Annale corrigée Dissertation

L'État, seul acteur de la construction des mémoires ?

France métropolitaine, septembre 2022

dissertation

L’État, seul acteur de la construction des mémoires ?

2 heures

10 points

Intérêt du sujet • Ce sujet mobilise une notion clé du thème 3 et peut s’appuyer sur les nombreux exemples étudiés dans l’axe 1 et l’objet conclusif. Vos qualités de synthèse vous aideront à démontrer que l’État participe à l’élaboration des mémoires, mais n’est pas seul dans cette démarche.

 

L’État, seul acteur de la construction des mémoires ?

 

Les clés du sujet

Analyser le sujet

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Dégager la problématique

Le sujet invite à s’interroger sur le rôle de l’État dans la construction des mémoires. Il s’agit de montrer que l’État est confronté à d’autres acteurs qui participent aussi à ce processus. Leurs relations contribuent à faire émerger une mémoire collective apaisée.

En quoi la construction des mémoires est-elle le fruit de relations complexes entre de multiples acteurs ?

Construire le plan

Tableau de 3 lignes, 2 colonnes ;Corps du tableau de 3 lignes ;Ligne 1 : I. L’État cherche à construire une mémoire officielle…; Pourquoi les États cherchent-ils parfois à imposer leur vision d’événements du passé ?Pourquoi les politiques peuvent-ils faire le choix d’oublier certains évènements ?Comment, au contraire, mettent-ils en avant certains faits dont ils veulent que la société se souvienne ?; Ligne 2 : II. … mais les acteurs de la construction des mémoires sont multiples…; Quels autres acteurs participent à la construction des mémoires ?Les historiens et les juges ont-ils un rôle à jouer ?; Ligne 3 : III. … et les mémoires évoluent en fonction des relations que ces acteurs entretiennent; Quelles tensions existent entre les différents acteurs qui construisent les mémoires ?Pourquoi et comment peuvent-ils être amenés à coopérer ?;

Les titres et les indications entre crochets ne doivent pas figurer sur la copie.

Introduction

[Accroche] De nombreux pays sont agités par des polémiques mémorielles à propos d’événements survenus dans le passé, souvent des guerres ou des massacres. [Présentation du sujet] De fait, la mémoire − c’est-à-dire la reconstruction affective et subjective du passé − suscite des divisions, et les pouvoirs publics sont tentés d’en contrôler l’écriture. Pourtant, la mémoire est par essence plurielle et évolutive, et met en jeu de nombreux acteurs. ­[Problématique] En quoi la construction des mémoires est-elle le fruit de relations complexes entre de multiples acteurs ? [Annonce du plan] Si l’État cherche à construire une mémoire officielle [I], il est confronté à d’autres acteurs qui portent une pluralité de mémoires [II]. Les relations complexes entre l’État et ces différents acteurs contribuent alors à faire évoluer les mémoires [III].

Le secret de fabrication

Quand un sujet est à la forme interrogative, votre 1re partie doit répondre par l’affirmative à la question posée. Votre 2e partie nuancera le propos et la 3e proposera une synthèse.

I. L’État cherche à construire une mémoire officielle

1. L’écriture d’une mémoire officielle au sortir des conflits

Après un conflit majeur, les États ont pour objectif de ressouder la nation autour d’une mémoire commune. C’est le temps de la construction d’une mémoire officielle qui peut parfois aboutir à l’élaboration d’un mythe.

Les explications complexes sont alors souvent remplacées par des schémas simplistes. Ainsi, après 1918, la propagande française défend l’idée de la seule culpabilité allemande dans le déclenchement du conflit. En Allemagne, la théorie d’un pays encerclé en 1914, victime d’une France belliqueuse puis d’un traité de paix très sévère (Versailles, 1919), favorise la montée du nazisme.

En 1945, la même volonté de cohésion nationale pousse le général de Gaulle à présenter l’image d’une France unanimement résistante. Ce « mythe résistancialiste » domine la mémoire de la Seconde Guerre mondiale en France jusqu’aux années 1970. De la même façon, en Algérie, les autorités glorifient, après 1962, le rôle du FLN dans une « guerre de libération ».

2. L’organisation de l’oubli

La mise en place d’une mémoire officielle nécessite aussi de passer sous silence certains faits historiques au nom de la réconciliation nationale. C’est particulièrement le cas après la Seconde Guerre mondiale ou la guerre d’Algérie.

C’est ainsi que des lois d’amnistie évitent à la République française de devoir assumer la collaboration, ce que l’historien Henry Rousso nomme le « syndrome de Vichy ». C’est la même logique qui prévaut après la guerre d’Algérie lorsque la France organise l’oubli officiel d’une guerre « qui ne dit pas encore son nom » comme l’affirme Benjamin Stora.

conseil

N’hésitez pas à nommer les historiens spécialistes de la question étudiée. Cela sera valorisé par votre correcteur.

