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Amérique du Nord 2024 • Explication de texte
Sprint final
44
Amérique du Nord • Mai 2024
Épictète, Entretiens
Explication de texte
Intérêt du sujet • Doit-on penser et se comporter comme si nous étions seuls au monde ? Épictète attire notre attention sur le fait que l’individu n’est pas un absolu, mais une infime partie de ce grand tout qu’on appelle la « nature ».
Expliquez le texte suivant :
Comment donc peut-on dire des choses extérieures qu’il y en a de conformes à la nature et que d’autres lui sont contraires ? C’est comme si nous étions isolés. Ainsi je dirai qu’il est de la nature du pied d’être propre, mais, si tu le considères comme pied et non comme une chose isolée, son rôle sera de patauger dans la boue, de marcher sur des épines et parfois même d’être amputé pour sauver le corps entier. Sinon, il ne sera plus un pied. C’est une conception analogue qui convient à notre propre sujet. Qu’es-tu ? Un homme. Si tu te considères comme un membre isolé, il est selon la nature de vivre jusqu’à un âge avancé, de t’enrichir, de te bien porter. Mais si tu te considères comme un homme et comme partie d’un certain tout, c’est dans l’intérêt de ce tout que tu dois tantôt subir la maladie, tantôt entreprendre une traversée et courir des risques, tantôt supporter la pauvreté et parfois même mourir avant l’heure. Pourquoi donc te fâcher ? Ne sais-tu pas qu’isolé, pas plus que le pied ne sera un véritable pied, toi de même tu ne seras plus un homme ? Qu’est-ce, en effet, que l’homme ? Une partie d’une cité, de la première d’abord, de celle qui est constituée par les dieux et par les hommes, puis de celle qui, comme on dit, s’en rapproche le plus, et qui est une petite image de la cité universelle.
Épictète, Entretiens (ier-iie siècles).
Les clés du sujet
Repérer le thème et la thèse
En s’interrogeant sur ce qui est conforme à la nature, Épictète veut définir la vertu et méditer sur la place de l’homme dans l’univers.
Pour avoir un rapport convenable au monde, aux dieux et aux autres hommes, l’individu doit comprendre qu’il n’est qu’une petite partie d’un grand tout.
Dégager la problématique
Repérer les étapes de l’argumentation
1. La nature est un être vivant raisonnable (l. 1 à 8) | Dans ce texte, cherchez ce que Épictète entend par « choses extérieures ». Pourquoi l’auteur semble-t-il perplexe devant l’opposition entre ce qui est conforme à la nature et ce qui lui est contraire ? Interprétez le sens de l’analogie avec le pied : quelle conception de la nature suppose-t-elle ? |
2. L’homme est partie d’un tout (l. 8 à 15) | Décrivez l’attitude de l’homme ordinaire. Quel reproche Épictète lui fait-il ? Au contraire, quel point de vue le sage adopte-t-il vis-à-vis de l’univers ? Dégagez l’alternative : soit attendre que le monde se conforme à nos désirs, soit conformer notre volonté à l’ordre du monde. |
3. L’ordre politique reflète l’ordre naturel (l. 16 à 19) | Selon Épictète, quel rapport l’homme peut-il entretenir avec les dieux en agissant de manière raisonnable ? Réfléchissez à la notion d’« image », qui introduit une nouvelle analogie entre l’ordre naturel et l’ordre politique. Comment le bon citoyen doit-il se comporter vis-à-vis de l’intérêt général ? |
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Introduction
[Question abordée] Ce texte qui évoque la conformité à la nature vise à définir la bonne conduite, en se fondant sur le rapport convenable de l’individu avec le monde, les dieux et les autres hommes. [Thèse] Épictète montre qu’on doit se considérer comme une partie d’un ensemble plus vaste. [Problématique] Dans ces Entretiens où il s’agit d’enseigner la sagesse, il conteste la manière de penser de l’homme ordinaire : ce n’est pas l’ordre du monde qui doit se plier à nos désirs, mais notre volonté qui doit se conformer à la nature. [Annonce du plan] L’auteur clarifie d’abord le rapport du tout et de la partie grâce à une analogie (l. 1 à 8) avant d’en tirer des leçons concernant la conduite à tenir (l. 8 à 15). Il évoque enfin la société que nous formons, en tant qu’êtres raisonnables, avec les dieux et avec nos semblables (l. 16 à 19).
1. La nature est un être vivant raisonnable
A. Les choses extérieures ne dépendent pas de nous
Par opposition à nos pensées, qui nous sont intérieures et dépendent de nous, les « choses extérieures » ne dépendent pas de nous : par exemple, ce que font ou pensent les autres, ou les événements imprévisibles que le sort nous réserve. Les stoïciens (Sénèque, Épictète, Marc Aurèle) estiment que seules nos pensées nous appartiennent, et que le cours des choses n’est pas en notre pouvoir.
On se sert abusivement de la distinction entre ce qui est conforme à la nature et ce qui lui est contraire pour désigner ce qui nous convient ou pas. Mais faut-il tout rapporter à soi-même comme si nous étions « isolés » du reste de la nature ? C’est ce qui convient au tout qui devrait être dit conforme à la nature.
