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Durkheim, Les Règles de la méthode sociologique

Sujet zéro 2020

Durkheim, Les Règles de la méthode sociologique

Explication de texte

4 heures

20 points

Intérêt du sujet • Si mon frère me confie un secret et que je le trahis, je sais immédiatement que j'ai mal agi. Ma conscience morale intervient alors, et j'éprouve du remords. Mais d'où vient ce remords ? Est-il produit par ma conscience individuelle, ou n'est-il que le reflet d'une exigence sociale ?

 

Expliquez le texte suivant :

Quand je m'acquitte de ma tâche de frère, d'époux ou de citoyen, quand j'exécute les engagements que j'ai contractés, je remplis des devoirs qui sont définis, en dehors de moi et de mes actes, dans le droit et dans les mœurs. Alors même qu'ils sont d'accord avec mes sentiments propres et que j'en sens intérieurement la réalité, celle-ci ne laisse pas d'être objective1 ; car ce n'est pas moi qui les ai faits, mais je les ai reçus par l'éducation. Que de fois, d'ailleurs, il arrive que nous ignorons le détail des obligations qui nous incombent et que, pour les connaître, il nous faut consulter le Code et ses interprètes autorisés ! De même, les croyances et les pratiques de sa vie religieuse, le fidèle les a trouvées toutes faites en naissant ; si elles existaient avant lui, c'est qu'elles existent en dehors de lui. Le système de signes dont je me sers pour exprimer ma pensée, le système de monnaies que j'emploie pour payer mes dettes, les instruments de crédit que j'utilise dans mes relations commerciales, les pratiques suivies dans ma profession, etc., etc., fonctionnent indépendamment des usages que j'en fais. Qu'on prenne les uns après les autres tous les membres dont est composée la société, ce qui précède pourra être répété à propos de chacun d'eux. Voilà donc des manières d'agir, de penser et de sentir qui présentent cette remarquable propriété qu'elles existent en dehors des consciences individuelles.

Émile Durkheim, Les Règles de la méthode sociologique, 1895.

1. Ne laisse pas d'être objective : demeure objective.

 

Les clés du sujet

Repérer le thème et la thèse

Dans ce texte, Durkheim se demande si toutes nos pensées et actions dérivent de nos consciences individuelles.

Il démontre ici qu'en réalité, à l'origine d'un certain nombre de nos conduites et de nos pensées se trouvent des faits sociaux.

Dégager la problématique

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Repérer les étapes de l'argumentation

Tableau de 3 lignes, 2 colonnes ;Corps du tableau de 3 lignes ;Ligne 1 : 1. Nos conduites morales sont d'origine sociale (l. 1 à 7); Durkheim envisage les actions que nous faisons par devoir : ces comportements sont-ils, comme nous le sentons, prescrits par notre conscience propre ?Il montre que notre conscience ne fait qu'intérioriser, par l'éducation, des impératifs extérieurs et leur obéir.; Ligne 2 : 2. Les principes de nos actions nous sont extérieurs (l. 7 à 16); Durkheim avance ensuite deux arguments :ce qui prouve que ces impératifs nous sont extérieurs, c'est que nous ne les connaissons pas toujours ;de plus ces impératifs nous préexistent.; Ligne 3 : 3. Les impératifs moraux sont des faits sociaux(l. 16 à 20); Durkheim rapproche ces impératifs d'autres institutions sociales comme la langue ou la monnaie.Tout comme ces réalités sociales qui nous préexistent, les impératifs moraux sont des faits sociaux.;

Les titres en couleurs et les indications entre crochets servent à guider la lecture mais ne doivent pas figurer sur la copie.

Introduction

[Question abordée] Dans cet extrait des Règles de la méthode sociologique, Durkheim se demande si toutes nos pensées et actions dérivent de nos consciences individuelles. Nous pourrions croire que nous avons le pouvoir de nous prescrire librement certaines conduites. Mais est-ce toujours le cas ? [Thèse] Durkheim démontre ici qu'en réalité, à l'origine d'un certain nombre de nos actions, de nos sentiments et de nos pensées se trouvent des faits sociaux. Autrement dit, des comportements et pensées que nous croyons nôtres, ne sont en réalité qu'un reflet de la société dans laquelle nous vivons. [Problématique et annonce du plan] Pour démontrer cela, Durkheim envisage les conduites que nous adoptons par devoir : sont-elles, comme nous le sentons, fixées par notre conscience propre ? Il montre que notre conscience ne fait qu'intérioriser, par l'éducation, des impératifs extérieurs et leur obéir. Il avance alors deux arguments : ce qui prouve que ces impératifs nous sont extérieurs, c'est que nous n'en connaissons pas le détail et qu'ils nous préexistent. Enfin, Durkheim rapproche ce type d'impératifs d'autres institutions comme la langue ou la monnaie. Tout comme ces réalités sociales qui préexistent à l'usage que j'en fais, les impératifs moraux sont des faits sociaux.

1. Nos conduites morales sont d'origine sociale

A. Nos devoirs sont définis en dehors de nous

Dans un premier temps, Durkheim démontre qu'une grande partie des conduites que nous croyons dictées par notre conscience sont d'origine sociale. Le texte s'ouvre sur trois exemples d'actions que nous faisons par « devoir », c'est-à-dire selon des règles qui circonscrivent nos obligations.

De fait, les statuts de « frère », « d'époux » ou encore de « citoyen » impliquent l'obéissance à des codifications fines : je serai ainsi un bon frère si je respecte les règles de la solidarité familiale. Ainsi, la fraternité est un statut mais exige que je conforme ma conduite à certains principes généraux qui me sont extérieurs, dans la mesure où je ne les ai pas élaborés. En l'occurrence, ces principes sont définis par les « mœurs », c'est-à-dire les coutumes.

