Le bonheur
S’entraîner
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Asie • Juin 2021
Existe-t-il des techniques pour être heureux ?
Dissertation
Intérêt du sujet • Apprendre à être heureux, Plaidoyer pour le bonheur, L’Apprentissage du bonheur… Dans les librairies fleurissent les ouvrages promettant une recette du bonheur efficace et accessible à tous. Pourtant, s’il suffit d’appliquer une recette pour devenir heureux, pourquoi ne le sommes-nous pas tous ?
Les clés du sujet
Définir les termes du sujet
Existe-t-il des techniques
Les techniques désignent l’ensemble des moyens artificiels, intellectuels ou matériels, inventés par l’homme en vue d’atteindre une fin déterminée.
Elles peuvent désigner des méthodes, un savoir-faire, ou encore des outils, des machines etc.
Interroger leur existence, c’est se demander si elles permettent vraiment d’atteindre cette fin qu’est le bonheur.
Être heureux
Le bonheur désigne un sentiment de satisfaction durable, qui se distingue en cela de la joie, passagère, et du plaisir ou du bien-être, qui relèvent de la sensation.
Du latin bonum augurium (bon hasard, bonne chance), il est communément associé à l’idée selon laquelle il adviendrait indépendamment de nos mérites, de nos efforts, de notre vertu, et serait lié à des éléments extérieurs à nous. Dans cette perspective, il serait contingent.
Il peut apparaître comme une fin, en ce sens que toutes nos actions viseraient en dernier ressort l’obtention du bonheur.
Dégager la problématique
Construire un plan
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Introduction
[Reformulation du sujet] Il s’agit de savoir si le bonheur peut résulter de la simple application de techniques. A priori, il semble évident que de telles techniques existent, puisque des méthodes du bonheur se vendent en librairie. Mais sont-elles efficaces ? [Définition des termes du sujet] Le bonheur désigne un sentiment de satisfaction durable. Si son étymologie nous indique qu’il est lié au hasard (de bonum augurium, bon hasard), il peut pourtant apparaître comme la fin de nos actions : il serait ce que nous recherchons tous, bien que son contenu diffère d’un homme à l’autre. Les techniques désignent l’ensemble des moyens matériels ou intellectuels inventés par les hommes en vue d’obtenir une fin déterminée. [Problématique] Le bonheur est-il une fin parmi d’autres, que chacun peut atteindre par des techniques efficaces ou bien devons-nous nous résoudre à admettre que le bonheur est indépendant de nos efforts ?
1. Il existe des techniques pour atteindre le bonheur
A. Le bonheur est affaire de volonté
Dans un premier temps, il semble que, de fait, les méthodes du bonheur existent. Dans la continuité du mouvement New Age, le « développement personnel » et la « psychologie positive », qui regroupent indistinctement des pratiques et théories venues d’horizons divers, vantent ainsi la possibilité d’un accès au bonheur par des méthodes générales indépendamment de nos singularités.
définitions
Ce qui est singulier, c’est ce qui est unique. Ce qui est général est en revanche ce qui est propre à un groupe.
La méthode Coué, du nom de ce pharmacien et psychothérapeute qui nous invite à répéter vingt fois par jour la formule : « Tous les jours, à tous points de vue, je vais de mieux en mieux », est un exemple de ces techniques d’autosuggestion par lesquelles chacun pourrait se rendre heureux. Le bonheur serait atteint non pas en modifiant ses actes ou le monde, mais par l’obéissance à des procédés très simples : il suffirait de le vouloir pour le pouvoir.
B. Le bonheur est un produit parmi d’autres
C’est ainsi que le bonheur peut apparaître comme un objet extérieur à soi, un produit parmi d’autres, auquel chacun peut accéder. Il serait en ce sens une ressource, que chaque individu, quel qu’il soit, pourrait exploiter en lui, pourvu qu’il applique les exercices prévus pour lui par des experts en bonheur. Le malheur ne serait plus le fait du hasard, mais de l’incompétence individuelle en matière de bonheur.
Mais peut-on vraiment apprendre à être heureux comme on apprend à faire un gâteau ? Autrement dit, suffit-il de développer des compétences, des techniques détachées de tout savoir, pour obtenir le bonheur ?
[Transition] De fait, il semble qu’aucune de ces techniques du bonheur ne repose sur un savoir identifiable. Tout au plus pourra-t-on dire : « j’ai observé que si je répétais chaque jour que j’allais de mieux en mieux, je devenais heureux ». Mais qu’est-ce qui me garantit l’efficacité d’une telle technique ? En quoi serait-il légitime de la généraliser ?
