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L'action publique pour la justice sociale en débat

Dissertation

L'action publique pour la justice sociale en débat

4 heures

20 points

Intérêt du sujet • La justice sociale se trouve au cœur des préoccupations des Français. Cette question fait néanmoins débat. Quelles sont les différentes limites des actions des pouvoirs publics qui nourrissent les critiques ?

 

 Pourquoi l'action des pouvoirs publics en matière de justice sociale fait-elle l'objet de débats ?

Document 1Le sentiment d'injustice face aux différents prélèvements en France (en %)

Tableau de 8 lignes, 6 colonnes ;Tetière de 2 lignes ;Ligne 1 : ;Année de création;Principe de calcul;Appréciation des enquêtés;Ligne 2 : Injuste;Juste;NSP1;Corps du tableau de 6 lignes ;Ligne 1 : Taxe d'habitation; 1791; Caractéristiques du logement et localisation; 41; 53; 6; Ligne 2 : Taxe foncière; 1791; Caractéristiques du logement et localisation; 45; 44; 11; Ligne 3 : Impôt sur le revenu; 1917; Progressif; 25; 70; 5; Ligne 4 : TVA2; 1954; Proportionnel; 45; 43; 12; Ligne 5 : ISF3; 1981; Progressif; 20; 67; 13; Ligne 6 : CSG3; 1990; Proportionnel; 48; 33; 19;

Source : Kevin Bernard et Alexis Spire, « Les déterminants sociaux du sentiment d'injustice fiscale », Revue de l'OFCE, n° 161, 2019.

Champ : Ensemble de la population de l'enquête.

1. Cette catégorie regroupe trois modalités : ne sait pas, ne connaît pas, n'a pas répondu.

2. Taxe sur la valeur ajoutée. 3. Impôt de solidarité sur la fortune, remplacé en 2018 par l'impôt sur la fortune immobilière (IFI). 4. Contribution sociale généralisée.

Document 2Indicateurs d'inégalité et de pauvreté de 2000 à 2018

Tableau de 13 lignes, 6 colonnes ;Tetière de 1 lignes ;Ligne 1 : ;2000;2005;2010;2015;2018;Corps du tableau de 12 lignes ;Ligne 1 : Indicateurs d'inégalité après redistribution; Ligne 2 : 1er décile de niveau de vie (D1) (en euros 2018); 10 220; 10 940; 11 260; 11 190; 11 210; Ligne 3 : 9e décile de niveau de vie (D9) (en euros 2018); 35 600; 36 480; 39 000; 38 670; 39 130; Ligne 4 : D9/D1; 3,48; 3,33; 3,46; 3,46; 3,49; Ligne 5 : Indices de Gini; 0,289; 0,289; 0,302; 0,292; 0,298; Ligne 6 : Indicateurs d'inégalité avant redistribution; Ligne 7 : D9/D1; 5,68; 5,21; 5,65; 6,11; 6,26; Ligne 8 : Indices de Gini; 0,369; 0,360; 0,375; 0,375; 0,383; Ligne 9 : Indicateurs de pauvreté, seuil à 60 % de la médiane; Ligne 10 : Nombre de personnes pauvres (en milliers); 7 951; 7 881; 8 739; 8 875; 9 327; Ligne 11 : Taux de pauvreté (en %); 13,7; 13,2; 14,3; 14,2; 14,8; Ligne 12 : Seuil de pauvreté (en euros 2018/mois); 942; 1 000; 1 051; 1 046; 1 063;

Source : Insee, septembre 2020.

Document 3Conditions d'attribution du revenu de solidarité active (RSA) et mesures d'accompagnement

Conditions d'attribution

Vous avez plus de 25 ans. Il n'y a pas de condition d'âge si vous êtes enceinte et si vous avez déjà au moins un enfant à charge.

