Annale corrigée Etude critique de document(s)

Des guerres de nature différente

Sujet spécimen 2021

étude critique de documents

Des guerres de nature différente

2 heures

10 points

Intérêt du sujet • Il s'agit d'un sujet de synthèse qui couvre le premier axe et l'objet conclusif du thème 2. Il vous permettra de valoriser à la fois vos connaissances et vos qualités d'analyse.

 

 En analysant les documents, en les confrontant et en vous appuyant sur vos connaissances, caractérisez les différentes formes de guerres.

Document 1

ph © akg-images

hggspT_2100_07_00C_01

Frédéric II marchant le 25 août 1758 à la tête de ses troupes à la bataille de Zorndorf, une victoire prussienne sur les troupes russes pendant la guerre de Sept Ans.

D'après le tableau du peintre allemand Carl Röchling, 1904.

Document 2

Au moment où il écrit cet ouvrage, Marc Trévidic est juge d'instruction au pôle national antiterroriste à Paris.

Évidemment, et ce nom revenait aussi dans les dossiers, Al-Qaida était au centre de mes lectures. Aujourd'hui, personne n'ignore ce qu'est cette organisation, le nom d'Oussama Ben Laden est célèbre dans le monde entier. Avant le 11 septembre, Al-Qaida était surtout connu des services spécialisés. Certes, Ben Laden était depuis la fin des années 1990 l'un des fugitifs les plus recherchés par le FBI. Son nom et celui de son organisation apparaissaient dans certains articles de presse ou reportages télé. Mais dans la tête du grand public, il n'était pas encore l'ennemi public numéro un. Al-Qaida était au mieux un nom bizarre. Et l'idée que cette obscure organisation puisse faire vaciller l'Amérique était proprement inconcevable. […] L'Occident a laissé les camps d'entraînement afghans prospérer, les jihadistes ont pu circuler dans le monde entier, librement, ou sous de fausses identités, tandis que les théoriciens de la terreur lançaient des fatwas1 depuis Londres, sans être inquiétés. Les attentats se multipliaient, les menaces de Ben Laden contre l'Occident ne cessaient d'enfler, ses troupes grossissaient mais rien n'a pu stopper cette machine infernale. En retraçant la montée en puissance d'Al-Qaida, graduelle, planifiée, méthodique, on réalise à quel point la catastrophe était prévisible. Permettez-moi ce retour historique. Al-Qaida est un mot arabe que l'on peut traduire par « la base ». Ces dernières années, les théories se sont succédé sur les raisons pour lesquelles ce mot a finalement été choisi pour désigner la plus grande organisation terroriste du monde. Il est même difficile d'accorder la paternité de ce choix à qui que ce soit. Il fallait bien un nom car toute chose doit être nommée. Certains disent qu'il s'agit de désigner avant toute chose une « base militaire », d'autres soutiennent qu'il s'agit d'une base de données. Force est de constater qu'Al-Qaida a été les deux.

Marc Trévidic, Au cœur de l'antiterrorisme, 2011.

1. Dans le droit musulman, une fatwa est un avis religieux et juridique, sur une question concrète. Ici, le mot est synonyme de condamnation.

 

Les clés du sujet

Identifier les documents

hggspT_2100_07_00C_02

Comprendre la consigne

Vous devrez préciser les caractéristiques des différentes formes de guerre abordées par chacun des deux documents : une guerre « classique » qui correspond au modèle théorisé par Clausewitz ; une guerre irrégulière qui s'en éloigne.

Vous devrez mettre en relation les deux documents en les analysant ensemble à l'aide de critères étudiés en cours (nature des conflits, acteurs des conflits).

Dégager la problématique et construire le plan

Si le modèle de Clausewitz permet de caractériser les conflits du xviiie siècle, il n'est plus pertinent pour analyser ceux de la période contemporaine. En effet, on est passé de guerres classiques à des guerres irrégulières.

La problématique peut être celle-ci : Quelles sont les différences entre les guerres classiques de l'époque moderne et les guerres irrégulières contemporaines ? On pourra y répondre à l'aide d'un plan thématique.

