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Hugo, La Sieste

Idéaliser le quotidien • Commentaire

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France métropolitaine • Juin 2018

Écriture poétique et quête du sens • 14 points

Idéaliser le quotidien

Commentaire

Vous ferez le commentaire de « La Sieste », de Victor Hugo, en vous aidant du parcours de lecture suivant.

1. Vous montrerez que l'enfant et son sommeil sont idéalisés.

2. Vous analyserez les émotions que suscite le spectacle de l'enfant endormie.

Se reporter au poème de Hugo.

 

Les clés du sujet

Trouver les idées directrices

Faites la « définition » du texte pour compléter vos axes de lecture.

Poème en vers réguliers (genre) qui décrit (type de texte) une enfant pendant sa sieste (thème), qui raconte (type de texte) son réveil (thème), qui rend compte (type de texte) de ses propres émotions (thème), lyrique, fantastique, humoristique (registres), esthétique, attendrissant, émouvant, religieux (adjectifs), pour peindre une jolie scène et exprimer sa tendresse et son admiration pour l'enfant (buts).

Pistes de recherche

Première piste : l'idéalisation de l'enfant et de son sommeil

Précisez l'identité de l'enfant, les expressions qui la désignent ou la qualifient, et appréciez son importance dans le poème.

Relevez les détails qui la peignent et analysez les images qui la caractérisent : mesurez la part de réalisme et d'idéalisation dans le portrait.

Analysez la progression des métamorphoses de l'enfant.

Commentez l'atmosphère religieuse, mystique qui entoure la scène.

Montrez l'importance de la nature dans ce tableau intime.

Deuxième piste : les émotions suscitées par le spectacle de l'enfant endormie

Relevez et analysez les mots et expressions qui traduisent les sensations, les émotions, les sentiments de Hugo.

Quels sont les tons successifs adoptés par le poète pour décrire ce spectacle ?

D'où vient le lyrisme du poème ? Comment se traduisent l'exaltation puis l'attendrissement du poète ?

D'où vient l'humour du poème ?

Pour réussir le commentaire : voir guide méthodologique.

La poésie : voir lexique des notions.

Corrigé

Les titres en couleur et les indications entre crochets servent à guider la ­lecture mais ne doivent pas figurer sur la copie.

Introduction

[Amorce et présentation du texte] Hugo, père malheureux (ses cinq enfants étaient déjà décédés quand il atteignit la vieillesse), reporta toute son affection sur ses petits-enfants et notamment sur la petite Jeanne. Dans L'Art d'être grand-père, il raconte les plaisirs et les jours de cette vie partagée où le ­vieillard et l'enfant, chacun à un bout de sa vie, se comprennent dans une proximité et une complicité dont l'adulte est exclu. Dans « La Sieste », il contemple sa petite-fille endormie au milieu de la journée. [Annonce des axes] Il y fait un portrait à la fois réaliste et idéalisé de l'enfant [I], et exprime aussi toutes les émotions qu'il éprouve devant elle [II].

I. L'idéalisation de l'enfant et de son sommeil

La sieste permet à l'enfant d'échapper à sa condition humaine. Le berceau, le sommeil et l'enfant perdent leur réalité matérielle : ils sont transfigurés, et la petite Jeanne devient une allégorie de l'enfance, de ses aspirations et de ses perfections.

1. Un moment banal embelli, transfiguré

Jeanne, à la fois réelle et transfigurée, occupe l'ensemble du poème. Hugo la désigne sans plus de précision dans le premier vers par le pronom « elle » et la présente tout simplement pendant son « petit somme ». Après une dizaine de vers, la dormeuse est enfin nommée par son prénom, « Jeanne » (v. 16), qui la fait pleinement exister en tant qu'individu, et le pronom « elle » suffira à l'identifier jusqu'aux derniers vers.

