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Hélène Dorion, Mes forêts, poème initial

Sujet d’oral • Explication & entretien

Hélène Dorion, Mes forêts, poème inaugural

20 minutes

20 points

1. Lisez le poème à voix haute.
Puis proposez-en une explication linéaire.

Document

Avec ce poème, Hélène Dorion ouvre tout à la fois son recueil et annonce la première section, « L’écorce incertaine ».

Mes forêts sont de longues traînées de temps

elles sont des aiguilles qui percent la terre

déchirent le ciel

avec des étoiles qui tombent

comme une histoire d’orage

elles glissent dans l’heure bleue

un rayon vif de souvenirs

l’humus de chaque vie où se pose

légère              une aile

qui va au cœur

 

mes forêts sont des greniers peuplés de fantômes

elles sont les mâts de voyages immobiles

un jardin de vent où se cognent les fruits

d’une saison déjà passée

qui s’en retourne vers demain

 

mes forêts sont mes espoirs debout

un feu de brindilles

et de mots que les ombres font craquer

dans le reflet figé de la pluie

 

mes forêts

sont des nuits très hautes

H. Dorion, Mes forêts, poème inaugural (2021), © Éditions B. Doucey.

2. question de grammaire. Analysez la proposition relative (v. 2 à 5) : « qui percent la terre/déchirent le ciel/avec des étoiles qui tombent/comme une histoire d’orage ».

 

Conseils

1. Le texte

Faire une lecture expressive

Faites bien entendre l’anaphore des débuts de strophes.

En étant attentif au rythme, faites sentir la nostalgie qui se dégage de ce poème.

Situer le texte, en dégager l’enjeu

Il s’agit du poème d’ouverture.

Comment la thématique du temps y est-elle développée ?

2. La question de grammaire

Quelle est la particularité des deux propositions relatives des v. 2 à 5 ?

1. L’explication de texte

Introduction

[Présenter le contexte] Le recueil Mes forêts est composé de quatre sections. Chacune est ouverte par un poème intitulé « Mes forêts ». Un dernier poème, au même titre, clôt le recueil. Ils forment comme un chant répétitif et pourtant à chaque fois différent. [Situer le texte] Le premier poème « Mes forêts » a une double fonction : il ouvre le recueil et prépare à la lecture de la première section. [En dégager l’enjeu] Chacune des strophes de ce poème d’ouverture associe les forêts à une temporalité : celle de la nature, celle, plus intime, liée au passé et à la rêverie, et celle qui se projette dans un futur incertain.

Explication au fil du texte

Le temps cosmique (v. 1 à 10)

« Mes forêts », métaphores du temps (v. 1 à 5)

La métaphore du vers 1 associe un élément concret, les forêts, à une abstraction, le temps, lui-même rendu concret par le nom dont il est le complément, « traînées ». Le temps s’installe dans un espace horizontal, par contraste avec les forêts dressées à la verticale. L’adjectif « longues » étend le temps comme une brume recouvrant les forêts, ce que traduit l’hendécasyllabe (onze syllabes) dont la coupe, après la septième syllabe, ralentit le rythme.

Le vers 2 précise la première métaphore. Comparé (« forêts ») et comparant (« aiguilles ») relèvent du même domaine (aiguilles du pin) ; les aiguilles, qui sont aussi celles de l’horloge, réactivent la métaphore temporelle. Étrangement, elles « percent la terre », dans un mouvement vertical dirigé vers le bas et « déchirent le ciel » en un mouvement inverse.

Par l’association des deux verbes percer et déchirer, les aiguilles-arbres se font armes pointues dont sont victimes la terre et le ciel : « les étoiles tombent » dans un cataclysme cosmique. Mais cette violence est adoucie par l’hexasyllabe du vers 5 qui en fait une simple « histoire d’orage ».

Ce que font les forêts au temps (v. 6 à 10)

Malgré l’absence de ponctuation, la reprise du pronom « elles » (v. 6) marque un début de phrase. Les forêts agissent, on suit leur action. « L’heure bleue » précise la temporalité. Le « rayon vif de souvenirs » s’oppose à la nuit et au chaos.

mot clé

L’heure bleue correspond au moment précis, entre le jour et la nuit (à l’aube ou au crépuscule), où la lumière est d’un bleu intense qui met en valeur les zones d’ombre.

Le v. 8 est ambigu : le groupe nominal « l’humus de chaque vie » est-il un complément du verbe « glissent » ou vient-il en apposition au « rayon vif de souvenirs » : les souvenirs (le passé) fertiliseraient-ils la vie ?

La strophe se termine sur un jeu graphique (blanc séparant l’adjectif « légère » du nom qu’il caractérise, « aile »), rythmique (pause entre l’adjectif et le nom) et sonore (reprise du son [ε]). La brièveté des vers 9 et 10, en opposition avec la longueur des vers 1 et 2, met en évidence l’émotion qui remue le « cœur » à l’évocation du renouvellement de la vie.