Si vous avez entre 18 et 25 ans, sans enfant, vous devez avoir exercé, en plus des conditions énoncées ci-après, une activité à temps plein […] durant au moins 2 ans sur les 3 dernières années. […]

Les ressources mensuelles moyennes de votre foyer pendant les 3 mois précédant votre demande ne doivent pas dépasser un certain montant maximal de RSA […].

Vous devez prioritairement faire valoir vos droits à l'ensemble des autres prestations sociales (allocation chômage, retraite…) auxquelles vous pouvez prétendre.

Vous ne pourrez pas bénéficier du RSA (sauf si vous êtes parent isolé) si vous êtes :

en congé parental ou sabbatique, en congé sans solde ou en disponibilité ;

étudiant et que vous ne percevez pas un revenu d'activité au moins égal à 500 euros par mois (au titre des revenus déclarés chaque trimestre).

Un accompagnement personnalisé

Si vous êtes sans emploi ou si vous tirez de votre activité des ressources limitées, le conseil départemental désignera un référent (un professionnel de l'emploi ou du secteur social) pour vous aider.

Vous déciderez avec lui des démarches à entreprendre pour rechercher un emploi, créer votre propre activité et/ou favoriser votre insertion sociale et professionnelle.

Vous signerez avec lui un projet personnalisé d'accès à l'emploi ou un contrat d'insertion sociale que vous devrez respecter.

Source : site de la Caisse d'allocations familiales (CAF), 2021.

Document 4Écarts de revenu du travail entre les hommes et les femmes en France entre 1970 et 2012

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Source : Bertrand Garbinti et Jonathan Goupille-Lebret, « Inégalités de revenu et de richesse en France : évolutions et liens sur longue période », Économie et statistiques, n° 510-511-512, 2019.

Note : rapport entre le revenu du travail moyen des hommes et des femmes. Le revenu du travail inclut les salaires, les retraites, les indemnités de chômage et 70 % des revenus mixtes des indépendants.

Lecture : en 1970, les hommes âgés de 65 ans percevaient un revenu du travail en moyenne trois fois plus élevé que celui des femmes.

 

Les clés du sujet

Analyser la consigne et dégager une problématique

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Problématique. Malgré la réduction des inégalités sur le long terme, les mesures de justice sociale ont des limites en termes d'efficacité et de légitimité.

Exploiter les documents

Document 1. Ce tableau synthétise les résultats d'une enquête permettant de mesurer le sentiment d'injustice face aux principaux prélèvements obligatoires. Quels sont les prélèvements considérés comme les plus justes ? Et les plus injustes ?

Document 2. Ce tableau permet de mesurer l'évolution des inégalités et de la pauvreté entre 2000 et 2018. Nous disposons du revenu avant redistribution, c'est-à-dire des ressources issues de la répartition primaire des revenus, et du revenu après redistribution, obtenu en ajoutant les prestations et en ôtant les prélèvements. Quels sont les effets de la redistribution sur les inégalités de revenus ? Comment évolue la pauvreté en près de vingt ans ?

Document 3. Ce document rappelle les conditions d'attribution du revenu de solidarité active (RSA) et l'accompagnement mis en place pour suivre ses bénéficiaires. Qui peut obtenir le RSA ? Quelles mesures sont mises en place pour favoriser le retour à l'emploi ?

Document 4. Ce graphique permet de comparer les écarts de revenu du travail entre hommes et femmes selon l'âge et pour quatre décennies différentes. Comment évoluent les inégalités de revenu du travail selon le sexe ? Ces inégalités sont-elles les mêmes suivant l'âge ?

Définir le plan

Tableau de 2 lignes, 2 colonnes ;Corps du tableau de 2 lignes ;Ligne 1 : I. Des difficultés accrues pour diminuer les inégalités; Comment évoluent les inégalités économiques avec l'action des pouvoirs publics ?En quoi la persistance d'inégalités sociales interroge-t-elle sur l'efficacité des mesures prises ?; Ligne 2 : II. Des risques d'effets pervers et des problèmes de légitimité; Quels sont les effets pervers provoqués par l'action des pouvoirs publics ?Pourquoi peut-on remettre en cause la légitimité de l'action des pouvoirs publics pour réduire les inégalités ?;

Les titres des parties ne doivent pas figurer sur votre copie.

