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ORAL
Hélène Dorion, Mes forêts
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Sujet d’oral • Explication & entretien
Hélène Dorion, Mes forêts, « Il fait un temps de foudre et de lambeaux »
1. Lisez le texte à voix haute.
Puis proposez-en une explication linéaire.
Document
Il fait un temps de foudre et de lambeaux
d’arbres abattus
au-dedans de soi
il fait pluie maigre
un temps de glace
et de rêves qui fondent
dans le labyrinthe des miroirs
le dos courbé le poids des silences
guerres famines tristes duretés
c’est seulement l’hiver
sur l’écran d’aujourd’hui
s’annoncent les orages de demain
des chiffres pour ne rien dire
de l’inquiétude qui brûle nos mots
lettres échevelées
bientôt cassées comme pib
nip fmi1
Il fait un temps à s’enfermer
dans nos maisons de forêt
avec le bruit secret des nuages
qui souffle
de l’autre côté de la nuit
Hélène Dorion, Mes forêts, « Il fait un temps de foudre et de lambeaux », © Éditions Bruno Doucey, 2021.
1. pib, nip, fmi : sigles pour désigner le produit intérieur brut (PIB), le numéro d’identification personnel (NIP) et le Fonds monétaire international (FMI).
2. question de grammaire.
Analysez l’expression de la négation dans le vers : « des chiffres pour ne rien dire » (v. 13).
Conseils
1. Le texte
Faire une lecture expressive
Exprimez les nuances du poème, qui oscille entre l’expression de la violence du monde et la recherche de l’apaisement.
Faites bien entendre les pauses, matérialisées sur le blanc de la page, par exemple entre « le dos courbé » et « le poids des silences ».
Veillez à épeler les sigles (« pib », « nip », « fmi »).
Situer le texte, en dégager l’enjeu
Précisez la place du poème dans le recueil : dans quelle section figure-t-il ? Quels thèmes cette partie du recueil traite-t-elle ?
Il s’agit de l’un des poèmes construits sur l’anaphore « il fait (un temps) ». En vous appuyant sur les trois strophes, étudiez la progression du texte pour montrer que le mot « temps » se charge de significations différentes, en lien avec la météorologie, l’époque et l’intime.
2. La question de grammaire
Vous devez relever les termes qui expriment la négation, identifier leur nature et déterminer si la négation est totale ou partielle.
Soyez attentif à la place de ces mots par rapport au terme qui est nié.
1. L’explication de texte
Introduction
[Présenter le contexte] Dans Mes forêts, Hélène Dorion rassemble des poèmes composés en partie pendant le confinement, depuis sa maison dans la forêt, au Canada. Elle évoque les émotions intimes que suscite la nature qu’elle décrit au fil des poèmes, mais fait part également de sa réaction face à la société contemporaine. [Situer le texte] Le poème étudié est composé de trois strophes en vers libres. Il est situé dans la quatrième section du recueil, intitulée « L’onde du chaos », qui comporte des poèmes sur le fracas du monde contemporain. [En dégager l’enjeu] Débutant par l’évocation d’un climat rude, le poème fait de ce temps une saison intérieure, mais également la représentation de l’époque contemporaine qui détruit l’humain et le langage.
Explication au fil du texte
Un monde en lambeaux (v. 1-8)
Le poème débute par l’expression (« Il fait un temps ») répétée à plusieurs reprises dans le recueil et le poème. Le verbe impersonnel est repris en anaphore aux vers 4 puis 18 : Hélène Dorion semble décrire le temps qu’il fait à l’extérieur. Ce constat météorologique est ici complété par deux noms, « foudre » et « lambeaux », qui donnent le ton du poème. C’est bien de violence dont il est question, comme en atteste le champ lexical de la désolation (« lambeaux », « abattus », « pluie », « glace »).
Ce paysage désolé est intérieur, comme le signale le complément circonstanciel de lieu « au-dedans de soi ». C’est la conscience de l’individu qui est jonchée d’« arbres abattus », de « rêves qui fondent », d’illusions dans lesquelles il se perd, comme l’exprime la métaphore « le labyrinthe des miroirs ».
