LE TEMPS
Le temps
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Dissertation
Faut-il oublier le passé pour se donner un avenir ?
Intérêt du sujet • Qui n'a pas déjà subi une déception amoureuse ? Le passé amoureux est-il alors un obstacle au déploiement des passions à venir ? Autrement dit, faut-il nécessairement faire table rase de son passé pour pouvoir s'offrir d'autres horizons ?
Les clés du sujet
Définir les termes du sujet
Faut-il
Cherchez les différents sens de cette expression :
« Est-ce une condition nécessaire ? » ;
« Est-ce juste et légitime ? ».
Oublier le passé
Le passé constitue la somme des évènements dont on peut faire le récit sous la forme de l'histoire et que l'homme ne peut plus modifier.
En ce sens, oublier le passé reviendrait à se débarrasser de la mémoire des évènements pour ne pas être déterminé par ce qui ne dépend plus de nous.
Pour se donner un avenir
Il faut distinguer l'avenir du futur. Le futur constitue l'ensemble des évènements que nous cherchons à prédire et à anticiper à partir de notre connaissance du passé et du présent. L'avenir désigne plutôt le caractère indéterminé des évènements à venir, dans la mesure où ils sont le produit d'une conscience libre.
Se donner un avenir revient donc à ne pas se laisser déterminer par le passé et à conserver la suite de son existence comme un horizon libre.
Dégager la problématique
Construire un plan
Les titres en couleurs et les indications entre crochets servent à guider la lecture mais ne doivent en aucun cas figurer sur la copie.
Introduction
[Accroche] À la différence du futur, que l'on cherche à prédire ou à anticiper, l'avenir se présente comme un horizon indéterminé. Il n'y a donc d'avenir que pour une conscience libre : c'est justement parce que l'homme n'est pas déterminé qu'il ne peut pas savoir de quoi sera fait son avenir. Mais ne sommes-nous pas enchaînés au cours de nos actions passées ? [Reformulation du sujet] Peut-être faut-il faire table rase du passé pour ménager la possibilité d'un avenir, c'est-à-dire pour nous libérer de ce que nous ne pouvons plus changer ? [Problématique] Dès lors, est-il possible de reconnaître le passé, nécessairement déterminé, sans renoncer à la liberté de l'avenir ? [Annonce du plan] Dans l'horizon de notre histoire individuelle et collective, il semble que l'avenir exige la mémoire du passé. Mais cette mémoire peut faire obstacle au déploiement du possible et nous rendre prisonniers du passé : nous donner un avenir impliquerait donc d'accepter l'oubli. En réalité, nous sommes responsables du passé comme de l'avenir : notre liberté se fonde sur l'exigence d'une reconnaissance du passé qui n'implique pas la détermination de l'avenir.
1. L'avenir ne peut se passer de la mémoire du passé
Le secret de fabrication
Il nous faut d'abord souligner le caractère vain et lâche de l'oubli du passé : nous préférons souvent oublier ce qui nous déplaît. Mais c'est précisément pour cette raison qu'il est de notre responsabilité de nous souvenir pour ne pas faire reposer l'avenir sur l'ignorance et le refus du passé.
A. L'homme peut se rendre prisonnier du passé
Du point de vue collectif et individuel, le passé constitue la somme des évènements dont on peut faire le récit sous la forme de l'histoire et qui échappe d'une certaine manière à la liberté humaine. Le passé, c'est précisément ce que l'on ne peut plus changer.
L'homme semble dès lors condamné à une certaine impuissance. Arendt explique que notre pouvoir d'agir se heurte à l'irréversibilité du passé. Nous sommes contraints à reconnaître le passé, sans plus pouvoir modifier la suite des actions, quand bien même nous voudrions refaire l'histoire.
B. L'oubli nous condamne à la résurgence du passé
Dès lors, ne faut-il pas céder à l'oubli pour ne plus porter le poids du passé ? Cet oubli paraît vain : il ne nous prémunit pas du risque de répéter sans cesse le passé. Dans la répétition, le temps humain s'enferre dans une circularité qui prive l'homme de sa liberté. L'idée même d'un avenir n'a plus de sens : il n'y aurait rien à faire ni à apprendre de plus. L'agir humain se limite ainsi à la reproduction de certains schémas déterminés par ce qui est arrivé par le passé.
à noter
L'homme qui répète le passé vit à l'image de Sisyphe, condamné par les dieux à hisser pour l'éternité une pierre en haut d'une montagne. Une telle existence semble absurde et vaine : elle se prive de tout avenir et se place sous le signe de la fatalité.
L'histoire des communautés politiques montre ainsi l'effort des hommes pour se souvenir du passé afin d'éviter de le répéter. À l'issue du traumatisme du génocide des Juifs dans l'Allemagne nazie, on a ainsi vu émerger l'idée d'un devoir de mémoire. Pour ne pas voir un passé traumatique se répéter, les hommes doivent garder leur histoire en mémoire plutôt que céder à l'oubli.
C. Il faut tirer les leçons du passé pour se donner un avenir
On peut avancer encore d'un pas : la seule mémoire ne suffit pas. Il faut aussi tâcher de comprendre le passé pour se donner un avenir. Nous avons le devoir de tirer des leçons du passé pour nous en libérer. En tâchant de donner du sens à son histoire individuelle et collective, l'homme apprend par l'expérience à se connaître et à connaître le monde, en sorte de devenir plus libre, c'est-à-dire davantage capable de mettre en œuvre le projet qu'il aura librement choisi.
[Transition] Mais peut-on toujours supporter le poids du passé ? Celui-ci ne constitue-t-il pas l'obstacle fondamental à un avenir libre et indéterminé ?