Introduction

[accroche] Le mouvement des Gilets jaunes, qui a débuté à la fin 2018, a mis en lumière un sentiment profond d'injustice sociale dans une partie de la population française. Paradoxalement, la France fait partie des pays qui consacre une partie importante de sa richesse à des mesures de justice sociale. [présentation du sujet] Les pouvoirs publics, c'est-à-dire les collectives locales et le gouvernement, ont en effet différents moyens à leur disposition pour accorder l'égalité en droits, favoriser l'équité des chances ou encore réduire les inégalités de situation. [problématique] Or, de manière croissante, la capacité des pouvoirs publics est remise en cause. Quelles sont les limites des mesures de justice sociale qui viennent ainsi nourrir ces critiques ? [annonce du plan] Nous montrerons tout d'abord que les pouvoirs publics peinent à réduire efficacement les inégalités, puis que certaines mesures adoptées ont des effets pervers ou posent question quant à leur légitimité.

I. Des difficultés à réduire les inégalités

Le secret de fabrication

Il convient de poser les éléments du débat. La réponse est axée sur les limites des actions des pouvoirs publics et les critiques qu'elles nourrissent. Dans cette partie, on montrera que la réduction des inégalités économiques et sociales est imparfaite, interrogeant sur l'efficacité des mesures prises.

1. Une aggravation des inégalités économiques

La fiscalité progressive, dont le taux de prélèvement augmente avec le revenu ou le patrimoine, doit permettre de réduire les inégalités économiques. Il en est ainsi, en France, de l'impôt sur le revenu ou encore de l'impôt sur la fortune (document 1). Les prestations sociales, ensuite, peuvent soutenir le niveau de vie des moins aisés à l'instar des minima sociaux comme le revenu de solidarité active, le RSA (document 3). La combinaison des prélèvements et des versements permet alors une redistribution monétaire. Ainsi, en 2018, les 10 % les plus aisés (9e décile) gagnent au moins 3,49 fois plus que les 10 % les moins aisés (1er décile), contre 6,26 fois plus avant redistribution (document 2).

Pourtant on assiste depuis 2005 à un accroissement des écarts de niveaux de vie et de la pauvreté, les coefficients de Gini s'éloignant de 0 (document 2). Le système fiscal n'apparaît pas aussi progressif qu'imaginé : beaucoup de prélèvements sont proportionnels (document 1). Quant à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), elle a en réalité un effet dégressif sur les revenus : ce sont les ménages les plus pauvres qui consacrent une part plus importante de leur revenu à la consommation. En outre, les inégalités de patrimoine se creusent encore plus. Ainsi, depuis une trentaine d'années, les plus riches ne cessent de s'enrichir. Ces écarts croissants posent donc la question de l'efficacité des mesures de justice sociale.

2. Des inégalités sociales persistantes

Les pouvoirs publics cherchent également à réduire les inégalités sociales. Il en est ainsi de celles de genre. Les écarts de revenu du travail entre hommes et femmes ont certes diminué fortement depuis 1970, mais elles perdurent. En 2012, à l'âge de 25 ans, les hommes gagnent 30 % de plus que les femmes. À l'âge de 65 ans, l'écart est de l'ordre de 60 % (document 4). Les gouvernements ont pris des mesures pour garantir l'égalité en droits des hommes et des femmes. Mais il persiste des inégalités de chances qui renvoient encore aujourd'hui aux rôles sociaux assignés selon le genre. Ainsi, malgré les lois sur la parité en politique et dans les conseils d'administration des entreprises, les femmes restent largement minoritaires dans les instances de pouvoir.

mot clé

Si les inégalités économiques portent sur les revenus, le patrimoine ou encore l'emploi, les inégalités sociales renvoient, quant à elles, à des différences de pratiques culturelles, d'éducation ou de conditions de vie.