L’absence de ponctuation donne lieu à une double interprétation des vers : chaque vers peut être compris comme un élément d’une énumération des différents éléments du paysage ou être vu comme une continuité syntaxique. Ainsi, il est possible d’associer les vers 1 et 2 avec un enjambement et voir dans ce décor « des lambeaux/d’arbres abattus ». Aux vers 5 et 6, on peut associer la glace et les rêves comme sujets du verbe « fondent ». Ce choix laissé au lecteur, renforce l’image d’un monde en lambeaux : les éléments du décor intérieur peuvent être liés entre eux ou détachés, comme des lambeaux d’une conscience déchirée par la violence du monde.
Le dernier vers souligne l’impression de désolation. L’expression « le dos courbé » connote la vieillesse, la souffrance ou les soucis ; « le poids des silences » évoque également l’abattement. Le blanc entre les mots (v. 8) peut être interprété comme une matérialisation de ces silences, ou comme l’indice d’une parole qui se disloque. Ainsi, la première strophe s’achève sur une impression de résignation, d’impuissance à vivre et à communiquer.
Une langue en lambeaux (v. 9-17)
Comme pour donner une explication au temps qu’il fait, la deuxième strophe débute par une énumération de termes qui évoquent les horreurs du monde humain : « guerres », « famines », « tristes duretés ». L’allitération en [t] souligne la violence de ces événements.
Le vers 10 est ambigu. L’adverbe « seulement » peut souligner un passage momentané : l’hiver ne va pas durer. Il peut aussi indiquer, au contraire, une permanence. L’hiver, qui métaphorise les difficultés et les atrocités subies par les humains, règne partout. Il est possible de lire le vers 10 seul, ou de l’associer au vers 11 par un enjambement : l’écran ne nous montre que l’hiver.
La strophe évoque plusieurs éléments du monde moderne : « l’écran », « des chiffres », « pib », « nip », « fmi ». Les sigles, qui évoquent le monde de la finance, s’opposent à l’univers de la nature. En outre, Hélène Dorion présente l’écran et les chiffres comme le nouveau ciel dans lequel l’homme lit son avenir. En effet, le vers 11 est associé au vers 12, de manière explicite, avec l’antithèse « aujourd’hui » et « demain », qui souligne l’effet prophétique de la télévision : elle annonce de terribles événements comme on annonce une catastrophe météorologique.
Cette dislocation du monde contamine la parole. Les mots sont remplacés par des chiffres. L’expression « pour ne rien dire » souligne à la fois l’absence de sens de ces chiffres, mais également leur fonction. Ils agissent comme des masques pour cacher nos sentiments, notre « inquiétude ». Les mots sont en danger, comme l’indiquent la métaphore du feu « qui brûle nos mots » et la personnification « lettres échevelées ». Le langage est en crise et le sens se perd, les lettres sont « cassées » comme les sigles, « pib », « nip », « fmi », qui illustrent cette déperdition du sens. La modernité crée des mots vides, comme les espaces sur la page du poème. L’allitération en [i] leur confère toutefois une musicalité poétique, mais qui masque une réalité très dure.
info
Même si son inquiétude est tangible, Hélène Dorion ne dénonce pas directement le monde contemporain. Elle fait le constat de la présence des écrans, des réseaux, d’un nouveau langage, mais sa poésie est davantage une entreprise de discernement qu’une dénonciation de la modernité qui nous interroge sur notre monde et le rôle que nous y jouons.
La recherche d’un apaisement (v. 18-22)
Le poème se clôt sur l’image d’un repli, qui est soulignée par la brièveté de la strophe, un quintil. La reprise anaphorique de l’expression « Il fait un temps à s’enfermer » fait de l’isolement une réaction naturelle face aux rudesses du climat, mais également face au fracas du monde. L’expression « s’enfermer/dans nos maisons de forêt » souligne à la fois l’envie d’un foyer protecteur, mais également le repli dans un monde imaginaire : les « maisons de forêt » ne sont pas des habitats, mais des lieux intimes où l’on peut se réfugier, à l’intérieur de soi.
info
Dans de nombreux autres poèmes du recueil, Hélène Dorion fait état de l’invasion délétère de la modernité sur le vivant : « il fait […]un temps de pixels d’algorithmes » (p. 73).
