Le travail
s'entraîner
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Le travail
Freud, Malaise dans la civilisation
Explication de texte
Intérêt du sujet • Qui ne rêve pas parfois d'une vie d'oisiveté, loin des contraintes qu'inflige le travail ? Mais travail et bonheur s'opposent-ils systématiquement ? Freud vous invite à penser le contraire… et à préparer avec ardeur votre baccalauréat !
Expliquez le texte suivant :
En l'absence de dons spéciaux de nature à orienter les intérêts vitaux dans une direction donnée, le simple travail professionnel, tel qu'il est accessible à chacun, peut jouer le rôle attribué dans Candide à la culture de notre jardin, culture que Voltaire nous conseille si sagement. Il ne m'est pas loisible dans une vue d'ensemble aussi succincte, de m'étendre suffisamment sur la grande valeur du travail au point de vue de l'économie de la libido1. Aucune autre technique de conduite vitale n'attache l'individu plus solidement à la réalité, ou tout au moins à cette fraction de la réalité que constitue la société, et à laquelle une disposition à démontrer l'importance du travail vous incorpore fatalement. La possibilité de transférer les composantes narcissiques, agressives, voire érotiques de la libido dans le travail professionnel et les relations sociales qu'il implique, donne à ce dernier une valeur qui ne le cède en rien à celle que lui confère le fait d'être indispensable à l'individu pour maintenir et justifier son existence au sein de la société. S'il est librement choisi, tout métier devient source de joies particulières, en tant qu'il permet de tirer profit, sous leurs formes sublimées, de penchants affectifs et d'énergies instinctives évoluées ou renforcées déjà par le facteur constitutionnel. Et malgré tout cela, le travail ne jouit que d'une faible considération dès qu'il s'offre comme moyen de parvenir au bonheur. C'est une voie dans laquelle on est loin de se précipiter avec l'élan qui nous entraîne vers d'autres satisfactions. La grande majorité des hommes ne travaillent que sous la contrainte de la nécessité, et de cette aversion naturelle pour le travail naissent les problèmes sociaux les plus ardus.
Sigmund Freud, Malaise dans la civilisation, 1930, trad. C. et J. Odier © PUF, 1972.
1. Libido : utilisation de l'énergie des pulsions sexuelles à des fins socialement utiles.
Les clés du sujet
Définir le thème et la thèse
D'après l'auteur, que peuvent faire les hommes qui n'ont pas de « dons spéciaux » pour mener une vie meilleure ?
Quels sont les bénéfices du travail pour l'homme ?
Dégager la problématique
Repérer les étapes de l'argumentation
Les titres en couleurs et les indications entre crochets servent à guider la lecture mais ne doivent en aucun cas figurer sur la copie.
Introduction
[Problématique] Le travail est souvent assimilé à une contrainte indispensable pour la survie. Ne faut-il pas reconnaître, au contraire, que le travail est la source de conséquences positives pour l'homme ? [Annonce du plan] Dans cette perspective, Freud montre tout d'abord que le travail permet à l'homme de s'incorporer à la société. Il présente ensuite la manière dont le travail peut sublimer les pulsions libidinales de l'homme. Enfin, il souligne un paradoxe : tandis que le métier peut apporter tant de bienfaits à l'individu, le travail est fréquemment l'objet d'une aversion, ce qui engendre de graves problèmes sociaux.
1. Le travail intègre l'individu à la société
Le secret de fabrication
L'auteur commence par montrer la valeur du travail en le comparant à « la culture de notre jardin ». Le travail doit, en effet, être compris comme une économie de la libido. C'est pourquoi il permet la socialisation des hommes.
A. La comparaison : la culture de son jardin
La précision donnée dès la première ligne du texte indique que le discours qui suit concerne la très grande majorité des hommes. En effet, Freud parle de l'ensemble des individus qui n'ont pas de dons innés pour la création artistique.
à noter
Freud souligne que la création artistique peut être l'occasion d'une réorientation des intérêts vitaux. Léonard de Vinci, qui aurait ainsi sublimé son homosexualité, en est un exemple emblématique.
Les individus en général, dans le cadre du « travail professionnel », c'est-à-dire d'un métier socialement reconnu, peuvent donner une orientation à leurs « intérêts vitaux », qui représentent l'ensemble de leurs pulsions. L'avantage est que ce procédé est démocratique : il est « accessible à chacun ».
Le travail peut remplir le même rôle que la « culture de notre jardin, culture que Voltaire nous conseille si sagement ». En effet, dans le conte philosophique Candide ou l'Optimisme, le personnage principal en arrive à cette conclusion, après avoir rencontré un humble paysan turc soutenant que « le travail éloigne de nous trois grands maux : l'ennui, le vice, et le besoin ». C'est donc dans le sens d'un remède qu'il faut comprendre l'intérêt du travail : celui-ci n'a pas pour unique fonction de produire des objets utiles à la vie, il offre la qualité d'un antidote contre le mal de vivre et les conduites immorales.
B. Les limites du texte
Freud prend alors le soin d'avertir le lecteur des limites de son étude. Il faudrait, en effet, bien davantage qu'un texte de quelques lignes pour rendre adéquatement et scientifiquement compte de « la valeur du travail au point de vue de l'économie de la libido ».
Selon Freud lui-même, la libido est une énergie vitale, qui englobe nos désirs, nos envies, nos pulsions de vie, et généralement toute notre activité sexuelle concrète ou imaginaire.
