France métropolitaine, mai 2022 • Jour 1
Sprint final
hggspT_2205_07_01C
35
France métropolitaine, mai 2022 • Jour 1
étude critique de documents
L’évolution des formes de la guerre
Intérêt du sujet • Ce sujet vous permettra de réinvestir les notions vues dans l’introduction du thème 2 (typologie des conflits actuels), ainsi que tout l’axe 1 (dimension politique de la guerre). Un bel exemple de sujet de synthèse !
En analysant les documents, en les confrontant et en vous appuyant sur vos connaissances, caractérisez les différentes formes de guerres.
Document 1
ph © akg-images/Interfoto/Bildarchiv Hansmann
Estampe de Johann Lorenz Rugendas (1775-1826), La Grande Bataille d’Austerlitz, début du xixe siècle.
Document 2
Composé en bonne partie de moudjahidines1 étrangers ayant prêté allégeance à Oussama Ben Laden, mais contrôlé en Irak même par le Jordanien Abou Moussad Al-Zarkaoui, AQI (Al-Qaida en Irak) est à l’origine d’une campagne d’une extrême violence contre les forces de la coalition, le gouvernement irakien et les chiites du pays. Son objectif avoué consiste à faire voler en éclats le nouvel Irak en vue d’y instituer un califat. Par habitude, nous avons entrepris de cartographier l’organisation en lui attribuant une structure militaire traditionnelle, avec ses échelons et ses rangs. Au sommet se trouvait Al-Zarkaoui, suivi d’une succession de lieutenants et de fantassins. Cependant, plus nous y réfléchissons, plus nous constatons que ce modèle ne fonctionnait pas. Les lieutenants d’AQI n’attendaient pas les directives de leurs supérieurs pour agir, et encore moins les ordres de Ben Laden. Les décisions se prenaient de façon décentralisée, mais rapide, puis étaient transmises horizontalement à travers l’organisation. Les combattants d’Al-Zarkaoui étaient bien adaptés aux régions qu’ils fréquentaient, comme Falloujah et Al-Qaim2, dans la province orientale d’Anbar et, grâce à la technologie moderne, ils entretenaient des liens étroits avec le reste de la province et du pays. Argent, propagande et information circulaient à un rythme alarmant, permettant une coordination rapide et efficace. Nous les voyions changer de tactique (passer d’attaques à la roquette à des attentats suicides, par exemple) quasi simultanément dans différentes villes. Ils exécutaient une funeste chorégraphie dont la structure, souvent méconnaissable, était en constante évolution.
Propos tenus en 2011 dans la revue Foreign Policy par le commandant des forces spéciales américaines Stanley McChrystal (2003-2008), in Jérémy Scahill, Dirty Wars. Le Nouvel Art de la guerre, 2014.
1. Combattants engagés dans le djihad.
2. Villes d’Irak.
Les clés du sujet
Identifier le document
Comprendre la consigne
L’étude de documents concerne les formes de la guerre, sujet théorisé par Clausewitz, qui distingue la guerre réelle de la guerre absolue.
Vous devez mettre en relation les deux documents et les analyser ensemble. Confrontez chaque exemple à la théorie de Clausewitz et montrez ensuite que cette théorie est en partie dépassée aujourd’hui.
Dégager la problématique et construire le plan
Le modèle de Clausewitz propose une grille de lecture des guerres, que ce soit celles du passé, comme les guerres napoléoniennes ou des guerres plus actuelles, comme celles qui sont menées par des organisations terroristes. Cependant, cette grille de lecture ne concerne que les guerres régulières, interétatiques, et elle perd de sa pertinence pour analyser les guerres d’aujourd’hui.
La problématique peut être celle-ci : l’analyse de Clausewitz, construite à partir de l’observation des guerres d’hier, est-elle toujours pertinente pour étudier les conflits contemporains ?

Les titres et les indications entre crochets ne doivent pas figurer sur la copie.
Introduction
[Accroche] Dans son ouvrage posthume, De la guerre, publié à partir de 1832, Carl von Clausewitz affirme que celle-ci est un « caméléon » puisqu’elle change sans cesse de formes. Sa théorie militaire reste aujourd’hui une référence pour étudier les conflits de l’époque moderne mais aussi les guerres actuelles. [Présentation du sujet] Le document 1 est un tableau historique du peintre bavarois Johann Lorenz Rugendas. Il représente la bataille d’Austerlitz durant les guerres napoléoniennes. Le second document est un extrait d’un ouvrage de Jérémy Scahill paru en 2014 dans lequel sont cités des propos tenus en 2011 par Stanley McChrystal, commandant des forces spéciales américaines. Il décrit les mutations de l’organisation Al-Qaida en Irak (AQI), plusieurs années après l’intervention dans le pays d’une coalition internationale menée par les États-Unis. [Problématique] On pourra donc se demander si l’analyse de Clausewitz, construite à partir de l’observation des guerres napoléoniennes, est toujours pertinente pour étudier les conflits irréguliers contemporains. [Annonce du plan] Pour ce faire, nous montrerons que les formes de la guerre, théorisées par Clausewitz, correspondent, en partie, aux formes des conflits présentés par les documents [I], puis nous présenterons la remise en question du modèle clausewitzien par la multiplication des guerres irrégulières et/ou asymétriques [II].
conseil
Lorsqu’une interview est citée dans un ouvrage, présentez brièvement cette source. Ce sont les propos cités qui sont analysés ; l’auteur du document est donc celui qui s’exprime.
I. Des formes de guerres clausewitziennes ?
Le secret de fabrication
Il est important de partir de l’analyse que Carl von Clausewitz fait des formes de la guerre et d’y revenir régulièrement dans votre devoir. Elle est le fil directeur de votre réflexion.