Elle a toutes les caractéristiques d'une « enfant » : son pas est encore « peu sûr », elle a besoin de « dormir », « gazouille » à son réveil, « étend son bras », « agite un pied », ouvre la « paupière ». Son portrait se dessine à travers ces touches éparses qui mentionnent les parties de son corps. Sa vitalité enfantine « lasse » sa mère.

Sa grâce naturelle fait de Jeanne une enfant charmante et « aimable » (au sens propre de « digne d'être aimée »), aussi jolie qu'une « une rose » avec ses « beaux petits pieds nus ».

2. Une évasion vers un monde surnaturel, divin, fantastique

Or, pendant sa sieste, Jeanne, sous le regard émerveillé de son grand-père, se métamorphose en un petit être surnaturel. Par des modalisations successives (v. 22 : « semble » ; v. 23 : « On croit », « a l'air »), Hugo nous fait croire à cette transfiguration avant de rendre Jeanne à sa condition d'enfant terrible quand elle se réveille.

Du vers 2 au vers 11, Hugo fait partager au lecteur ses réflexions sur l'enfance, un monde auquel « l'homme » n'a plus accès à moins d'être un poète… Avec un lyrisme quasi mystique, il oppose le monde de l'enfant, désigné par une multitude de termes mélioratifs et hyperboliques, peuplé de « rêve », à la brutalité du monde des adultes sur la « terre si laide ». L'enfant, dont Jeanne devient l'allégorie, vit dans un monde paré de toutes les merveilles, un « paradis » lumineux, « plein de rayons », d'« éblouissements », des « feux du soleil ».

Elle vient du « ciel » et rejoint des « paradis » mystérieux fermés aux adultes, où elle retrouve ses « camarades », « Puck, Titania, les fées », personnages des comédies de Shakespeare dont son grand-père lui a sans doute raconté les aventures féeriques.

Le poète se fait voyant ou médium : émaillant son poème du champ lexical de la religion, il peut suivre l'enfant dans cette évasion mystique où elle retrouve Dieu qui la protège, réchauffe « ses mains », la « fait rayonner » comme un petit « astre ». Elle redevient un « ange » et la mousseline de son berceau l'entoure d'une auréole comme une divinité « immortelle ». La religion de Hugo ne se limitait pas aux dogmes chrétiens et il y incorporait ses croyances animistes. « Tout vit, tout est plein d'âmes », dit-il dans Les Contemplations : ainsi, sur le berceau de Jeanne, se penchent Dieu et les « fronts » mystérieux de divinités dont on ne sait si ce sont des anges ou des puissances païennes surnaturelles.

Jeanne est en harmonie avec la nature qui communie avec elle et la vénère comme une petite divinité dont le sommeil paisible est « sacré » (v. 8). Au vers 26, les « éléments naturels (« étoiles », « nids », « feuille », « vent », « l'ombre ») sont personnifiés. Et dans la longue périphrase des vers 12 à 15, qui désigne l'heure de midi, ils deviennent sujets de verbes de repos ou de calme : « recueille, se taisent, retient son souffle, oublie de frémir ».

observez

Un terme hypocoristique exprime une intention tendre ou affectueuse, voire un peu naïve (ex. : « ma poulette », « mon poussin », « mon chou »).

Après cette envolée lyrique et philosophique vers l'idéal, Hugo conclut par un retour brutal et amusant à la réalité avec l'apostrophe affectueuse et décalée de la mère, qui ajoute un hypocoristique inattendu à ceux qu'elle utilise d'ordinaire pour s'adresser à Jeanne… rebaptisée « horreur » : elle sait qu'elle va devoir faire face de nouveau à l'énergie débordante de l'enfant.

II. Les émotions suscitées par le spectacle de l'enfant endormie

Dans L'Art d'être grand-père, Hugo, à partir du récit de quelques moments partagés avec ses petits-enfants, laisse parler son cœur. Il livre ses émotions, ses convictions, passe de réflexions profondes à un regard amusé sur sa famille et sur lui-même.

