous demande de faire. »
2. La connaissance, une valeur économique
Le monde de l'édition défend une monétisation de la diffusion de la connaissance (voir le document 2 avec les délais de diffusion exclusive). La connaissance peut avoir une valeur marchande, notamment dans le cadre d'une véritable société de la connaissance telle qu'elle a été théorisée par Peter Drucker.
Le secret de fabrication
Dans un devoir, il est souhaitable de retrouver, aussi souvent que possible, les grandes figures des questions traitées ; ici Peter Drucker.
L'HGGSP n'est pas un enseignement désincarné mais s'inscrit dans des événements précis, avec des acteurs qui jouent des rôles clés. Il est donc important de les mentionner dans vos argumentations.
Ce professeur de management américain montre que la connaissance est de plus en plus au cœur d'une économie du savoir : la société de la connaissance place la science au cœur des intérêts économiques, dans une vision managériale. Elle se trouve désormais sous l'influence du pouvoir économique après s'être libérée des pressions religieuses qui ont caractérisé l'histoire des sciences médiévale et moderne : la question de l'indépendance des scientifiques est donc un défi important, ce qui permet de mieux comprendre le geste extrême d'Aaron Swartz sur la plateforme Jstor.
III. L'État régulateur
1. L'État législateur
L'État a un rôle d'encadrement des relations entre les acteurs de la connaissance, comme le montre la loi de 2016. Dans le domaine du cyberespace notamment, les États jouent un rôle de régulation, afin que les lois soient respectées, en particulier dans le domaine de la propriété intellectuelle.
L'État en France encourage une large diffusion quand il a financé au moins la moitié de la recherche : « Lorsqu'un écrit scientifique issu d'une activité de recherche financée au moins pour moitié par des dotations de l'État… » (doc. 2, l. 1-2). C'est dans ce sens que par exemple l'Union européenne construit en 2018 un espace européen de la recherche dans lequel chercheurs, connaissances scientifiques et technologies circulent librement.
2. Le contrôle de l'État sur les connaissances
En tant qu'organisateur du monde universitaire, l'État doit aussi protéger ses intérêts – comme on le voit lors du procès devant le tribunal du Massachusetts – notamment depuis que la mondialisation accentue la compétition internationale. Les savoirs scientifiques sont au cœur de la hiérarchie économique et politique des États, notamment par leur poids dans la richesse des pays.
Le savoir est au cœur du soft power des États : sa diffusion est un domaine stratégique. Étudiants et chercheurs sont un capital que les États cherchent à capter notamment via le brain drain. Et ils n'hésitent pas parfois à voler les résultats, par des pratiques d'espionnage (exemple des Cinq de Cambridge). La connaissance est donc considérée comme un bien précieux par les États qui refusent que tout puisse circuler librement.
Conclusion
[Réponse à la problématique] Les enjeux de la connaissance sont complexes et ne permettent pas une position unique entre liberté de diffusion et protection de la propriété intellectuelle, d'une part, et les intérêts économiques et stratégiques, d'autre part. La circulation de la connaissance est donc le résultat d'un compromis, souvent modéré par l'État. [Ouverture] Cet équilibre est d'autant plus nécessaire que la connaissance devient un fondement de puissance.