LA RAISON ET LE RÉEL
L'interprétation
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France métropolitaine • Septembre 2017
dissertation • Série ES
Interpréter, est-ce découvrir ou inventer ?
Les clés du sujet
Définir les termes du sujet
Interpréter
« Interpréter » peut désigner le fait de rendre clair quelque chose d'obscur en révélant son sens caché. Mais dans un sens courant plus péjoratif, « interpréter » peut désigner le fait de déformer le sens d'une parole ou d'une œuvre. « Interpréter » peut signifier aussi « exécuter », c'est-à-dire jouer un morceau de musique ou une pièce de théâtre, ou encore « appliquer » comme on interprète une loi pour un cas particulier.
Découvrir
« Découvrir » consiste à connaître ou faire connaître quelque chose de caché comme si on levait un voile qui couvrait la chose à comprendre. Découvrir consiste donc à dévoiler, démasquer ou révéler quelque chose qui était déjà là mais qui ne se donnait pas à voir clairement.
Inventer
« Inventer » peut signifier découvrir quelque chose de nouveau qui n'existait pas auparavant, autrement dit « créer ». Inventer peut être l'œuvre de l'imagination.
Dégager la problématique et construire un plan
La problématique
Le sujet est un exercice de définition et, paradoxalement, un exercice d'interprétation de l'interprétation. Quand un sens ne va pas de soi, il faut qu'un interprète procède à une sorte de traduction pour le faire apparaître. Dès lors, on peut se demander si interpréter doit être considéré comme un travail scientifique de découverte d'une signification, ou comme un art de créer des dispositifs pour faire comprendre ce qui autrement resterait incommunicable. On se demandera dans quelle mesure l'interprète crée un sens supplémentaire à l'objet à interpréter.
Le plan
Nous envisagerons d'abord l'interprétation comme une forme de découverte : une interprétation consiste à dévoiler du caché, à éclairer de l'obscur, à rendre univoque l'équivoque.
Mais l'interprétation engage la part de créativité de l'interprète qui ne se contente pas de transmettre un message ; mieux, elle le transforme pour pouvoir le rendre compréhensible : l'interprétation est alors une création.
Éviter les erreurs
Ce sujet se présente sous une formulation facile, une alternative qui peut vous donner un plan. Mais il ne faut pas croire que l'argumentation sera simple. Ce sujet traite d'une notion qui peut s'étendre à des domaines très différents : psychanalyse, histoire, religion, langage, art… et croise donc de nombreux chapitres, y compris ceux d'épistémologie. Il exige de bien maîtriser la distinction entre expliquer et comprendre.
Corrigé
Les titres en couleurs et les indications entre crochets servent à guider la lecture mais ne doivent en aucun cas figurer sur la copie.
Introduction
conseil
Il n'est pas judicieux de séparer dans le plan les différents domaines de l'interprétation.
Le monde ne se donne pas à nous en toute transparence. Il faut décrypter des signes en permanence, les éléments de la nature pour survivre, la parole de l'autre pour en saisir l'intention, les textes, les événements historiques. Pour comprendre le monde, il faut l'interpréter. Dès lors, l'interprétation consiste à rendre clair ce qui apparaissait, dans un premier temps, obscur, caché. Il s'agit de faire de l'interprétation une découverte de ce qui ne se montrait pas de soi-même.
Cependant, qu'est-ce qui nous garantit que cette interprétation soit fidèle à son objet ? Si on transforme un objet pour qu'il soit clair, n'y a-t-il pas une part de créativité de l'interprète ? Le musicien donne « son » interprétation d'une partition, un bon traducteur se reconnaît pour son style, un juge interprète la loi à chaque fois en fonction de nouveaux cas particuliers. Finalement, interpréter est-ce découvrir ou inventer ? Nous aborderons successivement chacune de ces deux possibilités.
1. Interpréter, c'est découvrir
A. Interpréter c'est donner le sens de quelque chose
L'interprétation est inscrite dans la nature même du langage. Pour Aristote, dans De l'interprétation, les sons émis par la voix sont des symboles de nos états d'âme et les signes écrits sont eux-mêmes des symboles des sons. Le monde se dit donc à travers des signes et nous devons l'interpréter.
Si nos états d'âme sont des images naturelles des choses, les mots qui renvoient à ces états d'âme constituent des signes conventionnels qu'il faut interpréter car ils sont équivoques. Interpréter consiste donc à comprendre un jugement proféré pour transformer l'équivocité des mots en sens univoque.
L'interprétation a même son métier, celui d'interprète, qui permet de passer d'une langue à une autre.
B. Interpréter c'est traduire ou exécuter
L'interprétation n'est pas que la réponse à un besoin de compréhension. Elle est associée à l'action. Elle peut s'entendre comme une exécution. Ainsi, le comédien interprète un texte en le jouant avec son corps et le musicien interprète une partition en la jouant avec un instrument. L'interprétation donne à voir et à entendre. L'interprétation donne vie à un système de signes.
L'interprétation peut aussi être associée à la survie. L'interprétation peut même avoir une valeur organique pour Nietzsche, dans ses Fragments posthumes, dans la mesure où il s'agit pour tout organisme de s'orienter dans un monde en l'interprétant, en évaluant sans arrêt ce sur quoi il est possible d'agir, d'exercer sa volonté de puissance, de rechercher non pas ce qui fait sens en soi mais ce qui fait sens pour soi. Interpréter consiste alors à rendre ce monde étranger habitable.
