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L'État nous doit-il quelque chose ?

France métropolitaine • Juin 2024

L’État nous doit-il quelque chose ?

Dissertation

4 heures

20 points

Intérêt du sujet • L’État est tantôt prescripteur, tantôt protecteur : il dispose de la force publique pour nous contraindre à respecter les lois, mais il ne possède pas pour autant tous les droits. Jusqu’où s’étendent ses obligations envers nous ?

 
 

Les clés du sujet

Définir les termes du sujet

L’État

Il s’agit d’un ensemble d’institutions organisant une société dotée d’un territoire et d’un gouvernement indépendants.

Il promulgue les lois et en impose le respect, au besoin par la force.

Nous

Le terme désigne d’abord la communauté formée par les citoyens d’un État, mais peut renvoyer plus largement à la communauté humaine, celle des citoyens du monde.

Doit-il

Le verbe devoir peut signifier avoir une dette, mais indique en un sens plus fort l’obligation de se soumettre à une règle morale ou juridique.

Quelque chose

L’expression est volontairement très vague : il peut s’agir de garantir certains droits, mais aussi d’assurer des prestations ou des services.

Dégager la problématique

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Construire un plan

1. L’État ne nous doit rien

Que serait notre vie sans l’État ? N’est-ce pas nous qui lui devons quelque chose ?

La souveraineté de l’État est-elle compatible avec son éventuelle soumission à des devoirs envers ses citoyens ?

2. Un État de droit s’impose des devoirs

Quels principes un État légitime s’oblige-t-il à observer ? Comment les formule-t-il concrètement ?

Est-il inconcevable que l’État soit condamné par la justice s’il ne remplit pas ses missions ?

3. L’État est une communauté de citoyens

Au nom de quoi peut-on exiger de l’État qu’il fournisse certaines prestations et qu’il assure certains services ?

Faut-il pour autant tout attendre de l’État ?

Les titres en couleurs et les indications entre crochets servent à guider la lecture, mais ne doivent en aucun cas figurer sur la copie.

Introduction

[Définition des termes du sujet] L’État est un ensemble d’institutions organisant une société dotée d’un territoire et d’un gouvernement indépendants. Nous, les citoyens, avons le devoir d’obéir aux lois sous peine de sanctions. Mais, en retour, nous avons des droits. [Problématique] Dès lors, l’État nous doit-il quelque chose ? Jusqu’où s’étendent les missions de l’État et comment­ s’instaure un juste rapport entre l’individu et la communauté, où chacun rend à l’autre ce qui lui est dû ? [Annonce du plan] A priori, c’est plutôt nous qui sommes redevables à l’État que l’inverse. Mais on verra aussi que l’État doit à ses citoyens de garantir leurs droits. On se demandera enfin si cela oblige l’État à nous fournir des services et prestations.

1. L’État ne nous doit rien

A. Nous devons notre vie à l’État

L’idée que l’État nous doit quelque chose est paradoxale, car on imagine sans peine ce qui se passerait si l’État n’existait pas. Dans un « état de nature » où il n’y aurait pas de lois ni de force publique, régnerait comme dit Hobbes une « guerre de chacun contre chacun ». C’est à l’État que nous devons notre sécurité et notre prospérité : sans lui, ce ne serait que brigandage et violence.

C’est donc l’individu qui est redevable à l’État et non l’inverse. Platon le montre avec la « prosopopée des lois » : Socrate se voit rappeler qu’on doit à la Cité le même respect qu’à ses parents, car c’est en son sein qu’on a pu venir au monde, recevoir une éducation, fonder une famille. Le citoyen a donc des devoirs, en premier lieu d’obéir aux lois, mais aussi de défendre l’État s’il est en danger.

B. L’État est souverain

Selon Hobbes, les hommes sortent de l’état de nature par un pacte (« contrat social ») dans lequel ils s’engagent à obéir sans condition au souverain. L’État est comparable à un « dieu mortel » doté d’un pouvoir absolu. Le souverain étant par définition celui qui décide, il n’est formellement engagé à rien envers ses sujets. Tacitement, on attend cependant de lui qu’il assure la sécurité et le bien public, ce qu’il a de toute façon intérêt à faire sous peine d’être destitué.

On pourrait alors en déduire, comme Machiavel, que le seul devoir d’un prince est d’être efficace. La vertu politique est distincte de la vertu morale : un prince qui se montrerait trop sincère, généreux ou clément à l’égard de ses sujets conduirait l’État à sa perte. Il doit au contraire cultiver la ruse et la dissimulation, et se faire craindre tout en évitant d’être détesté.

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citation

« Comme [les hommes] sont méchants et qu’ils ne tiendraient la parole qu’ils t’ont donnée, toi non plus tu n’as pas à tenir celle que tu leur as donnée. » (Machiavel, Le Prince)

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citation

« Tout ce que l’homme est, il le doit à l’État. » (Hegel, La Raison dans l’histoire)

[Transition] La souveraineté et la « raison d’État » confirment que l’État ne nous doit rien et que nous lui devons tout. Pour autant, le respect de certains principes ne s’impose-t-il pas à lui ?