En dépit du développement des services collectifs de santé ou d'éducation, les inégalités selon l'origine sociale restent fortes. En termes d'éducation, la massification ne s'est pas traduite par une réelle démocratisation scolaire. Et les formations très sélectives, comme les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE), restent l'apanage des milieux sociaux favorisés. Dans le domaine de la santé, les inégalités d'espérance de vie entre cadres et ouvriers restent fortes, et plus encore si l'on compare l'espérance de vie en bonne santé.

II. Des effets pervers et une crise de légitimité

1. Des effets désincitatifs

Selon la logique libérale, les minima sociaux ou les indemnités chômage pourraient avoir des effets désincitatifs. Les bénéficiaires feraient un arbitrage, préférant le maintien de leurs prestations à un retour à l'emploi, notamment à bas salaire. Quant aux plus démunis, ils auraient des difficultés à sortir de la pauvreté et pourraient tomber dans des trappes à inactivité malgré les mesures d'accompagnement mises en place (document 3), restant ainsi en dessous du seuil de pauvreté.

Dans les années 1970, Arthur Laffer, un économiste libéral, a mis en évidence les effets désincitatifs des impôts. Au-delà d'un seuil dit « optimal » d'imposition, les agents économiques auraient tendance à moins produire pour échapper aux prélèvements, voire à pratiquer l'évasion fiscale. Ce principe du « trop d'impôt tue l'impôt » a inspiré des baisses de prélèvements obligatoires importantes en réponse à la défiance de nombreux citoyens.

2. Une crise de légitimité

Certaines mesures de justice sociale font débat. Le versement du RSA est suspendu à de nombreux critères (document 3). Si certains experts mettent en avant l'effet de trappes, d'autres pointent la situation des non-recours. Cette question s'est ainsi invitée lors de l'élection présidentielle de 2017, certains candidats plaidant pour l'instauration d'un système de revenu universel. Par ailleurs, dans le contexte de la crise sanitaire de Covid-19, la situation des étudiants sans revenu d'appoint, mais ne pouvant percevoir le RSA, pose question. Dans le domaine de l'éducation, si l'instauration récente de quotas de bacheliers boursiers dans certaines formations du supérieur peut sembler légitime, elle est source de critiques : rupture d'égalité pour les uns ou risque de discrimination pour d'autres.

à noter

L'estimation du taux de non-recours au RSA (part des personnes ayant droit au RSA et ne le demandant pas) se situe dans une fourchette de 28 à 35 %.

Face à l'impôt, on assiste à une hausse du sentiment d'injustice. Une enquête récente montre que différents prélèvements (contribution sociale généralisée, taxe sur la valeur ajoutée, taxe foncière) sont considérés comme injustes pour une majorité de la population, posant ainsi le problème du consentement à l'impôt (document 1). Certains, et notamment les moins aisés, ont ainsi le sentiment de beaucoup plus contribuer au financement du système que d'en bénéficier. Le modèle du citoyen contribuant à l'intérêt général et payant ses impôts par devoir a donc tendance à s'effriter.

Conclusion

[bilan] Depuis une quinzaine d'années, on assiste à l'aggravation des inégalités de niveaux de vie et de patrimoine tandis que persistent des inégalités sociales. Les pouvoirs publics peinent à atteindre leurs objectifs de réduction de ces écarts. En outre, certaines mesures redistributives sont critiquées pour leur effet désincitatif. Parallèlement, c'est l'idée même de prélèvement qui est décriée, délégitimant le principe du consentement à l'impôt. [ouverture] Dans les sociétés démocratiques, la question de l'acceptation des politiques publiques est cruciale pour les gouvernants. Or, la défiance des citoyens ne cesse de progresser, comme en témoignent la montée de l'abstention et les derniers mouvements sociaux. L'organisation de débats de citoyens, notamment en réponse à la quête de justice sociale des Gilets jaunes, suffira-t-elle à légitimer les actions à venir ?

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