2. L'oubli, condition nécessaire au déploiement de l'avenir
A. La mémoire du passé est faillible
Si le passé est précisément ce qui n'est plus, la mémoire constitue l'agent de conservation du passé dans le présent. En ce sens, elle lui assure un statut ontologique spécifique : le passé est ce qui n'est plus, mais il conserve une existence virtuelle, dans le souvenir des hommes et les récits qu'ils en font.
Cependant, la mémoire que nous conservons du passé n'est pas nécessairement fidèle à ce qui s'est passé. Les souvenirs ne sont pas des représentations neutres : ils sont aussi déterminés par les désirs ou les peurs des hommes. On dit d'ailleurs qu'on ne se souvient parfois que de ce dont on préfère garder la mémoire : c'est l'idée d'une mémoire sélective.
B. Elle peut constituer un fardeau pour l'avenir
Le refus de l'oubli ou la déformation du passé nous expose ainsi à un double écueil, pouvant faire obstacle au déploiement de l'avenir. C'est ce qu'explique Nietzsche en affirmant qu'il est « impossible de vivre sans oubli ».
Le premier sentiment pouvant faire obstacle au déploiement de l'avenir n'est autre que la nostalgie. En nous replongeant dans la mémoire d'un passé heureux, nous sommes susceptibles de le préférer au présent et à l'avenir : nous rejouons un passé dont nous ne voulons pas nous détacher.
Le secret de fabrication
Dans son roman L'Invention de Morel, Adolfo Bioy Casares met ses personnages face à un dilemme. Le scientifique Morel a créé une machine permettant de vivre éternellement dans un souvenir heureux. Il témoigne ainsi du désir qui conduit les hommes à fuir l'avenir pour le passé en ne vivant que dans la virtualité du souvenir.
À rebours, le souvenir du passé peut faire naître le ressentiment : une forme de colère voire de haine qui reconduit inlassablement le sujet à un tort subi par le passé. Le désir de vengeance manifeste ainsi la possibilité d'un asservissement de l'homme au passé.
C. C'est en oubliant le passé que l'homme peut envisager un avenir heureux
Nietzsche explique ainsi que l'oubli du passé ne relève en rien de la lâcheté, mais témoigne au contraire du courage de se donner un avenir, en acceptant justement que le passé soit passé.
Le précepte à suivre serait donc le suivant : « Faire silence, un peu, faire table rase dans notre conscience pour qu'il y ait de nouveau de la place pour les choses nouvelles » (Généalogie de la morale). Il faut se détacher du passé pour ménager une place au possible.
[Transition] Cette nécessité de l'oubli ne témoigne-t-elle pas en réalité de la manière dont nous nous rapportons au passé ? Plutôt que d'oublier le passé, ne faut-il pas se souvenir qu'il aurait pu être autrement qu'il a été ?
3. Pour se donner un avenir, il faut considérer le passé comme le produit de notre liberté
A. L'homme doit accepter la contingence de l'existence
C'est seulement lorsque nous pensons être déterminés par le passé que celui-ci peut nous conduire à une forme d'aliénation. Mais l'oubli n'est alors que le remède commode à notre méconnaissance de la nature même de l'existence.
Au contraire, lorsque nous considérons la pure contingence de l'existence, nous comprenons que le passé n'est lui-même qu'une simple possibilité réalisée. Sartre explique ainsi qu'il nous est toujours possible d'agir autrement que nous le faisons. Aussi devons-nous comprendre que le passé ne détermine l'avenir qu'en tant que nous le choisissons.
B. Céder à l'oubli, c'est renoncer à sa liberté
Sartre, dans une pièce de théâtre intitulée Huis clos, met en scène trois personnages en enfer. Chacun tente de fuir la mémoire d'un passé peu glorieux : tous veulent, par l'oubli, se détourner de leur responsabilité. Il s'agit de figures de la mauvaise foi. En quoi sont-ils donc en enfer ? Parce que les autres rappellent à leur souvenir ce qu'ils ont fait et ce qu'ils ont été. L'oubli est en réalité impossible : nous devons nous confronter au passé comme un témoignage de notre liberté.
Le conseil de méthode
Lorsque vous convoquez un exemple littéraire pour développer un paragraphe, rappelez rapidement l'intrigue de l'ouvrage en soulignant les éléments pertinents au regard du sujet.
C. Il est de notre responsabilité de maintenir l'avenir comme un horizon ouvert
C'est seulement en reconnaissant notre passé que nous pouvons aussi nous donner un avenir. Ce qui s'est passé était par nature aussi indéterminé que l'avenir. Il ne faut pas opposer ces deux moments du temps : l'avenir d'aujourd'hui n'est autre que le passé de demain.
Dès lors, la liberté de l'avenir ne se trouve ni dans l'oubli ni dans la mémoire obsédante du passé : elle exige plutôt que nous acceptions notre responsabilité face à l'indétermination de l'existence. L'avenir est un horizon contingent dont nous déterminons nous-mêmes le sens. Rien ne peut donc entraver l'avenir sinon notre propre lâcheté, qui consiste à refuser le fardeau de notre condition humaine, à savoir que « nous sommes condamnés à être libres ».
Conclusion
Le passé et l'avenir entretiennent des rapports ambigus. Nous pouvons d'abord considérer que l'avenir ne peut être envisagé sans la mémoire du passé et qu'il est donc de notre devoir de nous en souvenir pour éviter de le répéter. Mais qu'il soit heureux ou malheureux, notre rapport au passé ne nous prive-t-il pas justement de l'avenir ? Plus que l'oubli, la solution au problème se situe précisément dans la façon dont nous nous rapportons au passé. De même que l'avenir, le passé a été le produit de notre liberté. Il faut donc reconnaître notre passé tout en nous arrachant à l'idée qu'il détermine l'avenir : c'est le sens même de notre liberté et de notre responsabilité.