Sujet zéro 2020 • Dissertation
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Sujet zéro 2020
Existe-t-il des vérités définitives ?
Dissertation
Intérêt du sujet • L'histoire des sciences nous montre que même une théorie scientifique tenue pour vraie à une époque peut être, plus tard, remise en cause. La vérité scientifique nous semble pourtant particulièrement stable. Mais alors, quel type de vérité pourrait résister au passage du temps ?
Les clés du sujet
Définir les termes du sujet
Existe-t-il
Il s'agit de s'interroger sur la possibilité même, pour certaines vérités, de ne pas être provisoires mais irrévocables, stables pour toujours.
Vérités
La vérité désigne la correspondance entre l'idée et la chose, c'est-à-dire l'adéquation d'un discours ou d'une représentation à la réalité.
Elle désigne par ailleurs l'accord de la pensée avec elle-même : on parle alors de vérité logique.
Le pluriel nous invite à établir une distinction entre différents types de vérités : car si elle peut être établie par les sciences au moyen de la démonstration, de l'expérimentation ou de l'argumentation, la vérité est aussi un enjeu pour l'art, la religion ou pour la vie quotidienne. Les vérités mathématiques se distinguent, par exemple, des vérités d'expérience ou de la vérité révélée par la foi.
Définitives
Le définitif s'oppose au provisoire : ce terme désigne donc la fin d'un processus de changement.
Une vérité définitive serait en ce sens une vérité absolue, non soumise à variation, qui resterait une vérité indépendamment du temps, au contraire d'une vérité momentanée, relative au temps.
Dégager la problématique
Construire un plan
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Introduction
[Reformulation du sujet] Il s'agit de savoir s'il est possible pour une vérité d'en rester toujours une. On pourrait penser qu'une vérité n'en est une que si elle est définitive. Pourtant, dès lors qu'il existe une histoire des mathématiques, cela ne signifie-t-il pas que toutes les vérités peuvent un jour être remises en cause ? [Définition des termes du sujet] La vérité désigne en un premier sens la correspondance entre l'idée et la chose, c'est-à-dire l'adéquation d'un discours ou d'une représentation à la réalité. On distingue pourtant les vérités formelles propres à la logique des vérités matérielles portant sur la réalité. Le pluriel nous invite d'ailleurs à établir une distinction entre différents types de vérités : les vérités mathématiques se distinguent, par exemple, des vérités d'expérience ou de la vérité révélée, c'est-à-dire de la vérité religieuse. Le définitif s'oppose au provisoire et désigne la fin d'un processus de changement. Une vérité définitive serait donc une vérité absolue, figée, qui resterait une vérité indépendamment du temps. [Problématique] Il s'agit donc de savoir si une vérité peut subsister à l'identique dans le temps : est-il possible de concevoir des vérités permanentes, ou bien n'y a-t-il que des vérités temporaires ?
à noter
La distinction absolu/relatif est un repère du programme. Absolu (du latin ab-solutus, séparé de) signifie indépendant d'un contexte, tandis qu'une chose relative est en relation avec un contexte, dépend de lui.
1. La vérité doit être définitive
A. La vérité se distingue de l'opinion ou du préjugé
Dans un premier temps, on pourrait penser qu'il n'y a de vérité que définitive : quelle serait en effet la valeur d'une vérité qui se donnerait pour provisoire ? Ne serait-elle pas une vérité incertaine, qui pourrait un jour apparaître comme une erreur ?
De fait, l'idée vraie se distingue de l'opinion, autrement dit le préjugé, idée qui précède l'exercice du jugement, et ne procède donc d'aucun savoir. Si l'opinion est de l'ordre d'une croyance, c'est-à-dire de l'adhésion subjective à une idée tenue pour vraie, l'idée vraie est de l'ordre du savoir, ce qui garantit sa stabilité. La philosophie se construit précisément contre la relativité et la versatilité des opinions qui, parce qu'elles ne sont pas fondées sur le savoir, ne peuvent en aucun cas prétendre à la vérité.
B. Les vérités mathématiques sont le modèle de toute vérité
Si la vérité doit être définitive, les vérités mathématiques en sont le modèle, dans la mesure où elles sont sans rapport avec la réalité, donc indépendantes du temps. Descartes, dans les Règles pour la direction de l'esprit, indique ainsi que les mathématiques doivent être le modèle de toute science, en raison de la certitude absolue de leurs vérités.
Si les vérités mathématiques sont certaines, si elles échappent à toute remise en cause et donc à toute variation, c'est, dit-il, en raison de leur méthode (la déduction est purement rationnelle, elle ne dépend pas de l'expérience) et de la simplicité de leurs objets (les nombres ou les figures existent dans notre esprit indépendamment de la réalité extérieure). De ce fait, les vérités mathématiques sont immuables puisqu'elles ne dépendent pas des variations éventuelles de la réalité.
[Transition] Mais existe-t-il des vérités définitives en dehors des vérités mathématiques ? Ne pouvons-nous rien penser du réel qui ne soit provisoire ?
