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L'« espionnage atomique » dans la guerre froide

Étude critique de document

L'« espionnage atomique » dans la guerre froide

2 heures

10 points

Intérêt du sujet • Cette étude de document vous invite à croiser ce que vous avez appris sur les connaissances stratégiques pour les États et ce qu'ils sont prêts à faire afin de les contrôler. Le premier jalon de l'axe 2 vous sera particulièrement utile, mais n'hésitez pas à faire appel aux autres notions du thème.

 

D'après le document proposé, vous montrerez que les États-Unis et l'URSS se sont livré une guerre d'espionnage pour maîtriser les connaissances stratégiques sensibles dans le cadre de la guerre froide.

DocumentL'espionnage des secrets de l'atome

Les documents Venona sont le fruit d'un projet qui trouve ses origines au début de la Seconde Guerre mondiale et ses principales étapes furent la collecte, le déchiffrement et l'exploitation de cryptogrammes soviétiques. […] En décembre 1946, les cryptanalystes déchiffraient un message de la plus haute importance. Transmis à Moscou deux ans plus tôt, le 2 décembre 1944, par un agent du NKVD depuis New York, ce message contenait une liste de noms, parmi lesquels figuraient ceux de plusieurs scientifiques appartenant au projet Manhattan (ENORMOZ). Au total, ils parvinrent à déchiffrer pas moins d'une cinquantaine de messages concernant les activités d'« espionnage atomique » des Soviétiques. Il n'en fallait pas plus pour prévenir le FBI, qui s'inquiétait d'une éventuelle pénétration soviétique depuis des années et serait à même d'exploiter au mieux les documents. […] Au printemps 1943, à la suite de leur travail de surveillance, les agents du FBI acquirent la certitude que les laboratoires où s'effectuaient les recherches portant sur l'atome étaient la cible de l'espionnage soviétique. C'est pourquoi ils mirent en place l'enquête CINRAD (Communist Infiltration of the Radiation Laboratories). Dans l'immédiat après-guerre, les choses se précipitèrent. Le 5 septembre 1945, Igor Gouzenko, chiffreur à l'ambassade soviétique au Canada, demandait l'asile politique et faisait des révélations fracassantes sur la pénétration soviétique au Canada, au Royaume-Uni et aux États-Unis. Grâce à ces révélations, Allan Nunn May, scientifique britannique ayant participé au projet Manhattan fut arrêté pour avoir fourni au GRU des éléments concernant la bombe atomique. […] L'« espionnage atomique » devint rapidement la priorité essentielle du FBI, car, en août 1949, la première bombe atomique soviétique avait été expérimentée avec succès. […] Le FBI arrêta ensuite David Greenglass ainsi que Julius et Ethel Rosenberg. Il n'en fallait pas plus pour conclure que l'expérimentation réussie de la première bombe atomique soviétique ne pouvait être que le fruit de l'espionnage mené par les agents américains à la solde du NKVD. Mais, parce qu'il ne voulait pas que l'existence du projet Venona fût révélée, le Chiffre1 américain interdisait au FBI de rendre publiques les transcriptions des cryptogrammes qui avaient conduit aux différentes interpellations. Cette interdiction allait, pendant des années, alimenter la polémique autour de la culpabilité des uns et des autres. Aujourd'hui, les archives Venona étant accessibles, la thèse de l'existence d'un large réseau d'espionnage soviétique opérant aux États-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale semble confortée. Au terme du travail de déchiffrement, pas moins de 2 900 cryptogrammes soviétiques furent décodés, dont 49 avaient pour objet le projet Manhattan.

Gilles Le Voguer, « Le renseignement soviétique aux États-Unis : vérité des archives et vérités historiques », Revue française d'études américaines, n° 133,
© Éditions Belin, 2012.

1. Chiffre : service du département de la Défense affecté à la correspondance en langage chiffré (ou codé).

 

Les clés du sujet

Identifier le document

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Comprendre la consigne

La recherche de la bombe nucléaire a été un défi stratégique pendant la Seconde Guerre mondiale. La maîtrise de ce savoir a cristallisé les efforts des principales puissances au début de la guerre froide.

