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Jean Giraudoux, La guerre de Troie n'aura pas lieu, acte II, scène 5

 
Unit 1 - | Corpus Sujets - 1 Sujet & Corrigé
 
Dénoncer la guerre
 
 

Dénoncer la guerre • Commentaire

Question de l'homme

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Sujet inédit

la question de l'homme • 16 points

Commentaire

> Vous ferez le commentaire du texte de Giraudoux.

Trouver les idées directrices

  • Composez une « définition » du texte. Vous trouverez à partir de cette « définition » les idées directrices ou « axes » pour le commentaire.

Tirade de théâtre (genre) sous forme de discours (type de texte), lyrique, pathétique, mais aussi parodique des éloges funèbres (registres), déroutant, inspiré de l'Antiquité mais aussi modernisé (adjectifs), pour dénoncer l'artifice des cérémonies aux morts et l'absurdité de la guerre, pour faire l'éloge de la vie (buts).

Pistes de recherche

Première piste : un discours aux morts traditionnel

  • Interrogez-vous sur le genre du texte et sur sa forme (il s'agit, dans une pièce de théâtre, d'un discours officiel, forme traditionnelle qui a ses règles et ses contraintes).
  • Récapitulez les caractéristiques d'un discours : situation d'énonciation, fond (thèmes) et forme (formules consacrées, structure générale, ton lyrique et épique…).

Deuxième piste : les lois du genre renouvelées ou un anti-discours

  • Mesurez la conformité de ce discours avec le discours aux morts traditionnel et dégagez sa singularité dans les thèmes et les formulations. Analysez ce qui peut surprendre le spectateur.
  • Comment Hector présente-t-il les morts ?
  • Étudiez le réalisme et le mélange des tons.
  • Interrogez-vous sur la manière dont Giraudoux a modernisé un personnage et un épisode de la tradition antique.

Troisième piste : le discours d'un pacifiste

  • Étudiez les idées que révèle ce discours en explicitant le message implicite de Giraudoux.
  • Qu'est-ce qui marque l'engagement de Giraudoux ?
  • Quelles critiques adresse-t-il aux cérémonies militaires ?
  • Quelles sont les valeurs célèbrées par Hector, et par Giraudoux à travers lui ?
  • D'où vient l'actualité, la modernité de ce discours ?

> Pour réussir le commentaire : voir guide méthodologique.

> Les genres de l'argumentation : voir mémento des notions.

Les titres en couleur et les indications en italique servent à guider la lecture mais ne doivent pas figurer sur la copie.

Introduction

Les guerres du xxe siècle ont exercé une influence notoire sur la littérature : de nombreux écrivains ont dénoncé l'horreur de la guerre. Ainsi, en 1935, Giraudoux, soldat lui-même en 1914-1918 et conscient qu'une nouvelle guerre se prépare, reprend la légende de la guerre de Troie dans sa pièce La guerre de Troie n'aura pas lieu. Il y met en scène Hector, un ancien combattant qui a vécu l'horreur de la guerre. Dans la scène 5 de l'acte II, le fils de Priam prononce avec réticence le traditionnel discours aux morts, en se pliant apparemment aux exigences du genre. En réalité le discours d'Hector est un anti-discours, parodie vigoureuse et poétique contre la guerre.

I. La tradition du discours funèbre dramatique et lyrique

Hector semble composer un discours traditionnel – l'hommage rendu aux disparus après chaque guerre – mais il parvient, par sa sincérité, à créer l'émotion.

  • La tendresse et la mélancolie des apostrophes aux morts suscitent la pitié et l'émotion du spectateur pour les victimes : « pauvres amis », « vous absents, vous oubliés »…
  • Le ton rappelle les épopées (l'Iliade) ou les tragiques grecs (Eschyle) par un ton solennel et dramatique « à l'antique » :
  • les apostrophes oratoires : « Ô vous qui ne nous entendez pas… », « Ô vous qui ne sentez pas » ;
  • l'impératif dramatique, presque religieux, pour interpeller et implorer les morts (« Respirez cet encens… »), qui crée une tonalité sacrée ;
  • de nombreux termes négatifs (« sans être… sans repos… », « oubliés ») qui dramatisent l'instant.
  • Hector suit les règles du genre oratoire, notamment dans la structure très « classique » du discours :
  • il garde un équilibre entre les deux parties presque symétriques de sa tirade, placées sous le signe de l'invocation et de l'imploration ;
  • il recourt à de longues périodes au rythme travaillé, éloquent et lyrique.

[Transition] On reconnaît Hector tel qu'il apparaît dans l'Iliade et on comprend pourquoi Giraudoux l'a choisi pour exprimer ses convictions sur les grandes questions que se pose l'homme (l'amour, la guerre, la mort).