2. Un État de droit s’impose des devoirs

A. L’État républicain est fondé sur des principes

à noter

La constitution de la Ve République proclame l’attachement du peuple français aux droits de l’homme : il est donc du devoir de la France de les respecter et de les promouvoir dans le monde.

Un État républicain n’est fondé ni sur la force, ni sur une volonté arbitraire, mais sur des principes de justice. Kant les énumère : liberté des citoyens, soumission à la loi, égalité devant la loi. L’État s’impose à lui-même certains devoirs en se donnant une constitution qu’il s’interdit de transgresser ; cet engagement perdure au-delà des changements de gouvernement.

Une décision qui ne peut souffrir d’être rendue publique étant suspecte, Kant dit que l’État doit la vérité aux citoyens. Cette « règle de publicité », ou devoir de transparence, se double d’un devoir d’exemplarité chez les personnes incarnant l’État (élus, ministres, fonctionnaires…). Kant ajoute que l’État a des devoirs non seulement à l’égard de ses ressortissants, mais aussi à l’égard des étrangers présents sur son sol : aucun « citoyen du monde », où qu’il soit, ne doit être traité arbitrairement.

B. L’État de droit se soumet à la justice

L’État doit être impartial, et se soumettre à des décisions de justice qui le condamnent s’il ne l’a pas été. Il doit par exemple indemniser un citoyen s’il l’a injustement privé de liberté ou lésé d’une manière ou d’une autre (discriminations, favoritisme, etc.). Il a un devoir de neutralité religieuse dans une république laïque. Mais pour s’assurer qu’il accomplisse ses devoirs, il faut une justice indépendante du pouvoir politique.

Ainsi, le libéralisme fondé par Locke affirme que l’individu possède des droits naturels qui imposent des limites à l’exercice du pouvoir. En effet, bien que l’État offre une protection à ses citoyens, il peut devenir pour eux une menace s’il est trop puissant. Les droits civils et politiques, ou « droits-libertés », définissent donc la possibilité d’accomplir un certain nombre d’actions sans que l’État puisse les empêcher.

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citation

« C’est donc une erreur de penser que le pouvoir suprême ou législatif d’une république peut faire tout ce qu’il veut […]. » (Locke, Second Traité du gouvernement civil)

[Transition] L’État a le devoir de garantir nos droits fondamentaux. Mais cela n’implique-t-il pas de sa part un certain nombre de prestations et de services ?

3. L’État est une communauté de citoyens

A. L’État nous doit des services et des prestations

Aux « droits-libertés » doivent s’ajouter des « droits-créances », c’est-à-dire des droits sociaux garantissant que les premiers ne restent pas seulement formels : par exemple, la liberté d’opinion ne peut être effective sans un droit à l’éducation. Ainsi, un État doit offrir à ses citoyens des services publics et des prestations sociales à la hauteur de la mission qui lui est assignée ou des engagements qu’il a pris.

définitions

Les « droits-libertés » assurent à l’individu la possibilité d’agir sans être entravé par l’État. Les « droits-créance » le fondent à revendiquer légitimement un service ou une prestation de sa part.

Selon la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, toute personne a droit à la sécurité sociale et à « un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille », ainsi qu’un droit à l’éducation et à la culture. Le texte n’est pas reconnu par tous les pays et n’a pas de valeur juridique contraignante, mais il confirme qu’un État doit protéger les plus fragiles et favoriser l’épanouissement de la personnalité humaine.

B. Il ne faut pas pour autant tout attendre de l’État

On ne doit pas pour autant attendre de l’État qu’il prenne tout en charge, sous peine de devenir des sujets passifs et irresponsables. Pour Kant, l’État doit gouverner selon la justice et non selon la bienveillance. Un gouvernement « paternaliste », qui traiterait ses citoyens comme des enfants, serait la pire des tyrannies car il s’immiscerait dans la vie privée des individus sous prétexte de faire le bonheur du peuple.

De plus, l’État n’est pas une institution étrangère à nous ni un instrument dont on se sert pour son profit. Selon Rousseau, il n’existe que par l’engagement renouvelé de ses citoyens dans une aventure commune­ et solidaire. Cela se concrétise notamment par la participation à la vie publique et la contribution par l’impôt. Nous sommes l’État, nous le faisons vivre à chaque instant et cela nous confère des responsabilités, à commencer par celle de ne pas le mettre entre de mauvaises mains.

Conclusion

L’État nous doit le respect de nos droits fondamentaux et l’accomplissement de ses missions de service public et de protection sociale. Cependant, on ne doit pas pour autant le considérer comme notre débiteur, mais comme l’agent d’une solidarité entre les citoyens.

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