Amérique du Nord 2023 • Dissertation
Écrit
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Amérique du Nord, mai 2023
Dissertation
Description et célébration dans Sido et Les Vrilles de la vigne
Intérêt du sujet • Ce sujet invite à réfléchir sur la façon concrète dont peut s’y prendre un auteur ou une autrice pour célébrer le monde, exprimer son admiration et la faire partager.
Dans Sido suivi de Les Vrilles de la vigne, célébrer le monde, est-ce seulement le décrire ?
Vous répondrez à cette question dans un développement organisé. Votre réflexion prendra appui sur les deux récits de Colette au programme, sur le travail mené dans le cadre du parcours associé à ces œuvres et sur votre culture personnelle.
Les clés du sujet
Analyser le sujet
Formuler la problématique
Colette se contente-t-elle de montrer le monde tel qu’il est, ou le transfigure-t-elle par l’écriture pour mieux le célébrer ?
Construire le plan
Les titres en couleur ou entre crochets ne doivent pas figurer sur la copie.
Introduction
[Accroche] Dans Claudine à l’école, l’héroïne de Colette s’exclame, après avoir lu la présentation de son village dans son manuel de géographie : « Moi, ça ne me dit rien du tout, ces descriptions-là ! » [Explication du sujet] La simple description objective et factuelle ne suffit donc pas à rendre compte du lien affectif entre l’enfant et son village. De la même manière, dans Sido et Les Vrilles de la vigne, Colette, connue pour ses descriptions, entend célébrer le monde, en particulier le monde de son enfance et la nature. Mais célébrer le monde, est-ce seulement le décrire ? [Problématique] Colette se contente-t-elle de montrer le monde tel qu’il est, ou le transfigure-t-elle par l’écriture pour mieux le célébrer ? [Annonce du plan] On verra que, si décrire semble nécessaire pour célébrer le monde, ce n’est pas suffisant : la célébration suppose une part de subjectivité qui s’exprime autrement que par la simple description du monde. En réalité, célébrer suppose de transfigurer le monde, de le réinventer, et non seulement d’en faire l’inventaire.
I. Décrire le réel semble nécessaire pour célébrer le monde
1. Décrire pour montrer la richesse et la diversité du monde
Dans les deux œuvres, les paysages et les portraits abondent. Dans Sido, Colette glorifie les lieux de son enfance et en célèbre les figures. Dans Les Vrilles de la vigne, on retrouve des textes consacrés au portrait de Valentine ou au paysage de la baie de Somme.
à noter
La « description » en littérature consiste souvent en une énumération de noms et d’adjectifs, permettant de caractériser un lieu (paysage) ou une personne (portrait).
Les descriptions de Colette se distinguent souvent par la recherche du terme exact, comme lorsque Sido évoque les « lauriers-cerises dominés par un junko-biloba ». La faune et la flore de Saint-Sauveur donnent lieu à des listes de termes rares qui montrent la diversité du monde.
2. Décrire pour révéler un monde insoupçonné
Décrire permet aussi à Colette de révéler ce que ses lecteurs et lectrices n’ont pas l’habitude de voir, grâce à sa connaissance beaucoup plus fine du monde de la nature. Là où un œil non exercé ne voit que des roses, Colette voit « les sanguines filles du rosier, de la croix-de-Malte, des hortensias et des bâton-de-Saint-Jacques, et même le coqueret-alkékenge ».
Décrire permet ainsi de rendre visible ce qui ne l’était pas, d’explorer l’inconnu et d’exhumer des sensations nouvelles, des impressions inédites : « je dénude et hisse au jour ce que l’œil humain n’a pas, avant le mien, touché… » (Sido).
info
Le peintre allemand Paul Klee (1879-1940) déclarait dans « Confession créatrice » (1920) : « L’art ne reproduit pas le visible, il rend visible ».
II. Mais célébrer implique aussi d’exprimer sa subjectivité
1. Célébration du monde et expression de soi
Célébrer le monde implique aussi d’en affirmer la valeur, ce qui suppose donc un jugement subjectif. C’est la raison pour laquelle le texte de Colette devient souvent lyrique, se faisant hymne à la nature (« Ô géraniums, ô digitales… » s’écrie-t-elle dans Sido) ou ode à l’être aimé (dans les textes des Vrilles de la vigne dédiés à « M. »).