1. Les guerres napoléoniennes selon le modèle clausewitzien
Clausewitz distingue la guerre réelle de la guerre absolue. Selon lui, la guerre réelle s’adapte à un contexte politique particulier ; elle fait face à des difficultés matérielles, des imprévus. Le stratège doit prendre en compte l’objectif final du combat, qui est toujours politique, et les moyens qu’il est prêt à mettre en œuvre pour l’atteindre. Pour Clausewitz, la guerre absolue vise au contraire à l’anéantissement de l’adversaire, car les objectifs sont davantage idéologiques et impliquent une montée « aux extrêmes ».
La bataille d’Austerlitz, en 1805, correspond en partie au concept de guerre réelle. Cette bataille, qui oppose l’Empire français à une coalition austro-russe, reste l’une des plus grandes victoires de Napoléon ; il y affirme sa puissance et l’influence de la France sur l’Europe. Sur l’estampe il apparaît sur son cheval blanc, sabre levé mais sans adversaires au sol. L’objectif est atteint, la bataille s’achève.
Néanmoins, les guerres napoléoniennes, parce qu’elles impliquent des enjeux idéologiques – faire triompher les idéaux révolutionnaires – et parce qu’elles mettent en action des citoyens-soldats, favorisent une montée « aux extrêmes ». La violence des combats est suggérée sur le document 1 par les colonnes de fumée qui se détachent derrière la Grande Armée.
2. Le terrorisme islamiste à l’épreuve du modèle de Clausewitz
Après 2001, la nébuleuse Al-Qaida est affaiblie. Elle multiple la création de groupes associés, dont Al-Qaida en Irak (AQI). Les « moudjahidines » cherchent à déstabiliser l’Irak après l’intervention occidentale de 2003 (document 2). À la date où le commandant des forces spéciales américaines tient ces propos, les troupes d’AQI se fondent progressivement dans celles de l’État islamique et souhaitent établir un « califat » : les objectifs sont aussi territoriaux.
à noter
Al-Qaida en Irak, créée en 2004, se dissout en 2007 puisque ses principaux combattants ont rejoint Daech.
AQI mène également une « guerre absolue », car elle cherche l’élimination de ses adversaires : « les forces de la coalition », menée par les États-Unis, le gouvernement irakien et les chiites du pays. Le djihad a des motivations idéologiques : faire triompher l’islamisme radical, ce qui explique sa violence. Néanmoins, comme dans la « guerre réelle », le terrorisme s’adapte au contexte en changeant de moyen d’action, « nous les voyions changer de tactique » (document 2, l. 21-22), il cherche « une coordination rapide et efficace » (l. 21). Il mène une « petite guerre », selon les mots de Clausewitz : une guérilla, harcelant ses ennemis par des embuscades et des attentats.
[Transition] La théorie de Clausewitz permet donc de caractériser certaines formes de la guerre. Cependant, elle n’est pas totalement opérante concernant la menace terroriste, dont la nature n’est pas étatique et dont les acteurs ne sont pas conventionnels.
II. Un modèle clausewitzien remis en cause
1. D’une guerre régulière à une guerre irrégulière
La bataille d’Austerlitz voit s’affronter des États dont les forces sont relativement équilibrées. Les guerres napoléoniennes se déroulent de 1799 à 1815, car il faut plusieurs campagnes militaires à Napoléon pour construire un vaste empire, et plusieurs coalitions contre lui pour aboutir à sa dislocation. La guerre est ici régulière et symétrique.
En Irak, AQI mène une guerre asymétrique contre les forces américaines et le nouvel État irakien, beaucoup plus puissants que quelques milliers de combattants. Il s’agit aussi d’une guerre hybride, car AQI combine des modes d’action réguliers (« attaques à la roquette », emploi d’artillerie) et des modes d’action irréguliers comme « des attentats suicides » (l. 22). Les attentats sont médiatisés sur Internet, à des fins de propagande et pour terroriser l’ennemi.
mot clé
La guerre hybride est une stratégie qui allie guerre conventionnelle, guerre asymétrique et cyberguerre.
2. Des acteurs non conventionnels
Sur l’estampe de Rugendas, on aperçoit les fantassins et les cavaliers derrière l’empereur victorieux : les acteurs de la guerre sont des armées régulières. Au moment de son essor, Al-Qaida apparaît comme une organisation fonctionnant aussi sur ce modèle avec « une structure militaire traditionnelle, avec ses échelons et ses rangs » (l. 8-9), mais en Irak, l’organisation change après 2003 et « les décisions se prenaient de façon décentralisée » (l. 14).
Le génie militaire du chef ne joue plus un rôle central : « Les lieutenants d’AQI n’attendaient pas les directives de leurs supérieurs pour agir, et encore moins les ordres de Ben Laden » (l. 12-14), dirigeant d’Al-Qaida. Les combattants viennent de plus en plus de l’étranger et notamment d’Europe.
Conclusion
[Réponse à la problématique] Ainsi, les deux documents proposés soulignent bien les points communs et les différences des formes de la guerre à des époques différentes. Pour Clausewitz, elle est soit réelle, soit absolue, mais il s’agit toujours de « la continuation de la politique par d’autres moyens ». Néanmoins, les guerres actuelles menées par le terrorisme brouillent cette grille de lecture. [Ouverture] La menace terroriste subsiste et change de forme. Les terroristes étant privés de moyens de grande envergure, ce sont aujourd’hui des attaques de « loups solitaires » qui se multiplient. Or, comme le disait Clausewitz, c’est à ses effets politiques que l’on évalue le résultat d’une guerre.