2. La plupart des vérités sont provisoires
A. Les vérités d'expérience sont précaires sans être des erreurs
Il semble que tout ce que je peux dire de vrai concernant la réalité soit incertain, ou plus précisément à la fois vrai et provisoire. Si la vérité ne se définit pas comme accord de ma pensée avec elle-même (on parle alors de vérité logique, ou vérité-cohérence), elle correspond alors à l'adéquation à la réalité : quand je dis qu'il neige, cette proposition n'est vraie que tant qu'elle correspond à l'état actuel de la réalité. Les vérités portant sur le réel sont donc provisoires : si je dis qu'il neige, il s'agit d'une vérité temporaire, qui n'apparaîtra d'ailleurs pas comme une erreur dès lors que l'état de la réalité se modifiera.
B. Toutes les vérités d'expérience sont seulement probables
De façon générale, on peut dire que toute représentation se rapportant à l'expérience sensible ne peut être dite vraie que provisoirement. C'est en ce sens que Hume distingue les « vérités de fait » des « vérités de raison ».
Les vérités mathématiques restent toujours vraies, puisqu'elles n'ont aucun rapport avec la réalité : « Même s'il n'y avait jamais eu de cercle ou de triangle dans la nature, les vérités démontrées par Euclide conserveraient pour toujours leur certitude et leur évidence ».
En revanche, les vérités de fait sont provisoires, et en ce sens probables. De fait, la proposition « le soleil se lèvera demain » est probablement vraie, puisqu'il en a toujours été ainsi jusqu'à aujourd'hui, et puisque des lois physiques m'expliquent ce phénomène. Mais rien ne garantit l'uniformité du réel, c'est-à-dire que rien ne prouve que ce qui a eu lieu jusqu'ici aura toujours lieu. Tout ce que je peux dire ou penser de la réalité sensible n'est donc que probable, et en ce sens pour toujours provisoire, puisque « le contraire d'un fait quelconque est toujours possible ».
à noter
Est probable ce qui est vraisemblable, ce qui a plus de chance d'être vrai que faux. Ce qui est certain ne tolère aucun doute.
[Transition] Mais alors, en dehors des vérités formelles, peut-on tenir une seule vérité pour indubitable, impossible à remettre en cause ?
3. Il n'y a que des vérités provisoires
A. Même les vérités scientifiques ont une histoire
Dans cette perspective, on peut difficilement penser qu'il existe des vérités définitives autres que celles de la logique, qui de fait ne sont pas tributaires des modifications de la réalité. Russell nous rappelle ainsi que les vérités scientifiques elles-mêmes sont prises dans une histoire : penser un progrès des sciences, c'est nécessairement penser les vérités scientifiques comme provisoires. La science « s'attend à ce que des modifications de ses théories actuelles deviennent tôt ou tard nécessaires, et se rend compte que sa méthode est logiquement incapable d'arriver à une démonstration complète et définitive. » En effet, si certaines lois scientifiques ne peuvent pas être remises en cause, elles sont susceptibles d'être modifiées par le développement des outils d'observation ou par de nouvelles découvertes.
Comme l'explique Kuhn, les théories scientifiques peuvent être bouleversées. Ces « changements de paradigme » qui correspondent à des changements dans l'ordre de nos représentations collectives, nous interdisent de penser qu'une science qui porte sur le réel puisse énoncer une vérité définitive : ces vérités ne sont pas indépendantes du temps, ni de l'évolution de nos représentations et de nos besoins.
l'auteur
Thomas Samuel Kuhn (1922-1996).
Kuhn théorise le concept de « changement de paradigme » pour rendre compte de la discontinuité du progrès scientifique.
B. Nos vérités évoluent
Finalement, si l'idée d'une vérité provisoire nous apparaît problématique, n'est-ce pas parce que nous sommes prisonniers d'une certaine conception de la vérité ? Nous pensons en effet qu'elle doit être « solide », pour reprendre les termes de Bergson, alors que toute vérité est « fluide », c'est-à-dire que ce que nous appelons vérité n'est jamais qu'une affirmation que nous tenons pour vraie selon une certaine perspective nécessaire à notre action.
De fait, si la vérité est adéquation au réel et que l'état du réel est provisoire, toutes nos vérités ne sont-elles pas appelées à s'adapter à ce caractère mouvant du réel et à nos exigences d'action ? Comme le remarque Weber dans les Essais sur la théorie de la science, s'il est possible par exemple de parler de vérités en histoire, « science du réel » qui contrairement aux « sciences de la nature » procède par argumentation, c'est bien dans la mesure où l'historien s'appuie sur une méthode qu'il doit pouvoir présenter. Pourtant, souligne Weber, il n'y a pas de vérité unique en histoire, mais seulement une pluralité d'hypothèses qui se complètent et dont la diversité tient à nos différentes exigences de sens. Autrement dit, l'histoire est bien une science humaine dans la mesure où elle procède d'une certaine méthode et tend à l'objectivité, mais ses vérités restent toujours partielles, à compléter ou à enrichir.
Conclusion
Ainsi, s'il y a des vérités définitives, on ne peut les penser que comme des vérités logiques qui, par définition, ne peuvent pas être remises en cause. Toute autre vérité est provisoire dans le sens où toute vérité portant sur le réel ne s'élabore pas indépendamment de nos besoins. En somme, toute vérité dépend d'une certaine perspective d'action, si bien que même la vérité scientifique doit être envisagée comme une vérité provisoire, toujours à élaborer.