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Doit-on attendre de la technique qu'elle mette fin au travail ?

Dissertation

Doit-on attendre de la technique qu'elle mette fin au travail ?

4 heures

20 points

Intérêt du sujet • Le développement de la robotique et de l'automatisation, en faisant disparaître certains métiers et en en créant d'autres, nous amène à repenser la place du travail dans nos vies : mais est-il souhaitable de travailler moins, et sommes-nous amenés à penser que le travail, à terme, disparaîtra ?

 

 

Les clés du sujet

Définir les termes du sujet

Doit-on attendre de

Cette expression peut signifier « avons-nous raison de croire cela », « sommes-nous obligés de souhaiter cela », ou encore « est-il souhaitable, est-il bon d'espérer cela ».

La technique

La technique est l'ensemble des moyens, intellectuels ou matériels, inventés par l'homme pour parvenir à une certaine fin. Son développement est marqué par une autonomisation croissante : de l'outil, qui dépend de la main de l'homme, au robot programmé pour s'adapter à son environnement, notre rapport à la technique se trouve bouleversé.

Qu'elle mette fin au travail

Du latin tripalium (« instrument de torture à trois pals »), le travail définit toute activité de transformation de la nature ayant pour but la satisfaction de nos besoins, activité par laquelle nous modifions notre propre nature. Un travail au sens d'emploi n'est donc qu'une forme possible du travail, définie par la rémunération. « Mettre fin au travail » signifierait le faire disparaître de notre vie.

Dégager la problématique

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Construire un plan

Tableau de 3 lignes, 2 colonnes ;Corps du tableau de 3 lignes ;Ligne 1 : 1. La technique doit mettre fin au travail; La technique facilite notre travail ; en ce sens, nous pouvons espérer que ses progrès nous affranchissent un jour de cette activité nécessaire et pénible.; Ligne 2 : 2. Le progrès technique ne réduit pas le travail; Le développement technique ne fait pas reculer le travail dans nos vies, mais semble s'accompagner d'une transformation du travail comme de nous-mêmes. Nous ne sommes donc pas fondés à espérer que le travail disparaisse de nos vies.; Ligne 3 : 3. On doit se préparer à la disparition du travail; Nous ne devons pas attendre de la technique qu'elle mette fin au travail, mais plutôt réorganiser nos vies pour qu'elle puisse nous en dispenser.;

Les titres en couleurs et les indications entre crochets servent à guider la lecture mais ne doivent pas figurer sur la copie.

Introduction

[Reformulation du sujet] On pourrait penser que l'autonomisation croissante de la technique tend à réduire la place du travail dans nos vies, les machines se substituant à nos efforts. Le progrès technique doit-il nous laisser entrevoir la possibilité d'une vie sans travail ? [Définition des termes du sujet] La technique est l'ensemble des moyens artificiels – intellectuels ou matériels – mis en œuvre pour atteindre une fin, ces moyens faisant l'objet d'une évolution permanente. Le travail peut désigner toute activité de transformation de la nature ayant pour but la satisfaction de nos besoins, ou encore l'emploi, c'est-à-dire cette forme de travail définie par sa rémunération. [Problématique et annonce du plan] La question est de savoir si nous pouvons envisager la technique comme la promesse d'une vie libérée du travail : le développement technique a-t-il ce sens ? Mais à supposer qu'il soit possible que ce progrès nous affranchisse du travail, cela serait-il souhaitable ? Faut-il vouloir la fin du travail, ou au contraire la redouter ?

1. La technique doit mettre fin au travail

Le secret de fabrication

La première partie développe ici l'hypothèse de réponse qui pourrait paraître évidente (le développement technique viserait essentiellement à nous soulager du travail), mais rien ne vous oblige à partir de cette hypothèse.

A. La technique facilite notre travail

Dans un premier temps, on peut envisager le développement des techniques comme un progrès dans la mesure où il nous permet d'entrevoir à terme une vie sans travail. La technique n'est-elle pas l'ensemble des moyens artificiels permettant à l'homme de satisfaire plus facilement ses besoins ?

En ce sens, on peut penser que le développement technique tend naturellement vers une disparition progressive du travail : de l'outil, « organe artificiel », dit Bergson, qui nous aide et prolonge notre corps, au robot qui nous remplace, il y a l'écart entre l'objet technique qui facilite notre travail et celui qui y met un terme.

B. Nous pouvons espérer que le progrès technique nous dispense d'un travail pénible

C'est ainsi que la technique peut être pensée comme ce qui libère l'homme non seulement de sa nature animale – c'est bien par la technique que l'homme transforme la nature extérieure et la sienne, accédant ainsi à son humanité, explique Marx dans Le Capital –, mais aussi d'un travail le rivant aux nécessités de sa vie biologique.

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l'auteur

Karl Marx (1818-1883).

Philosophe, économiste, il est un théoricien du communisme et un matérialiste. Pour lui, c'est la façon dont une société organise sa subsistance qui produit la hiérarchie sociale, l'idéologie, et les institutions propres à cette société.

Le chapitre consacré au machinisme dans Le Capital rappelle ainsi ce rêve très ancien lié au progrès technique et dont la révolution industrielle est encore une fois porteuse : rêve d'une réduction voire d'une disparition du temps de travail, de l'extension corrélative du temps libre, et de la réorganisation de la vie autour d'activités librement choisies.