Tableau de 2 lignes, 2 colonnes ;Corps du tableau de 2 lignes ;Ligne 1 : I. La nature des guerres; À quelle échelle le conflit se déroule-t-il ?S'agit-il de conflits exclusivement politiques ?Peut-on mesurer l'intensité des conflits ?; Ligne 2 : II. Les acteurs des guerres; Quel est le rôle des États ? Quel est celui des acteurs non étatiques ?Comment s'équilibrent les forces en présence ?;

Les titres et les indications entre crochets ne doivent pas figurer sur la copie.

Introduction

[Accroche] Élaborée au début du xixe siècle, la théorie militaire de Carl von Clausewitz permet d'analyser les conflits de l'époque moderne. Cependant ceux de l'époque contemporaine semblent échapper à cette grille d'analyse, comme le montrent ces deux documents. [Présentation des documents] Le premier document proposé est un tableau historique du peintre allemand Carl Röchling, réalisé en 1904 au moment de la montée des tensions entre États européens. Il représente la bataille de Zorndorf (1758) durant la guerre de Sept Ans. Le second document est un extrait d'un ouvrage publié en 2011, Au cœur de l'antiterrorisme, par Marc Trévidic, juge d'instruction au pôle national antiterroriste entre 2006 et 2015. Ce texte géopolitique décrit la montée en puissance de l'organisation Al-Qaida.

à noter

Carl Röchling (1855-1920) est un peintre allemand spécialisé dans la représentation de scènes de guerre et historiques.

[Problématique] Nous analyserons ces documents, en les confrontant, pour répondre à la question suivante : quelles sont les différences entre les guerres classiques de l'époque moderne et les guerres irrégulières contemporaines ? [Annonce du plan] Pour ce faire, nous reviendrons sur la nature de ces conflits [I] puis sur leurs acteurs [II].

I. Des conflits de nature différente

1. Des échelles différentes

Le document 1 nous rappelle que la guerre de Sept Ans, type même d'une guerre classique, est un conflit européen ; il oppose les troupes prussiennes aux troupes russes dans le cadre d'alliances, entre la Prusse et l'Angleterre, d'une part, la Russie, l'Autriche, la France, la Suède, l'Espagne et les princes allemands, de l'autre.

Le document 2 souligne la dimension planétaire de l'activité d'Al-Qaida tant dans sa visibilité (« le nom d'Oussama Ben Laden est célèbre dans le monde entier », l. 3-4) que dans son champ d'action (« les jihadistes ont pu circuler dans le monde entier », l. 12-13).

2. Des enjeux différents

Le principal enjeu de la guerre moderne est politique : il s'agit pour l'État belligérant d'affirmer sa puissance face à l'adversaire. Carl Röchling a choisi de représenter le moment de la bataille de Zorndorf où le roi de Prusse Frédéric II donne à ses troupes la victoire sur les Russes. Au cours de la guerre de Sept Ans, la Prusse s'affirme en effet comme une grande puissance européenne.

L'enjeu des attentats terroristes perpétrés par Al-Qaida est idéologique. Comme le note Marc Trévidic (« L'Occident a laissé… sans être inquiétés », l. 12-15), le principal objectif de cette organisation est de lutter contre les valeurs occidentales au nom d'une interprétation littérale et stricte du Coran.

3. Des conflits d'inégale intensité

Comme le suggère le nombre de cadavres au premier plan du tableau (document 1), les guerres modernes sont particulièrement meurtrières. Ainsi, la bataille de Zorndorf entraîne en une seule journée la mort d'environ 10 000 soldats prussiens et 20 000 soldats russes.

Le document 2 n'aborde pas explicitement le bilan humain des attentats perpétrés par Al-Qaida (« les attentats se multipliaient », l. 15-16). Cependant nous savons qu'en 2011, le nombre de victimes du terrorisme dans le monde s'élevait à 7 000 environ. Le nombre de victimes est donc relativement limité, comparé à celui des guerres modernes.

conseil

N'hésitez pas à souligner les limites du document pour valoriser votre esprit critique auprès du correcteur.