3. La construction d’une mémoire collective par une politique mémorielle

Cependant, les versions officielles de l’histoire ne peuvent perdurer quand le travail des historiens est rendu possible et que la connaissance progresse. Les États cherchent alors à apaiser les mémoires par des politiques mémorielles (commémorations, mémoriaux, cérémonies) qui cherchent à instaurer une mémoire collective plus proche de la vérité historique.

Ce « devoir de mémoire » peut parfois s’accompagner de lois mémorielles qui ont pour but d’exprimer un point de vue officiel sur un événement. Ainsi, en 1990, la loi Gayssot fait du négationnisme un délit en France. En 2001, la loi Taubira qualifie la traite négrière de crime contre l’humanité.

[Transition] Le rôle de l’État est prépondérant dans la construction mémorielle. Cependant, il est concurrencé par l’implication d’autres acteurs dans cette entreprise.

II. Les mémoires sont cependant construites par d’autres acteurs

1. Le rôle des individus et des groupes mémoriels

Avant tout constituée des souvenirs d’un individu, la mémoire est émotionnelle et se transmet au sein d’une famille, d’une société. Les témoins communiquent leur expérience, mais rarement juste après les faits : souvent, les souvenirs douloureux sont d’abord refoulés.

La mémoire peut se transmettre au sein de groupes mémoriels spécifiques : les Arméniens, les Juifs et les Tsiganes, victimes de génocide ; mais aussi les harkis, les pieds-noirs, les appelés du contingent, les Algériens, les victimes de la guerre d’Algérie… Tous ces groupes véhiculent des mémoires, et ces mémoires peuvent s’opposer.

2. Le rôle des historiens et des juges

Le rôle des historiens consiste à faire émerger la vérité, à replacer les événements dans leur contexte. Ils fondent leurs recherches sur des sources variées, comme les témoignages, les archives publiques et les travaux de leurs collègues.

Les grands procès qui se tiennent après les conflits ou les crimes de masse, comme le procès de Nuremberg (1945-1946) ou celui d’Adolf Eichmann (1961), sont aussi l’occasion d’écrire une mémoire collective.

[Transition] Les mémoires sont donc plurielles, façonnées par de multiples acteurs. Ceux-ci entretiennent des relations complexes, entre tensions et coopérations, et la nature des mémoires qu’ils construisent évolue.

III. L’évolution des mémoires, fruit des relations entre les différents acteurs qui la construisent

1. Les tensions entre l’État, les historiens et les groupes mémoriels

Au sortir des conflits, lorsque les États construisent une mémoire officielle, l’information est contrôlée et la propagande empêche le travail des historiens. Ceux-ci n’ont pas accès aux archives. Pendant cette période d’amnésie, les témoins ne sont pas écoutés.

Puis, à mesure que les historiens dévoilent la vérité historique, le discours officiel s’efface. Vient alors le temps du réveil mémoriel, ou anamnèse. L’État se trouve confronté aux pressions des différents groupes mémoriels qui demandent justice et réparation pour les souffrances endurées.

Enfin, quand une mémoire collective semble s’imposer et que l’État multiplie les commémorations, on entre dans l’hypermnésie. L’État se heurte alors aux historiens qui l’accusent de favoriser une approche émotionnelle du passé. Ainsi, l’association de l’historien Pierre Nora, « Liberté pour l’histoire », dénonce en 2005 la tentation du pouvoir de vouloir juger l’histoire, de hiérarchiser les victimes.

à noter

Des tensions existent aussi entre les historiens et les juges. Par exemple, après le génocide au Rwanda, les historiens ont dénoncé l’instrumentalisation de la justice à des fins de réconciliation nationale.

2. Des acteurs qui coopèrent pour apaiser les mémoires

Les polémiques mémorielles n’ont pas disparu, mais les lois mémorielles sont aujourd’hui moins fréquentes. Les historiens ont obtenu que celle de 2005 demandant de rappeler « les aspects positifs de la colonisation française » soit abrogée.

Afin d’apaiser les conflits mémoriels, la France a reconnu officiellement l’implication des autorités dans le génocide des Juifs (1995) et l’existence d’une guerre en Algérie (1999). En 2020, le président Macron a demandé à Benjamin Stora de proposer des mesures afin de réconcilier les mémoires sur la colonisation et la guerre d’Algérie des deux côtés de la Méditerranée.

Conclusion

[Réponse à la problématique] La construction des mémoires est parfois source de débats. Mais dans des sociétés pacifiées, elle oppose de moins en moins les historiens et l’État et une mémoire collective, apaisée, s’impose. [Ouverture] Ce n’est toutefois pas le cas dans les sociétés profondément divisées ou dans les pays en guerre. Ainsi, en Russie, la mémoire de la Seconde Guerre mondiale est instrumentalisée par le pouvoir pour justifier l’invasion en Ukraine en février 2022.

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