Ce texte permet de comprendre l'intensité de la surveillance et de l'espionnage qu'ont déployés les deux Grands pour sécuriser ou s'emparer du secret nucléaire.

Dégager la problématique et construire le plan

La guerre froide, conflit de puissance, passe aussi par une guerre industrielle et une compétition dans la maîtrise des savoirs stratégiques.

En quoi les enjeux de la recherche sur la bombe nucléaire cristallisent-ils les efforts des deux superpuissances dans la maîtrise et le contrôle des savoirs stratégiques ?

Tableau de 2 lignes, 2 colonnes ;Corps du tableau de 2 lignes ;Ligne 1 : I. Une connaissance stratégique au service de la puissance de l'État; Quelles sont les modalités et conditions de recherche ?Quelle importance cette recherche revêt-elle pour les États ?; Ligne 2 : II. Des superpuissances prêtes à tout pour en assurer la maîtrise; Pourquoi les États recourent-ils à l'espionnage ?Comment les États contrôlent-ils ceux qui détiennent le précieux savoir ?;

Les titres et les indications entre crochets ne doivent pas figurer sur la copie.

Introduction

[Accroche] Août 1945, les États-Unis font exploser la première bombe nucléaire sur Hiroshima. [Présentation du sujet] Confortés dans leur avance dans la puissance militaire et scientifique, ils ont dû défendre pendant la guerre froide cette connaissance stratégique comme le démontrent les documents Venona sur l'espionnage soviétique, mis au jour en 1946. [Problématique] En quoi les enjeux de la recherche sur la bombe nucléaire cristallisent-ils les efforts des deux superpuissances dans la maîtrise et le contrôle des savoirs stratégiques ? [Annonce du plan] La force nucléaire est l'exemple type de la connaissance stratégique au service de la puissance des États [I], pour laquelle les deux superpuissances ont été prêtes à tout pour s'en assurer la maîtrise [II].

Le secret de fabrication

Il est important de raccorder le sujet à toute la thématique sur les enjeux de la connaissance et pas seulement au renseignement américano-­soviétique pendant la guerre froide : le texte vous invite à réfléchir sur le rapport entre l'État et les connaissances stratégiques dans leur ensemble.

I. La recherche nucléaire au service de la puissance de l'État

1. Une communauté de savants réunie pour la recherche…

De 1941 à 1945, les États-Unis consentent un immense effort de guerre, notamment dans la recherche sur les armes stratégiques et l'atome. Albert Einstein suggère au Président Roosevelt de réunir tous les spécialistes disponibles pour construire une bombe d'une puissance inégalable : ce sera le « projet Manhattan », nom de code « ENORMOZ » (l. 9), dirigé par le physicien Robert Oppenheimer.

Cette opération rassemble des spécialistes de la physique nucléaire de différents pays, notamment des scientifiques ayant fui les régimes fascistes, tel l'italien E. Fermi ou le hongrois L. Szilard. Elle bénéficie de moyens colossaux financiers et humains (130 000 personnes ont travaillé au projet).

conseil

Essayez d'insérer dans votre devoir le nom d'un ou deux acteurs de la question : cela précise votre récit.

2. … d'une connaissance indispensable à la puissance des États…

La bombe nucléaire a tout de suite été perçue comme élément indispensable à la victoire, puis signe du hard power pendant la guerre froide. Les Soviétiques organisent très tôt l'« espionnage atomique » (l. 11), les Américains ayant pris de l'avance.

« En août 1949, la première bombe soviétique [est] expérimentée avec succès » (l. 27-28), avec l'aide de scientifiques occidentaux qui ne veulent pas qu'une telle connaissance soit verrouillée par un seul État.

La guerre froide a sans doute contribué à imposer une compétition centrée sur l'économie du savoir afin d'assurer une avance aux puissances en conflit.