[Transition] Pourtant, force est de constater que le développement technique n'a pas relativisé l'importance du travail à nos yeux et ne l'a pas fait reculer dans nos vies. Il s'accompagne même paradoxalement de la peur croissante de perdre son emploi. Pour quelles raisons ?

2. Le progrès technique ne réduit pas le travail

A. Le développement technique crée des besoins nouveaux

Le progrès technique pourrait nous soulager du travail et pourtant il l'intensifie : c'est précisément ce paradoxe qu'évoque Henri Bergson, en soulignant dans L'Évolution créatrice que la technique est proprement humaine en ce qu'elle libère l'homme du cercle de ses besoins, mais crée en lui des besoins artificiels : « Pour chaque besoin qu'il satisfait, [l'outil] crée un besoin nouveau, et ainsi, au lieu de fermer, comme l'instinct, le cercle d'action où l'animal va se mouvoir automatiquement, il ouvre à cette activité un champ indéfini où il la pousse de plus en plus loin et la fait de plus en plus libre ». S'il travaille pour satisfaire ses besoins, l'homme est aussi l'être technicien qui s'invente sans cesse de nouveaux besoins, repoussant indéfiniment l'horizon d'une satisfaction de ses besoins et d'une fin du travail.

B. Le progrès technique ne fait pas disparaître le travail mais en modifie la nature

Sous sa forme moderne, le travail apparaît précisément comme une activité dont la fin n'est plus la satisfaction des besoins naturels.

Marx observe que la hausse de la productivité rendue possible à la fois par l'essor du machinisme et la division du travail n'a pas pour conséquence une réduction du temps de travail, mais une transformation de la nature du travail. Plus simple, répétitif, fragmenté en tâches distinctes, le travail moderne ou productif change de forme sans pour autant changer de volume, en raison de la fin qui lui est assignée : d'une activité faite pour satisfaire nos besoins, il devient un moyen de réaliser du profit. Dès lors, la question est bien de savoir comment mettre fin à un travail devenu aliénant.

définition

La division du travail est une organisation du travail décomposant son processus en tâches, s'accompagnant d'une spécialisation et ayant pour but la hausse de la productivité.

[Transition] Mais comment peut-on espérer mettre la technique au service de la fin du travail ? Faut-il désespérer de la technique ou continuer à voir dans son développement une condition de notre libération ?

3. On doit se préparer à la disparition du travail

A. Le risque d'une société de travailleurs sans travail

Dans la Condition de l'homme moderne, ­Hannah Arendt envisage les conséquences possibles de l'automatisation en soulignant le risque que pourrait représenter pour nous la fin du travail. « C'est, dit-elle, une société de travailleurs que l'on va délivrer des chaînes du travail, et cette société ne sait plus rien des activités plus hautes et plus enrichissantes pour lesquelles il vaudrait la peine de gagner cette liberté. […] Ce que nous avons devant nous, c'est la perspective d'une société de travailleurs sans travail, c'est-à-dire privés de la seule activité qui leur reste. On ne peut rien imaginer de pire. »

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l'auteur

Hannah Arendt (1906-1975).

Philosophe politique, elle consacre l'essentiel de son œuvre à ­interroger notre modernité, ­marquée par la confusion du domaine public (activité politique) avec le domaine privé (consommation, production).

En d'autres termes, les hommes modernes dont les vies ont été centrées sur un travail théoriquement glorifié pourraient-ils devenir autre chose, sans travail, que des hommes vides et désœuvrés ?

B. Il faut dissocier nos vies du travail

L'avertissement d'Arendt ne vise pas à établir la nécessité d'un maintien du travail en dépit du progrès technique qui tend à le raréfier, mais au contraire à ouvrir une réflexion plus large concernant notre vie. Comment résoudre la contradiction d'une époque qui est à la fois celle de la glorification du travail et celle où il devient techniquement possible de s'en passer ?

Hannah Arendt montre que loin d'être une activité essentielle à l'homme, le travail n'est qu'une activité qui s'est imposée historiquement au détriment d'activités plus nobles. Elle distingue en particulier le travail, activité laborieuse et vitale visant à fabriquer une chose en ayant pour but la satisfaction d'un besoin (poiésis, activité servile qui nous inscrit dans un cycle de production et de consommation), de l'action (praxis, expression libre de notre singularité qui peut avoir lieu dans le domaine de l'art, ou de la politique, et par laquelle nous créons des « œuvres » défiant le temps).

définitions

Chez Aristote, la poiésis désigne l'activité qui n'est que le moyen d'atteindre une fin ayant plus de valeur qu'elle ; la praxis, l'activité qui a une valeur en soi, indépendante de l'objet extérieur qu'elle permet d'obtenir.

Si le progrès technique nous permet d'entrevoir la fin du travail, cette fin ne sera souhaitable pour nous que dans la mesure où nous serons devenus capables de dissocier nos vies du travail, en redécouvrant la valeur des activités libres que les Grecs appelaient skholé, activités créatrices auxquelles il vaut la peine de consacrer nos vies.

Conclusion

En définitive, on ne doit pas attendre de la technique qu'elle élimine le travail de nos vies, mais plutôt œuvrer à la fin du travail en modifiant notre rapport à l'ensemble de nos activités. Si la technique rend possible la fin du travail, cette fin n'est désirable qu'à condition de réformer nos vies et nos identités : de travailleurs, nous pourrons alors devenir les hommes créateurs que nous sommes capables d'être.

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