B. La partie n’existe pas sans le tout
Épictète recourt à une analogie. Si l’on considère un pied pour lui-même, il est naturel que celui-ci soit propre et sain. Mais envisagé comme un membre du corps, le pied n’est qu’un instrument dont on se sert, quitte à le salir dans la boue ou à le meurtrir dans les épines. En cas de blessure ou de maladie, il arrive même qu’on l’ampute pour préserver le reste. C’est donc le tout qu’il faut considérer pour juger de ce qui est convenable.
L’homme n’est pas plus séparable de la nature que le pied ne l’est du corps. Il ne s’agit pas seulement d’une image, car pour les Anciens, la nature n’est pas un amas de matière obéissant à des lois mécaniques. Aristote dit que « la nature ne fait rien en vain » et la décrit comme une puissance productrice vivante et avisée : il existe pour lui un ordre du monde où chaque chose a sa place. De même, les stoïciens affirment que le monde est pénétré d’intelligence en toutes ses parties, au même titre qu’un être vivant raisonnable.
[Transition] Dans un souci didactique, Épictète use d’une analogie pour montrer que les choses s’inscrivent dans un ordre naturel bien fait. Il peut maintenant expliquer plus directement les leçons à tirer.
2. L’homme est partie d’un tout
A. L’homme ordinaire se croit seul au monde
Les hommes rapportent tout à eux-mêmes. Ils se lamentent ou se gonflent d’orgueil, se languissent ou sont pétris de crainte. Ils deviendraient plus sereins si, au lieu d’attendre que les événements se conforment à leurs désirs, ils s’efforçaient de conformer leur volonté aux événements. Ce ne sont pas les événements qui nous troublent, mais l’opinion qu’on s’en fait.
citation
« Je ne suis pas l’Éternel, je suis un homme, une partie de l’univers comme l’heure est une partie du jour […]. » (Épictète, Entretiens)
Certes, on préfère la santé, la richesse et une vie longue. Mais il faut élargir notre point de vue : le cycle naturel de la vie inclut la mort ; les maladies ou la pauvreté sont aussi dans l’ordre des choses. Il n’y a pas en soi d’événement malheureux : ce qui est perçu comme un mal par l’individu s’insère dans un ordre harmonieux qu’il nous faut accepter.
B. Le sage s’en remet à la providence
Nous ne devons pas nous irriter contre le sort, mais nous en remettre avec confiance à la providence. Les stoïciens parlent d’une « sympathie universelle » : tout concorde sous la conduite d’une intelligence suprême.
La vertu, c’est-à-dire la bonne conduite, consiste à « faire ce qui suit de la nature ». Un homme doit occuper le mieux possible la place qui lui a été donnée, tout comme le comédien ne choisit pas son rôle mais doit bien le jouer. Il faut « n’avoir jamais aucune volonté, aucun désir, qui ne se rapportent à l’ensemble ».
[Transition] La sagesse stoïcienne prescrit de conformer nos pensées et nos actions à la nature, non pas par une triste résignation, mais en ayant confiance en la providence. Mais quelle place l’homme occupe-t-il dans l’univers ?
3. L’ordre politique reflète l’ordre naturel
A. Nous sommes des citoyens du monde
citation
« Tu es un citoyen et une partie du monde, non pas une partie destinée à servir, mais une partie maîtresse : car tu as conscience du gouvernement de Dieu, et tu te rends compte de l’enchaînement universel. » (Épictète, Entretiens)
L’homme occupe dans la nature une place de choix car il est doté de la raison. Cette faculté le distingue des bêtes en lui permettant de comprendre trois choses : « qu’il est une partie du monde, quelle espèce de partie il est, et qu’il est bien que les parties obéissent à l’ensemble ». En faisant bon usage de sa pensée, l’homme s’identifie à la raison divine et se reconnaît comme « un fragment de Dieu ».
Nous devons être des membres actifs de cette vaste cité qu’est l’univers, et obéir de bon gré à son très sage administrateur. L’homme de bien, comme le bon citoyen, méprise son avantage propre et considère l’intérêt de l’ensemble. Épictète soutient même que le sage coopérerait à son propre malheur car « le tout est supérieur à la partie et la cité au citoyen ».
B. La cité humaine est une image de la cité universelle
Au contraire des cyniques qui opposaient la nature aux conventions, les stoïciens voient dans la communauté politique une « image » de la communauté universelle. C’est en effet une même communauté de nature qui unit le sage aux dieux et qui l’unit aux autres hommes : celle des êtres raisonnables.
Certes, une image n’est qu’un reflet plus ou moins dégradé de la chose : la cité humaine n’atteint pas la perfection de l’ordre naturel. Mais elle s’efforce de « s’en rapprocher », le droit positif devant s’inspirer du droit naturel. Comme toute communauté fait prévaloir l’intérêt général sur l’intérêt particulier, le sage stoïcien est attaché aux lois, à sa patrie et à ses concitoyens, tout en ayant conscience que le genre humain forme une société plus large.
définitions
Les Anciens distinguent les lois de la Cité, qui découlent des conventions faites par les hommes (droit positif) et les lois de la nature, qui manifestent un ordre voulu par les dieux (droit naturel).
Conclusion
Influencé par le stoïcisme, Descartes écrit : « il faut toujours préférer les intérêts du tout, dont on est partie, à ceux de sa personne en particulier ». En évoquant l’ordre de la nature, Épictète donne à ce précepte une dimension cosmique. Il définit la vertu en disant quelle place occupe l’homme dans la société qu’il forme avec les dieux et avec ses semblables.