En tant qu'époux ou en tant que citoyen, ces principes sont définis par le droit, c'est-à-dire l'ensemble des lois juridiques qui déterminent, dans une société et à un moment donnés, ce qu'il m'est prescrit ou interdit de faire. Pourtant, si je trahis mon frère, ma conscience interviendra, j'en concevrai du remords. De fait, je n'ai pas l'impression d'agir par contrainte quand je me conforme à mes obligations. Mais cela signifie-t-il que les principes d'actions du bon frère sont définis par ma conscience ?

B. Notre conscience les intériorise par l'éducation

Durkheim fait alors apparaître l'origine de cette illusion : c'est, dit-il, que je « sens », quand je trahis mon frère, que j'agis mal. Ma conscience morale se révolte, si bien que, puisque je « sens intérieurement » ce que je devrais faire, je pourrais en conclure que les règles à suivre sont définies par moi.

À cette subjectivité du sentiment, Durkheim oppose alors l'objectivité de ces règles : le fait qu'elles correspondent à mes sentiments ne signifie pas que je les ai produites. Cela implique en revanche qu'elles ont été inscrites en moi par l'« éducation », ce processus de formation qui peu à peu va me faire intérioriser des règles sociales extérieures à moi. Ainsi, mes devoirs de frère, de citoyen ou d'époux ne sont pas « faits » par moi mais « reçus » en vertu de mon éducation : si j'éprouve une souffrance en transgressant ces règles, c'est que je les ai intériorisées.

à noter

Est dit objectif ce qui se rapporte à un objet, sans dériver de ma subjectivité, c'est-à-dire de l'ensemble des sentiments, valeurs, goûts, qui me sont propres.

[Transition] Mais si les principes de mes actions coïncident avec ce que j'éprouve en mon for intérieur, qu'est-ce qui prouve que ce n'est pas ma conscience qui les a produits ?

2. Les principes de nos actions nous sont extérieurs

A. Nous ne les connaissons pas toujours

Dans un deuxième temps de sa démonstration, Durkheim expose deux arguments visant à prouver que les principes de nos actions nous sont bien souvent extérieurs, même si nous les éprouvons comme des réalités intimes.

Tout d'abord, il arrive parfois que nous ne connaissions pas le « détail » de ces règles. Il peut exister un écart entre notre sentiment d'agir comme un bon fils et les règles de droit relatives à ce statut, puisque je peux un jour découvrir que j'enfreins l'une de ces règles que je ne connaissais pas. Peu de gens savent, par exemple, que la loi les oblige à subvenir aux besoins de leurs parents s'ils sont dans le besoin. C'est là la preuve que ces règles d'action dont je pouvais croire qu'elles émanaient de mon cœur ou de ma conscience sont en réalité définies indépendamment de moi, et donc par la société.

B. Ils nous préexistent

Outre le fait que nous ne connaissons pas tout des obligations liées à nos divers statuts sociaux, une deuxième observation nous prouve que les règles de nos actions ne nous sont pas dictées par notre conscience : c'est, dit Durkheim, que ces règles nous préexistent.

Il s'appuie alors sur les principes religieux. Bien sûr, si je suis croyant et que je transgresse un commandement, ma conscience morale se révoltera. Mais là encore, est-ce parce que je viole une règle d'action qui m'est propre ? En réalité, ces commandements existent depuis des siècles à l'extérieur de ma conscience et me survivront. De la même façon que mon comportement de frère est « reçu », les règles religieuses qui me servent de principes sont « toutes faites », c'est-à-dire que je n'ai aucune part dans leur élaboration.

Le conseil de méthode

Vous devez toujours, quand vous citez des termes ou des distinctions dans le cours de votre devoir, les définir, et vous appuyer sur ces définitions pour expliquer le texte.

[Transition] Mais alors, comment se fait-il que ma conscience morale me rappelle si souvent des règles qui sont pourtant extérieures à moi ?

3. Les impératifs moraux sont des faits sociaux

A. Les institutions sociales sont indépendantes de notre usage

Enfin, Durkheim conclut sa démonstration en rapprochant les actions effectuées par devoir, conformément aux règles juridiques ou morales propres à un statut, des actions faites dans le cadre d'autres institutions sociales.

définition

Un fait social se caractérise d'abord selon Durkheim par son origine, il provient de la société, et non de la conscience des individus et de leurs libres choix.

Il prend l'exemple des langues, de la monnaie, du crédit ou des pratiques professionnelles. Les langues ne sont pas faites par nous, elles nous sont extérieures. Ainsi, si je me sers d'une réalité instituée par la société, cela ne signifie pas pour autant que je l'ai produite. De la même façon que je me sers d'une langue, système de signes qui me préexiste, pour exprimer mon intériorité, j'intériorise certaines règles d'action qui me sont pourtant extérieures.

B. La société nous détermine

La société ne nous détermine donc pas seulement à agir en nous contraignant, mais aussi en produisant des « manières d'agir, de penser et de sentir » dont nous croyons qu'elles proviennent de nous. Les règles de nos actions sont définies socialement, intériorisées et dès lors contenues dans nos consciences individuelles, qui régulièrement nous les rappellent. Ces manières d'agir existent donc en dehors de nous, bien que nous les éprouvions comme appartenant à la vie intérieure de notre conscience.

Conclusion

En définitive, si nous avons parfois mauvaise conscience en violant une règle d'action correspondant à l'un de nos rôles sociaux, il faut en déduire que nous avons intériorisé une règle extérieure, définie socialement. Nos obligations relèvent donc du « fait social » tel qu'il est défini par Durkheim, à savoir une réalité existant hors de ma conscience individuelle et me prescrivant des façons d'agir, de penser ou de sentir, sans que j'en aie conscience.

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