II. Des acteurs différents

1. Acteurs étatiques et non étatiques

Les principaux acteurs des guerres modernes sont les États. Le tableau de Carl Röchling le souligne bien avec la présence du roi de Frédéric II brandissant le drapeau du royaume de Prusse. Il précède les soldats de son armée, vêtus du même uniforme, qui se lancent à l'assaut des troupes russes (non représentées ici).

Le secret de fabrication

Lorsque vous êtes en présence d'un document iconographique (tableau, photographie), vous devez en exploiter les informations pour justifier votre propos, en évitant la simple description qui ne serait qu'une forme de paraphrase. En relevant les éléments propres à l'entité étatique (le souverain, le drapeau, l'uniforme), vous êtes bien dans une logique argumentative.

Le xxie siècle voit l'irruption de « la plus grande organisation terroriste du monde » (l. 23-24) : Al-Qaida. Cette dernière agit en réseau à l'échelle mondiale sans direction centralisée ni ancrage territorial. Marc Trévidic souligne combien les États occidentaux, restés dans une logique de guerre froide, semblent impuissants face à cet adversaire (« Et l'idée… cette machine infernale », l. 10-18).

2. D'une guerre symétrique à une guerre asymétrique

mot clé

Une guerre asymétrique se caractérise par un déséquilibre des forces militaires antagonistes.

Les guerres de l'époque moderne se caractérisent par un relatif équilibre entre les forces militaires en présence. C'est pourquoi, il faut sept longues années de guerre pour que la Prusse sorte victorieuse de son affrontement avec l'Autriche et ses alliés.

Au contraire, à l'époque contemporaine, la lutte des États occidentaux contre le terrorisme est asymétrique : les États-Unis, première puissance militaire mondiale, font face à quelques milliers de combattants. Ces derniers les attaquent sur leurs points faibles avec des attentats ciblés (comme ceux du 11 septembre), qui ont un fort impact psychologique sur les populations en raison de leur médiatisation (« Aujourd'hui… dans le monde entier », l. 2-4).

3. D'une guerre régulière à une guerre irrégulière

La guerre de l'époque moderne voit s'affronter principalement les armées régulières des États belligérants. Le document 1 rappelle que la bataille de Zorndorf marque la victoire de l'armée prussienne face à l'armée russe. C'est un des résultats de la réorganisation de l'armée prussienne mise en œuvre par le roi Frédéric-Guillaume Ier (1713-1740), père de Frédéric II.

L'époque contemporaine est celle de guerres irrégulières, comme celle menée par Al-Qaida : cette organisation (« base militaire », l. 27) n'a pas d'armée régulière ; il n'y a plus de distinction entre combattants et non-combattants puisque les civils constituent des cibles privilégiées ; il n'y a plus de terrain d'affrontement circonscrit (« les jihadistes… le monde entier », l. 12-13).

Conclusion

[Réponse à la problématique] Ainsi, les deux documents proposés soulignent bien les différences entre les guerres modernes et les guerres contemporaines. Elles divergent d'abord par leur nature : à des conflits européens, aux enjeux politiques et de forte intensité s'opposent des conflits mondiaux, aux enjeux idéologiques et de moindre intensité. Par ailleurs, si les premières sont dominées par des États mobilisant leurs armées, avec un relatif équilibre des forces en présence, les secondes voient s'affirmer des acteurs non étatiques et sont à la fois asymétriques et irrégulières. [Intérêt et limites des documents] Les documents illustrent deux formes de guerre. Cependant, le document 1 n'est pas un document source, ce qui peut fausser l'analyse de la guerre moderne. Par ailleurs, le document 2, écrit dix ans après les attentats du 11 septembre, se montre parfois déterministe quant à la montée en puissance d'Al-Qaida (« la catastrophe était prévisible », l. 19-20).

Pour lire la suite

Je m'abonne

Et j'accède à l'ensemble
des contenus du site