2. Aucune technique ne nous rendra heureux
A. Le bonheur est un idéal de l’imagination
Il semble bien que le bonheur soit une fin visée par chacun. Mais il apparaît également que son contenu ne peut être déterminé objectivement. En d’autres termes, c’est seulement en vertu de mon expérience, et donc subjectivement, que j’identifierai par exemple l’amour, l’amitié ou l’argent comme des conditions de mon bonheur.
définitions
Une représentation objective reflète l’objet tel qu’il est. Une représentation subjective reflète moins l’objet sur lequel elle porte que le sujet qui la forme.
Dès lors, comment serait-il possible d’indiquer par des règles générales le moyen pour un individu singulier d’accéder à son bonheur ? C’est ce que relève Emmanuel Kant : le bonheur est un « idéal de l’imagination », c’est-à-dire que s’il est possible de le définir comme un sentiment durable de plénitude, il est en revanche impossible d’en définir les moyens.
B. Nous ne pouvons que tenter de favoriser notre bonheur
Par conséquent, nous ne pouvons qu’agir selon « des conseils empiriques, qui recommandent, par exemple, un régime sévère, l’économie, la politesse, la réserve, etc., toutes choses qui, selon les enseignements de l’expérience, contribuent en thèse générale pour la plus grande part au bien-être. »
En d’autres termes, nous pouvons tout au plus suivre ces « conseils empiriques » réputés contribuer au bonheur, sans qu’ils nous le garantissent d’aucune manière. Sorti de là, dit Kant, « le problème qui consiste à déterminer d’une façon sûre et générale quelle action peut favoriser le bonheur d’un être raisonnable est un problème tout à fait insoluble ».
à noter
Le bonheur étant subjectif, aucune technique ne peut nous en garantir l’accès. Pour Kant, le bonheur ne doit donc pas être notre fin.
[Transition] Mais sommes-nous alors fondés à renoncer à faire notre bonheur ? Est-il si sûr qu’aucun savoir ne peut nous indiquer comment y accéder ?
3. Le bonheur est l’enjeu d’une réflexion morale
A. La quête du bonheur ne peut être dissociée d’un effort de connaissance
Qu’il existe une science du bonheur, c’est précisément ce qu’affirme Épicure en définissant, dans la Lettre à Ménécée, la philosophie comme « ce qui garantit la santé de l’âme ». Loin d’être un savoir théorique détaché du réel, la philosophie, selon Épicure, est une activité réflexive. Elle se saisit de toutes nos autres activités et connaissances et questionne leurs buts, leurs moyens, et leur capacité à nous permettre d’atteindre l’ataraxie, c’est-à-dire l’absence de troubles qui pour Épicure correspond au bonheur.
L’eudémonisme d’Épicure nous invite ainsi à considérer que c’est avant tout le savoir soutenu par des exercices spirituels qui rend heureux. Le tetrapharmakos (quadruple remède) doit ainsi nous fournir un appui dans la lutte permanente contre les opinions fausses qui nourrissent les passions antisociales et font obstacle à notre bonheur.
à noter
Selon la doctrine eudémoniste, le bonheur est le souverain bien, la fin naturelle de toute vie humaine. S’il faut bien agir, c’est parce que la vertu conditionne notre bonheur.
B. Le bonheur dépend d’un art de soi
Que le bonheur ne résulte pas de simples techniques détachées du savoir, mais d’un effort permanent pour vivre selon la connaissance, c’est encore ce que montre l’extrême discipline des stoïciens. Ils exposent les principes d’un art de soi par lequel il ne s’agit pas de développer une « pensée positive » mais de se transformer soi-même. Comme le rappelle Foucault dans L’herméneutique du sujet, le souci de soi, loin de désigner une simple attitude de conscience, est pensé par l’Antiquité grecque comme « une occupation réglée, un travail avec ses procédés et ses objectifs », par lequel l’âme se ressaisit en sortant de l’éparpillement propre à la vie affairée.
à noter
Dans Le Courage de la vérité, Foucault explore les morales antiques, en soulignant qu’elles désignent avant tout un art de vivre, et non de simples techniques ou manières de penser.
La vertu, dès lors, est un style d’existence, et la morale un art de soi. Il s’agit bien, par la réflexion morale, de « prendre soin de son âme », c’est-à-dire de la façonner. La morale antique, dit Foucault, ne cherche pas à définir des règles universelles, mais ne nous détourne pas non plus des autres en nous appelant à nous recentrer sur notre bonheur privé. Elle affirme que c’est en nous formant nous-mêmes que nous fonderons un certain type de communauté humaine : l’homme vertueux est pour Socrate le bon citoyen, comme il est pour Épicure un « ami » puisque, comme lui, il « prend soin de son âme ».
Conclusion
En définitive, il n’existe pas de techniques du bonheur qui seraient dissociées d’un effort visant à connaître et à vivre selon la connaissance. En ce sens, ce sont moins des techniques qu’un art de soi qui nous permet de nous améliorer, c’est-à-dire de devenir heureux.