3. … justifiant l'organisation d'un important réseau d'espionnage

Théoricien du renseignement, Sherman Kent souligne sa triple dimension : collecte d'information en amont, analyse en aval, structure qui en assure le traitement. Le texte foisonne de sigles : GRU, le service de renseignement de l'Armée rouge ; NKVD, l'agence d'espionnage soviétique (devenue KGB en 1954) ; FBI, l'agence de police fédérale américaine.

Ces services assurent la « collecte, le déchiffrement et l'exploitation de cryptogrammes » (l. 3-4) avec des machines sophistiquées mises au point spécialement pour le contrôle des connaissances stratégiques.

II. Des superpuissances prêtes à tout

1. Espionner ceux qui sont en avance

La guerre froide est surnommée par les historiens « guerre des espions » en raison de l'importance du renseignement dans la maîtrise des informations. Des budgets considérables sont alloués et des dizaines de milliers d'agents officiels comme officieux sont mobilisés pour ne pas se laisser distancer dans la compétition scientifique et technique : « à la suite de leur travail de surveillance, […] la cible de l'espionnage soviétique » (l. 14-17).

Pour rattraper son retard, l'URSS investit massivement dans l'espionnage. Les États-Unis font porter l'entièreté des mérites des succès du nucléaire soviétique sur leur renseignement : « Il n'en fallait […] soviétique » (l. 11-17). Mais ils se méfient du double jeu de certains scientifiques : « Allan Nunn May […] concernant la bombe atomique » (l. 23-26).

2. Contrôler ceux qui détiennent le savoir

Les scientifiques sont la cible privilégiée des espions – « ce message […] scientifiques » (l. 7-8) car ils détiennent les connaissances sensibles susceptibles d'intéresser d'autres États. Certains peuvent aussi aider une puissance étrangère au nom du principe de libre circulation des savoirs.

Les chercheurs travaillant dans les domaines stratégiques sont sous étroite surveillance, parfois sur écoute ou soumis à des enquêtes comme la CINRAD (l. 17-19).

Le renseignement agit dans un cercle qui dépasse les frontières des deux puissances antagonistes. Les échanges d'informations se font à l'intérieur des blocs, mais le renseignement profite de cette circulation relative des savoirs pour organiser un espionnage de dimension mondiale (ex. : Igor Gouzenko, cité l. 20, est également celui qui a permis de démasquer les Cinq de Cambridge).

3. Punir ceux qui trahissent

Cette tension permanente vire à une véritable psychose des taupes : elle a parfois généré des débordements au moment du maccarthysme ; les documents Venona sont un exemple de fuites et trahisons du secret militaire : « Le FBI arrêta […] Rosenberg » (l. 29-30). Les époux Rosenberg, qui ne cachent pas leur sympathie communiste, sont arrêtés en 1950 pour avoir livré la bombe aux Soviétiques, seul exemple de condamnation à mort et d'exécution d'espions en Occident.

mot clé

Le maccarthysme est une période entre 1950 et 1953, au cours de laquelle le sénateur McCarthy, convaincu que l'État américain est infiltré par les communistes, met tout en œuvre pour les trouver et les juger.

La préservation du secret dans cette affaire, afin de protéger les connaissances stratégiques, a été très loin : le Chiffre américain « ne voulait pas que l'existence du projet Venona fût révélée » (l. 33-34), ce qui jeta un voile trouble sur les responsabilités effectives des époux Rosenberg. L'ouverture des archives permet d'en avoir la certitude : « la thèse […] confortée » (l. 39-41). Les documents Venona ne sont qu'une fraction des centaines de milliers de cryptogrammes soviétiques de cette période, l'histoire ne se fait jamais à partir d'une source unique.

Conclusion

[Réponse à la problématique] Les deux superpuissances se sont livré une guerre des espions sans merci dans le domaine stratégique du nucléaire. Les documents Venona s'inscrivent dans une longue histoire chargée en opérations de renseignement, où les deux Grands n'ont pas lésiné en moyens pour assurer le contrôle des connaissances. [Ouverture] Cette chasse à la connaissance indispensable à la mise au point de la bombe a eu au moins un avantage : l'équilibre de la terreur, atteint par la possession de l'arme atomique par les deux camps, qui en a empêché l'utilisation.

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