1. Une contemplation exaltée

Le premier vers explicite en toute simplicité le titre du poème et place Jeanne sous nos yeux et ceux du poète. Mais le grand-père voit au-delà de cette scène familière. Il se sent proche de l'enfant qui dort, connaît ses « rêves », ses besoins de féerie. Il affirme avec un lyrisme exalté la proximité que l'innocence enfantine crée entre l'enfant et Dieu.

Il multiplie les exclamations, déçues (« cette terre est si laide ») ou enthousiastes, pour évoquer, en contrepoint des ténèbres terrestres, les « rayons », les « éblouissements » de l'au-delà. Il prend à témoin son lecteur et s'associe à lui (« Oh ! comme nous serions surpris… », v. 7) pour partager ce moment qui devient une contemplation philosophique (v. 25 : « On la contemple »).

2. Recueillement, attendrissement et admiration

À partir du vers 12, par un « Donc » désinvolte, Hugo ramène son lecteur sur terre, devant le berceau de Jeanne, et savoure ce moment de recueillement et de communion avec la nature.

Les impressions sensorielles se superposent dans un tableau aux notations harmonieuses : impressions tactiles (« feux du soleil », absence de frémissement des « feuilles », berceau « frais »), visuelles (« une lueur rose » sur fond d'« azur »), auditives (« les nids se taisent »).

Hugo s'efface dans le pronom personnel indéfini « on » et confie sa petite-fille aux oiseaux, aux arbres, au vent. Il se fond dans le monde pour vivre entièrement ce moment de contemplation sur cet être dont la vulnérabilité l'attendrit et atteindre un bonheur intense.

3. Adieu tristesse, un certain sourire…

Le poète oublie ses deuils, ses années d'exil et exprime son émerveillement dans le deuxième hémistiche du vers 25, aux sonorités à peine voilées, toutes en douceur (« On la contemple, on rit, on sent fuir la tristesse »).

Un humour léger complète la palette de ces émotions, qui permet au grand-père de prendre une certaine distance par rapport à son attendrissement. Il jette un regard amusé sur la place excessive que prend l'enfant dont l'énergie tyrannise sa maman : c'est très joliment dit au vers 18 (« Car on se lasse, même à servir une rose »). Le grand-père est dans la contemplation mais la mère est dans l'action, faisant face à longueur de journée à cette « rose » qui réclame toute son attention. Hugo compatit avec sa belle-fille qui a perdu son mari – il le rappelle de façon allusive quand il évoque l'« alcôve maternelle », désormais « chaste ».

conseil

Lorsque vous commentez un poème en vers, vous devez être attentif à la versification et mettre en relation les faits de versification et le sens ou les impressions produites sur le lecteur.

Il conclut son récit par une scène pleine de tendre drôlerie : le face-à-face de la mère et de la petite-fille qui, une fois ses batteries rechargées, se réveille progressivement (les enjambements des vers 29 à 34 rendent compte de la lenteur de ce réveil).

Hugo dramaturge apparaît aussi ici : il multiplie, comme des didascalies, les jeux de scène (« voix tendre », « couvant des yeux »), énumère les hypocoristiques les plus affectueux (« joie », « ange en fleur »), les plus originaux (« chimère ») pour mettre en scène ce moment d'intimité familiale, avant le « coup de théâtre » du mot « horreur » pour qualifier Jeanne.

Conclusion

conseil

Si vous connaissez d'autres œuvres de l'auteur, tirez-en profit pour éclairer votre commentaire (par ressemblance ou par différence) et pour composer votre « ouverture » de fin de devoir.

Ainsi, par la magie de l'écriture poétique, Hugo métamorphose, idéalise et immortalise un moment banal de la vie quotidienne – la sieste d'une enfant – et les émotions que sa contemplation provoque en lui. [Ouverture] Hugo est bien un incontournable de notre littérature : après les drames romantiques, les combats pour la justice, les confidences douloureuses des Contemplations, il se penche sur un berceau et fait, avec lyrisme, tendresse et humour, se rencontrer et se comprendre les deux termes de la vie : l'enfant et le vieillard.

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