La description doit être complétée par l’expression de l’intériorité de la narratrice qui manifeste ses préférences : « aucun été, sauf ceux de mon enfance, ne commémore le géranium écarlate et la hampe enflammée des digitales. Aucun hiver n’est plus d’un blanc pur à la base d’un ciel bourré de nues ardoisées » (Sido).
La célébration du monde suppose l’expression d’un réseau de préférences personnelles et s’inscrit ainsi dans la tradition du discours épidictique où la louange d’un objet suppose toujours le blâme d’un autre. La célébration par Colette des paysages de forêt s’associe à la satire des paysages marins à plusieurs reprises dans les deux œuvres, par exemple dans « Jour gris » ; de même, « Printemps de la Riviera » est consacré à la satire des paysages du Midi.
à noter
En rhétorique, on appelle traditionnellement épidictique un discours qui repose sur l’éloge ou le blâme d’une personne ou d’une chose.
2. Le rôle de la mémoire personnelle
Dans les deux œuvres, la tonalité se fait souvent nostalgique : le monde qui est célébré est un monde disparu qui ne demande cependant qu’à renaître. Dans « Le Dernier Feu », Colette évoque ainsi les violettes qui viennent d’éclore, mais ne les célèbre que parce qu’elles rappellent celles d’autrefois : « Ô violettes de mon enfance ! Vous montez devant moi, toutes… ».
info
Dans À la Recherche du temps perdu de Marcel Proust (1871-1922), le narrateur ressuscite le village de son enfance grâce au souvenir du goût d’une madeleine trempée dans son thé.
Célébrer ce n’est donc pas seulement décrire, c’est aussi raconter ce qui donne de la valeur à une chose ou à une personne, c’est pourquoi l’écriture de Colette se fait volontiers autobiographique : dans « Le Capitaine » et « Les Sauvages », les anecdotes sur Jules, Achille et Léopold permettent de rendre ces personnages attachants et émouvants.
III. En réalité, célébrer suppose donc de transfigurer le monde
1. Une description impressionniste
L’écriture de Colette rappelle la peinture impressionniste, c’est-à-dire qu’elle relate l’impression laissée sur elle plutôt que l’objet décrit lui-même : « tout le chaud jardin se nourrissait d’une lumière jaune, à tremblements rouges et violets, mais je ne pourrais dire si ce rouge, ce violet dépendaient, dépendent encore d’un sentimental bonheur ou d’un éblouissement optique. » (Sido)
info
L’impressionnisme, qui tire son nom du tableau Impression, soleil levant (1874) de Monet, vise la saisie de sensations fugitives plutôt que de la réalité objective.
Les anecdotes les plus réalistes se mêlent ainsi constamment aux évocations les plus subjectives, comme en témoigne « Musical-halls », dont la première partie est un récit franchement comique, avec chute, et la seconde, une galerie de portraits impressionnistes.
2. Une recréation poétique
Le monde n’est donc pas tant décrit que recréé, ce qui contribue au caractère onirique et poétique des textes. Dans « Jour gris », le paysage de l’enfance, coloré par une vision fantastique (la brume est un spectre) ou merveilleuse (la forêt conduit à un mystérieux château), se transforme en royaume de conte de fées.
mots clés
L’onirique rappelle le monde du rêve. Le fantastique désigne l’apparition inquiétante du surnaturel, le merveilleux un monde dans lequel le surnaturel fait partie du quotidien.
Les textes sont souvent de véritables poèmes en prose comme le montre « Chanson de la danseuse » où se mêlent indistinctement souvenirs d’enfance, amour du music-hall et expression du désir, pour mieux célébrer la liberté et la vie.
Conclusion
[Synthèse] Si décrire le monde permet d’en célébrer l’abondante diversité et les trésors cachés, Sido et Les Vrilles de la vigne prouvent que cette description doit passer par le prisme de la subjectivité pour recréer et ainsi célébrer véritablement le monde.
[Ouverture] L’œuvre de Colette est ainsi une véritable école du regard : il faut apprendre à voir le monde autrement car « nous ne regardons, nous ne regarderons jamais assez, jamais assez juste, jamais assez passionnément. » (De ma fenêtre).