Le bonheur
LE BONHEUR
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Dissertation
Dépend-il de nous d'être heureux ?
Intérêt du sujet • À travers de nouvelles sciences telles que la psychologie positive, notre société moderne nous pousse à atteindre le bonheur à tout prix. Mais pouvons-nous faire par nous-mêmes notre propre bonheur, ou sommes-nous condamnés à subir les aléas du sort, espérant être heureux, mais demeurant impuissants ?
Les clés du sujet
Définir les termes du sujet
Dépendre
Quand on dit qu'une chose dépend de nous, cela signifie que notre action ou notre intervention peuvent la modifier. Dès lors, nous pouvons être tenus pour responsables de cette altération.
Être heureux
Le bonheur désigne un état durable de complète satisfaction. Tous les hommes cherchent à être heureux mais la nature du bonheur et les moyens d'y parvenir sont complexes.
Dégager la problématique
Construire un plan
Les titres en couleurs et les indications entre crochets servent à guider la lecture mais ne doivent en aucun cas figurer sur la copie.
Introduction
[Accroche] Dans Gatsby le Magnifique, le personnage de Gatsby a beau tout faire pour reconquérir le cœur de Daisy, son projet échoue. Il amasse les richesses, organise des fêtes incroyables, séduit Daisy, mais celle-ci préfère finalement rester avec son mari qu'elle n'aime pourtant plus.
Le conseil de méthode
L'accroche doit présenter un exemple qui rend patent le problème dont il est question. Il ne s'agit pas de parler du bonheur en général, mais de montrer comment le problème peut se poser concrètement.
[Reformulation du sujet] Cet exemple illustre un constat amer : nous pouvons tout faire pour être heureux et néanmoins échouer. Le bonheur ne dépendrait pas de nous, mais bien plutôt de circonstances que nous ne maîtrisons jamais absolument. [Problématique] Dire que le bonheur dépend de nous signifie qu'il suffit de vouloir être heureux pour l'être. Cette thèse optimiste ne rend pas compte de l'expérience du malheur : pourquoi le malheur existe-t-il s'il suffit de vouloir être heureux pour l'être ? [Annonce du plan] Nous commencerons par mettre en évidence les facteurs extérieurs qui participent à notre bonheur. Puis, nous montrerons que l'individu garde néanmoins la maîtrise de son bonheur, qu'il peut faire par ses actions ou par ses idées. Enfin, nous verrons que toute recherche du bonheur implique un risque et des circonstances qu'il faut apprendre à dompter.
1. Le bonheur : un état matériel qui dépend des circonstances
A. Le poids des circonstances extérieures
Même si nous cherchons à être la cause de notre propre bonheur, il paraît difficile de nier l'importance des circonstances extérieures. Selon le milieu social dans lequel nous vivons, les rencontres que nous faisons, notre état de santé, il paraît plus ou moins facile d'être heureux.
L'étymologie du mot – « heur » signifie le hasard – semble confirmer cette thèse : le bonheur serait avant tout une question de chance. D'un côté, les chanceux rencontreraient par hasard le bonheur ; de l'autre, les malchanceux devraient se résigner au malheur. Vouloir être heureux ne suffit pas à l'être.
Le personnage de Priam, roi de Troie dans l'Iliade, illustre le poids de ces circonstances : il a beau être entouré d'une famille nombreuse, avoir du pouvoir et de la richesse, être en bonne santé, la prise de Troie par les Grecs vient ruiner tous ses efforts pour être heureux.
Le secret de fabrication
On pourrait interroger le lien entre bonheur et politique : les hommes cherchent à se prémunir contre les aléas du sort par la constitution d'un État qui les protège et leur offre des garanties. Le « nous » du sujet n'est plus alors l'individu singulier qui cherche son propre bonheur, mais la collectivité tout entière qui s'assure contre la fortune.
B. Une remise en question de la liberté humaine
Cette première approche du sujet conduit à une conception tragique de l'existence : quoiqu'il fasse, l'homme est déterminé par des circonstances qui ne dépendent pas de lui. Il ne serait donc pas libre mais au contraire condamné à l'impuissance.
à noter
Le handisport et les performances dont sont capables certains sportifs en situation de handicap montrent ainsi que ce n'est pas le handicap en lui-même qui empêche le bonheur.
Or, quelle que soit la situation qui pèse sur lui, il semble que l'homme possède toujours la possibilité d'un choix. S'il est malade par exemple, il peut s'avouer vaincu par la maladie ou se battre pour sa guérison. En ce sens, l'homme est libre et ses réactions dépendent de lui.