C. Interpréter fait l'objet d'une discipline : l'herméneutique
Même l'interprétation de ce qui peut sembler loin de la science, le texte religieux, peut faire l'objet d'une interprétation rigoureuse. De manière révolutionnaire, Spinoza propose dans son Traité théologico-politique une méthode scientifique d'interprétation qui s'appuierait sur trois règles : une règle philologique qui est attentive au sens des mots, une règle logique qui est attentive à la cohérence d'un texte et une règle historique qui tient compte du contexte d'énonciation.
info
L'herméneutique, qui désignait d'abord l'interprétation de textes religieux, devient avec Schleiermacher une science de l'interprétation des signes.
L'interprétation peut alors faire l'objet d'une science : l'herméneutique. Avec le théologien protestant Schleiermacher, il ne s'agit plus seulement de faire une discipline de l'interprétation des textes religieux mais de faire l'interprétation philosophique de tout texte pour lequel on entend restituer l'intention de l'auteur. L'interprétation commence lorsqu'on se heurte à la mécompréhension du discours. Il faut faire preuve de psychologie pour comprendre l'intention de l'auteur, et parfois même mieux qu'il ne s'est lui-même compris.
[Transition] Mais alors, l'interprétation qui consiste à découvrir un sens caché n'est-elle pas plutôt un art qui fait appel à la créativité de l'interprète, à sa capacité à « créer » du sens qui n'existait pas encore ? Face aux fausses interprétations, ou aux mauvaises interprétations, la bonne interprétation revendique une fidélité au document original. Mais quelles sont nos garanties contre la part de subjectivité de l'interprète ? Le fait qu'il y ait, par exemple, plusieurs interprétations possibles d'un morceau de musique, plusieurs traductions d'un même poème, n'est-ce pas la preuve que l'interprétation ne peut être considérée comme une science exacte ?
2. Interpréter, c'est inventer en enrichissant
A. Le signifié déborde toujours le signifiant
L'interprétation, en s'appuyant sur un objet à interpréter, implique aussi une action de l'interprète qui pose son regard sur ce qu'il faut interpréter. L'interprétation veut faire surgir une vérité qui demeure cachée mais, à la différence d'une expérience scientifique permettant par exemple de révéler la composition chimique d'un produit grâce à un révélateur, l'interprétation présuppose toujours que le sens à interpréter est infini.
Dans la préface de la Naissance de la clinique, Foucault considère que dans le commentaire de texte il y a toujours du signifié qui excède le signifiant. Entre la richesse du signifiant qui se donne à voir et le signifié qui sous-entend qu'il y a toujours une part restée secrète, se loge le commentaire infini. Cette part variable de l'interprétation fait d'elle un art qui laisse une possibilité à la créativité de l'interprète. Ainsi, un bon comédien n'est pas qu'un simple récitant. Il donnera à voir et à entendre un texte avec son propre style.
B. Interpréter, c'est enrichir un sens premier
L'acte de compréhension se heurte toujours à un résidu d'incompréhensible. L'interprétation ne doit pas prétendre restituer un sens passé mais appliquer, intégrer du sens passé au présent, comme un comédien qui jouerait aujourd'hui une pièce de Racine, ou un juge qui applique la loi à un nouveau cas particulier.
Dès lors, pour Gadamer, se crée une sorte de cercle herméneutique où l'interprète comprend en révisant une première précompréhension. Il va ensuite continuer de réviser sa compréhension. Il accédera ainsi à une compréhension de soi à travers la progression de cette compréhension. C'est selon la philosophie herméneutique une mise à l'épreuve qui peut se faire grâce à la discussion avec autrui.
C. Le sens est construit rétrospectivement
De la même manière, Freud propose de faire une interprétation des rêves. Cette interprétation n'est pas un déchiffrage de symboles préétablis mais le résultat d'un long travail du patient qui raconte son rêve à son analyste et qui, par association d'idées, parviendra à comprendre quels sont les symboles que son inconscient a forgés au fil de son histoire. Il va ainsi trouver un sens qui lui permettra d'éclairer ses angoisses présentes.
attention
La seconde partie du devoir n'est pas simplement l'alternative à l'idée d'une interprétation comme découverte. Elle ne dit pas seulement que l'interprétation est invention, mais dépasse cette opposition pour montrer qu'interpréter c'est découvrir en inventant.
Toute psychanalyse elle-même est l'interprétation de signes comme les rêves mais aussi des actes manqués, des comportements inexplicables, des réactions somatiques. L'interprétation s'appuie bien sur le terreau d'une histoire passée, mais le sens ne préexistait pas à l'interprétation ; il est créé par la conscience déchiffreuse qui trouve ainsi un sens à l'ensemble des événements de sa vie présente. C'est alors que l'on peut dire qu'interpréter c'est découvrir en inventant.
Conclusion
Ainsi, interpréter consiste à découvrir un sens caché. Mais celui-ci n'est pas restitué tel qu'il a pu exister dans le passé. Interpréter inclut une part de créativité de l'interprète qui transpose, adapte, applique un sens pour un sujet inscrit dans le présent selon un continuum qui peut s'enrichir à chaque instant. Interpréter, c'est donc découvrir mais découvrir tout en inventant.