Le temps intime (v. 11 à 15)

La deuxième strophe comprend trois métaphores : les v. 11 et 12 reprennent la structure syntaxique de la première strophe. Le v. 13 introduit directement la troisième métaphore, en faisant l’ellipse de « elles sont ».

L’espace est d’abord intime, c’est celui de la maison (« greniers »). Puis, il s’élargit aux voyages mais immobiles (faisant place aux rêves) comme l’est la forêt, dont les arbres sont comparés aux mâts des bateaux (évoquant la mobilité). Un univers familier et rassurant revient ensuite. Pourtant, le jardin devient dangereux et mobile : le vent fait se cogner les fruits.

« fruits » en contre-rejet annule le sens concret du vers 13 ; on se heurte à une impossibilité logique : liés au passé, les fruits ne peuvent plus se cogner.

La lecture se fait métaphorique : « passée » et « demain » placés à la rime indiquent un mouvement d’aller-retour entre le passé et l’avenir. Le présent est le fruit du passé et s’ouvre vers l’avenir : c’est le cycle de la vie.

à noter

Le poème va s’amenuisant :

1 dizain, 1 quintil, 1 quatrain, 1 distique, dans un mouvement qui va du cosmos au « je » de la poétesse.

L’heure des doutes (v. 16 à 21)

Un paysage incertain (v. 16 à 19)

Le vers 16 relance le poème dans une énergie tournée vers l’avenir ; l’indéfini laisse place au possessif. Il ne s’agit plus d’une métaphore générale, mais d’une équivalence personnelle. Le vers 17 brise l’optimisme qui précède : les espoirs sont un « feu de brindilles » ; à moins que ce ne soit les forêts : la syntaxe permet les deux interprétations.

La phrase se prolonge en continuant son effet déceptif : les espoirs ne sont que des mots qui se mêlent au « feu de brindilles » et « que les ombres font craquer ». Le paysage est immobile : « figé » s’oppose à « espoir ».

Une formule ambiguë (v. 20 à 21)

Les vers 20 et 21 forment un octosyllabe coupé de manière à isoler « mes forêts » : est-ce une nouvelle définition ou un renvoi au recueil lui-même ?

Les « nuits très hautes » semblent condenser tout le sens du poème : verticalité des forêts, ambiguïté du sens à accorder à « nuits très hautes » qui assemblent le positif et le négatif en une seule formule.

Conclusion

[Faire le bilan de l’explication] Ce poème d’ouverture sur le temps, à la fois universel et intime, tendu vers l’avenir et plein du passé, joue sur les oppositions, alterne violence et émotion et laisse le sens incertain. [Mettre le texte en perspective] En cela, il annonce la section « L’écorce incertaine ». Il est possible aussi de le mettre en regard avec le poème final dans lequel on retrouve la métaphore temporelle des aiguilles : « des aiguilles qui tournent/à travers les saisons ». Le temps est un des thèmes essentiels du recueil ­d’Hélène Dorion.

2. La question de grammaire

« elles sont des aiguilles [qui percent la terre/déchirent le ciel/avec des étoiles [qui tombent/comme une histoire d’orage] ] »

La première relative, régie par la proposition principale « elles sont des aiguilles », est introduite par le pronom relatif sujet « qui » dont l’antécédent est « des aiguilles ». Elle s’organise autour des verbes « percent » et « déchirent ».

La seconde, régie par la première, est introduite par le pronom relatif sujet « qui » dont l’antécédent est le GN « des étoiles ». Elle s’organise autour du verbe « tombent ».

Les deux relatives sont adjectives et sont insérées l’une dans l’autre.

Des questions pour l’entretien

Lors de l’entretien, vous devrez présenter une autre œuvre lue au cours de l’année. L’examinateur introduira l’échange et vous posera quelques questions. Celles ci-dessous sont des exemples.

1 Je vous remercie pour votre présentation des Méditations poétiques de Lamartine (1820). En quoi ce recueil porte-t-il bien son titre ?

Les 24 poèmes du recueil de 1820 sont à la première personne. Le poète, souvent solitaire, se parle ou s’adresse à un être absent. Il mène des réflexions sur des sujets divers comme la mort (« L’automne »), la religion (« Dieu »), le temps passé (« Adieu »), ou glorifie la nature (« Hymne au soleil »).

2 Pourquoi ce recueil a-t-il sa place dans le parcours au programme ?

Ce recueil relève du registre lyrique qui lie expression de soi et thématiques de la nature, de l’amour et de la mort. Or, le parcours, qui met en relation poésie, nature et intime, semble en lui-même proposer une définition du lyrisme.

3 Qu’est-ce qui peut le différencier de Mes forêts d’Hélène Dorion ?

C’est précisément le type de lyrisme. Celui d’Hélène Dorion est plus discret. Malgré l’insistance du possessif « mes » dans le titre de son recueil, la poétesse semble s’effacer devant son sujet.

 

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