II. Un anti-discours

Mais, à côté de cet aspect traditionnel, le discours aux morts d'Hector est insolite : Giraudoux le modernise, autant par le ton que par les idées qu'il exprime.

1. Affectation sans artifice et pitié pour les absents

  • Habituellement, un discours s'adresse à un public présent et vivant. Ici, il s'adresse à des absents.
  • Cependant l'invocation d'Hector est si expressive que l'on a l'impression d'assister à un vrai dialogue entre le général et ses soldats disparus (marqué par la présence d'indices personnels de la 2e personne).
  • Alors qu'il est leur général, Hector voit ses soldats comme des compagnons et non comme des héros. Il exprime explicitement l'affection et la pitié qu'il ressent pour eux (« pauvres amis »).

2. Une sincérité inhabituelle et un réalisme cru

Persuadé de l'hypocrisie convenue des discours aux morts, Hector déploie dans le sien une sincérité inhabituelle.

  • Il refuse l'hommage inconditionnel de ce type de discours. Il fait une constatation sincère (« Il y a chez vous la même proportion de braves et de peureux que chez nous qui avons survécu ») et avoue une certaine partialité : « apprenez que je n'ai pas […] un respect égal pour vous tous ».
  • Un réalisme cru : Hector frise l'irrespect par son langage familier et réaliste (« mangeons, buvons, couchons ») et fait un aveu inconvenant (« Nous couchons avec nos femmes… Avec les vôtres aussi… »).

3. Un discours aux vivants ?

Pas de malice chez Hector, mais un désir d'honnêteté et le refus de l'artifice des discours de circonstance, des clichés héroïques et des louanges.

  • Cela provoque la réaction surprise et prude de Démokos, le poète officiel, seul à prendre cette sincérité pour des « insultes » (« Tu insultes les morts, maintenant »).
  • Démokos perçoit dans le discours d'Hector une attaque directe contre les vivants : Hector fait ressortir le ridicule des traditions des vivants, en parodiant leurs rites inutiles.
  • Le discours aux morts d'Hector est donc insolite : Giraudoux l'a modernisé, autant dans le ton que dans les idées.

[Transition] À travers Hector, c'est Giraudoux qui s'exprime ; le discours prend alors un tour polémique, philosophique.

III. Le discours militant et polémique d'un pacifiste

1. Hector, une figure d'anti-général

  • Il fait preuve d'affection et de sincérité (« c'est un général sincère qui vous parle), ce qui n'est pas de mise dans l'armée.
  • Il ne se prend pas au sérieux : il admet qu'il est incapable de rendre des morts sensibles aux valeurs militaires, gloire ou victoire (« Je ne sais si, dans la foule des morts, on distingue les morts vainqueurs par une cocarde »).
  • Il est clairvoyant et sait que ses mots importent peu aux destinataires de son discours (« Cela vous est bien égal, n'est-ce pas ? »).

2. La haine de la guerre et le pacifisme de Giraudoux

  • Le texte est un réquisitoire d'une part contre la guerre, « sordide » et « hypocrite » (termes forts), où il n'y a aucun vainqueur réel, mort ou vivant, d'autre part contre les bellicistes indifférents aux dangers qui pèsent sur l'Europe en 1935, et qui planifient la guerre comme une « recette » (métaphore culinaire).
  • Giraudoux fait du discours d'Hector une ode à la paix et à la vie. Il y exprime ses convictions profondes : la revendication d'un pacifisme inconditionnel, la célébration des bonheurs simples et naturels et des plaisirs suggérés par la présence du champ lexical des sens (« Nous voyons le soleil. », « Nous, nous avons deux yeux »).
  • La fréquence de la mention de la vie, en contraste avec les morts, en fait la valeur humaine fondamentale : « Les vivants… ont la vraie cocarde », « Nous, nous sommes les vainqueurs vivants ». La vie est un don plus précieux que la gloire.

3. Des tons variés et des procédés originaux

  • L'ironie et l'humour soulignent la lucidité de Giraudoux par rapport aux honneurs dérisoires rendus aux victimes.
  • Le réalisme de l'écriture présente la mort dans sa brutalité aveugle : la mort est la perte d'un bien précieux, la vie, et non la consécration suprême.
  • En contraste, une certaine poésie se dégage de l'emploi d'un vocabulaire très simple (sentir, entendre, voir), de la mention de la nature (« la chaleur et le ciel »), et de la métaphore anachronique des « cocardes (en assimilant les yeux à des « cocardes », elle transforme ce symbole républicain, nationaliste et guerrier).

Conclusion

Ce discours original, plus qu'un éloge des morts, est une ode à la vie et à la paix qui s'adresse à l'humanité entière. Cependant, dans cette « guerre de Troie », ce n'est plus la fatalité divine qui pousse au conflit, mais la folie meurtrière des hommes que Giraudoux n'a pas réussi à contrecarrer.

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