Sartre insiste sur le fait que rien ne peut supprimer le libre arbitre humain. L'homme a toujours un choix à faire devant les situations qu'il rencontre. Il est radicalement libre. Bien plus, Sartre appelle « mauvaise foi » l'attitude qui consiste à faire comme si nous n'étions pas libres. Dire que le bonheur ne dépend pas de nous peut être une façon subtile de ne pas assumer la responsabilité qui nous incombe de donner forme à notre propre existence.
[Transition] Ainsi, sans nier le poids des circonstances extérieures qui peuvent faciliter ou entraver la recherche du bonheur, il convient d'affirmer la liberté de l'homme qui tente bon gré mal gré d'être la cause de son bonheur.
2. Le bonheur ne dépend que de nous
A. Le bonheur dépend de nos actions
Nous pouvons agir pour faire notre bonheur. En ce sens, il dépend de nous d'être heureux. Nos actions peuvent en effet avoir des conséquences sur la situation dans laquelle nous vivons.
Alain va plus loin en affirmant paradoxalement que « chacun a ce qu'il veut ». Cette thèse paraît d'abord étonnante, car nous faisons souvent l'expérience de ce que nous n'obtenons pas ce que nous voulons. Le problème vient pour Alain de ce que nous ne savons pas toujours clairement ce que nous voulons et confondons caprice et volonté.
Ainsi, si certains sont malheureux, ce n'est pas qu'ils sont condamnés par le sort à l'être, c'est par ignorance des moyens qui rendent effectivement heureux, ou bien parce qu'ils ne veulent pas l'être véritablement et préfèrent les passions tristes.
B. Le bonheur dépend de notre état d'esprit
Mais le résultat de nos actions ne dépend pas toujours de notre bonne volonté. Pour les stoïciens, seuls nos jugements dépendent absolument de nous. Il faut donc être maître de ses jugements, de ses désirs pour être heureux. Ce n'est pas la pauvreté qui me rend malheureux, mais mon jugement sur la pauvreté. En changeant mon rapport aux choses, je peux être heureux.
à noter
Pour les stoïciens, cet assentiment n'est pas synonyme de résignation. Il permet au contraire de vivre pleinement les choses, en ayant conscience de leur valeur relative. Il ne s'agit pas de rejeter par exemple toute amitié, mais de mesurer sa fragilité, pour mieux en profiter.
Dans De la vie heureuse, Sénèque montre que le bonheur implique de « donner son assentiment à la nature », c'est-à-dire d'accepter les choses telles qu'elles sont. Le bonheur consiste en l'indifférence à l'égard de ce qui ne dépend pas absolument de nous. Toute situation implique des inconvénients : il faut en prendre acte et ne pas désirer l'impossible.
[Transition] Ainsi, si l'homme n'est pas tout-puissant, il est néanmoins libre et peut agir pour faire son propre bonheur.
3. La recherche du bonheur implique un risque
A. Deux écueils contraires
Le sujet nous invite à rejeter deux thèses caricaturales : d'un côté, croire que l'homme ne peut rien faire pour être heureux ; de l'autre, croire qu'il est l'unique cause de son bonheur. Ni totalement impuissant, ni tout-puissant, l'homme doit viser un bonheur qui n'est jamais donné mais toujours à faire.
Ricœur parle d'une tension « qui travaille l'agir humain » entre notre finitude (nos capacités physiques et notre caractère singulier) et « l'infinitude du bonheur ». Toute recherche du bonheur implique un risque à prendre, auquel l'homme ne peut se dérober sans aussitôt tomber dans la tristesse.
B. Saisir sa chance
Dans Le Prince, Machiavel propose la comparaison suivante : si, quand le fleuve est en crue, il est trop tard pour éviter l'inondation, on peut néanmoins anticiper la catastrophe naturelle et construire des digues. De même, l'homme n'est pas condamné à supporter la fortune : il peut chercher à la dompter, en cultivant une disposition qui lui permette de s'adapter aux événements.
Ainsi, si le bonheur est une question de chance, il convient de rappeler que la chance n'existe pas toute faite. On dit en ce sens que « la chance sourit aux audacieux ». Être heureux suppose de savoir prendre des risques.
Conclusion
Dire que le bonheur dépend de nous, ce n'est pas nier le poids des circonstances qui pèsent sur nous et affirmer la toute-puissance de l'être humain. C'est considérer que toute existence implique des risques à prendre, et que le bonheur est à faire bien plus qu'il n'est donné. Le bonheur se joue ainsi dans l'affirmation de la liberté humaine.