La nature offre ainsi un lieu protecteur et apaisé, un « souffle », où le sens peut renaître. L’image du « bruit secret des nuages » s’oppose au vacarme des mots terribles de la deuxième strophe et suggère que la nature a quelque chose à nous faire entendre. Si le verbe « s’enfermer » peut paraître péjoratif et évoquer le confinement lié à la crise sanitaire récente, le repli proposé à la fin de ce poème semble salutaire puisqu’il donne accès à un autre lieu, poétique, comme le suggère le vers final : « de l’autre côté de la nuit ». Cette expression apparaît à plusieurs reprises dans le recueil pour évoquer un lieu autre, une réalité différente, celle offerte par la poésie peut-être.
Conclusion
[Faire le bilan de l’explication] Ce poème décrit une saison violente et rude, où les arbres sont abattus, comme les consciences. Cette saison est une métaphore de l’époque contemporaine, qui met l’humanité en péril. La langue aussi vole en éclats : on ne peut plus parler, les mots ne veulent plus rien dire ou masquent de terribles réalités, dans lesquelles l’humain semble ne plus avoir de place. Face à cette situation, la tentation du repli est grande. Néanmoins, la poésie permettrait l’ouverture à un nouvel espace plus apaisé. [Mettre le texte en perspective] À la suite de la section « L’onde du chaos », « Le bruissement du temps » permet à Hélène Dorion de proposer, au terme d’un tableau retraçant l’histoire du monde et des hommes, « un chemin vaste et lumineux/qui donne un sens/à ce qu’on appelle humanité ».
2. La question de grammaire
« Des chiffres pour ne rien dire »
On relève dans cette phrase une négation syntaxique, exprimée par l’adverbe « ne » et le pronom « rien ». Il s’agit d’une négation partielle, qui porte sur le contenu de la parole.
La négation porte sur un verbe à l’infinitif : « dire ». Ainsi, les deux termes négatifs se succèdent et précèdent ce verbe.
Des questions pour l’entretien
Lors de l’entretien, vous devrez présenter une autre œuvre lue au cours de l’année. L’examinateur introduira l’échange et vous posera quelques questions. Celles ci-dessous sont des exemples.
1 Je vous remercie pour votre présentation du recueil Le Cœur innombrable (1901), d’Anna de Noailles. Pourriez-vous préciser l’emploi du terme « romantisme » dans votre présentation ?
Même si elle n’en fait pas partie, Anna de Noailles s’inspire des thèmes de ce mouvement littéraire et culturel de la première moitié du xixe siècle, représenté par Hugo ou Lamartine en poésie. La nature, l’amour, la nostalgie y sont présents, comme dans le dernier poème « Le Temps de vivre » qui exprime la fuite du temps et l’urgence de vivre.
2 Avez-vous trouvé des échos entre la poésie d’Anna de Noailles et celle d’Hélène Dorion ?
Les termes du parcours associé relient les deux recueils. La nature est rendue vivante par le travail poétique des autrices. L’intime est présent puisque les forêts d’Hélène Dorion et les paysages d’Anna de Noailles, qui varient au gré des saisons, représentent des états intérieurs. Dans « L’Offrande à la nature », la poétesse décrit sa relation profonde à une nature qu’elle célèbre.
3 En quoi cette œuvre du début du xxe siècle peut-elle intéresser un lecteur ou une lectrice d’aujourd’hui ?
Anna de Noailles emploie souvent l’impératif pour nous inviter à la réflexion sur notre rapport au monde. Dans « Voix intérieure », elle recommande à son âme : « aimez la vie » et dans « La Vie profonde », elle propose une relation poétique avec la nature : « Avoir l’âme qui rêve, au bord du monde assise… ».