Aborder la libido dans la perspective de son « économie », c'est l'envisager sous l'angle de sa gestion, de son organisation et de son adaptation à la vie réelle. Il faut, en effet, souligner que la libido, si elle n'est pas maîtrisée et qu'elle ne vise que sa satisfaction immédiate, peut conduire l'individu à adopter des comportements asociaux et immoraux.
C. Le travail est un facteur de lien social
Le travail revêt une importance cruciale, puisqu'il « attache l'individu » à la réalité. Le travail est, en effet, un lien : il est un moyen de connecter l'individu et la société, c'est-à-dire de rendre acceptables par la société les manifestations de la libido qu'il incarne.
Pour autant, la société n'est qu'une fraction de la réalité. La réalité est tout ce à quoi l'individu doit se confronter, tout ce qui peut faire obstacle à la réalisation de la libido. Il faut alors reconnaître que le travail ne peut pas résorber le conflit entre les pulsions individuelles et cette partie de la réalité.
L'individu est doté d'une « disposition à démontrer l'importance du travail ». Freud soutient que les hommes ont un penchant, une inclination à vivre ensemble, car la vie en commun est propice à la réalisation des pulsions individuelles. Loin d'être un animal solitaire, l'homme est social, ce qui ne fait pas encore de lui un être sociable pour autant.
Le travail « incorpore fatalement » l'individu à la société. Ce n'est donc pas de l'ordre du choix individuel. Cette fatalité ne désigne pas, pour autant, un projet de la nature. Il s'agit tout au plus d'une nécessité inéluctable qui détermine l'individu à entrer en commerce avec les autres.
[Transition] Comment le travail peut-il réaliser cette intégration ?
2. Des pulsions libidinales transférées dans le travail
A. La valeur du travail pour l'individu
Une « possibilité », une occasion propice, existe : celle de « transférer », c'est-à-dire de déplacer et de réorienter autrement que par une réalisation immédiate, les « composantes narcissiques, agressives, voire érotiques de la libido dans le travail professionnel et les relations sociales qu'il implique ».
Le métier peut donc être l'occasion d'offrir un but plus élevé et socialement acceptable aux dimensions asociales de la libido. Il ne s'agit pas de censurer les pulsions, mais de leur tracer une autre voie de réalisation. Les pulsions de l'individu sont narcissiques et peuvent conduire celui-ci à des comportements violents envers les autres individus. Par ailleurs, certaines pulsions sexuelles peuvent se heurter aux normes en vigueur dans une société donnée. Le métier apparaît alors comme un champ où la réalisation de ces pulsions trouve une forme acceptable.
Pour l'individu, le travail permet de « maintenir et justifier son existence au sein de la société ». Le métier est l'occasion d'une participation de tous les individus à une œuvre commune indispensable : la société. De ce fait, il est l'actualisation d'une exigence morale : chacun doit faire un effort en vue de la construction sociale.
B. Le travail doit être librement choisi
Cette valeur du travail est tributaire d'une condition nécessaire et suffisante : qu'il soit « librement choisi ». C'est ainsi que « tout métier » peut devenir « source de joies particulières », mais que tous les métiers ne produiront pas cet effet indistinctement sur tous les individus.
Le métier librement choisi « permet de tirer [un] profit » en élevant à « leurs formes sublimées » la réalisation des « penchants affectifs » et des « énergies instinctives ». Autrement dit, le métier détourne, à l'avantage de la société et sans préjudice pour l'individu, des tendances qui auraient pu enfermer ce dernier dans une posture d'être asocial.
définition
La sublimation désigne un processus de transformation et d'élévation des pulsions de la libido en les réorientant vers d'autres domaines.
[Transition] Ainsi, le travail devrait logiquement être désiré par les individus comme moyen d'accéder au bonheur. Est-ce vraiment le cas ?
3. L'aversion pour le travail
A. La faible considération du travail
Paradoxalement, la dimension de « moyen de parvenir au bonheur » du travail est peu reconnue. Le fait est que la plupart des hommes ont le travail en aversion et n'imaginent un bonheur possible qu'au-delà de la sphère du métier.
De ce fait, les hommes sont « loin de se précipiter » dans le travail avec un « élan » identique à celui qui les entraîne « vers d'autres satisfactions ». Ces dernières désignent les satisfactions immédiates, mais aussi les satisfactions inappropriées.
B. La genèse de graves problèmes sociaux
De là découlent deux conséquences fâcheuses :
d'une part, « la grande majorité des hommes ne travaillent que sous la contrainte de la nécessité ». Ce rapport au travail empêche l'individu de jouir des bénéfices que le travail pourrait produire en vue du bonheur ;
d'autre part, cette « aversion naturelle » pour le travail, qui désigne une tendance à la paresse et l'attirance des individus vers une satisfaction plus immédiate et directe de leurs pulsions, engendre « les problèmes sociaux les plus ardus ». En effet, c'est la société entière qui finit par pâtir de cette aversion : souvent, les individus conservent dans leur existence sociale des pulsions asociales, susceptibles de produire de graves tensions et conflits.
Conclusion
Le travail social n'est pas qu'une réponse adaptée à des nécessités biologiques. Le métier librement choisi permet de sublimer des pulsions asociales et de conduire au bonheur. Néanmoins, les individus éprouvent une aversion naturelle pour le travail. Aussi vivent-ils celui-ci comme une contrainte. Un tel rapport au métier vient contredire les effets positifs du travail. Ne faudrait-il pas alors tâcher de réformer le rapport des individus à leur métier ?