La célébration du monde
écrit
22
fra1_2200_00_05C
Sujet d’écrit • Dissertation
La beauté de « l’ordinaire » dans Sido et Les Vrilles de la vigne
Intérêt du sujet • Ce sujet va vous permettre de réfléchir à la dimension poétique des récits de Colette qui fait du quotidien une source d’émerveillement et de jubilation.
« C’est l’ordinaire qui me pique et me vivifie », écrit Colette dans Le Fanal bleu.
Comment Colette célèbre-t-elle la beauté de « l’ordinaire » dans Sido et Les Vrilles de la vigne ?
Vous répondrez à cette question dans un développement organisé en vous appuyant sur les œuvres de Colette au programme, sur les textes que vous avez étudiés dans le cadre du parcours associé et sur votre culture personnelle.
Les clés du sujet
Analyser le sujet
Formuler la problématique
Quels sont la place et le traitement de « l’ordinaire » dans Sido et Les Vrilles de la vigne ?
Construire le plan
Les titres en couleur ou entre crochets ne doivent pas figurer sur la copie.
Introduction
[Accroche] Écrivain, journaliste et artiste de music-hall, divorcée et ouvertement bisexuelle, Colette est une femme originale pour son époque.
[Explication du sujet] Pourtant, dans Le Fanal bleu, elle écrit : « C’est l’ordinaire qui me pique et me vivifie. » Curieuse de tout, elle observe minutieusement le monde qui l’entoure et en souligne la beauté. À travers son regard et sous sa plume, le quotidien acquiert un caractère extraordinaire.
[Problématique] On peut ainsi s’interroger sur la place et le traitement de « l’ordinaire » dans l’œuvre de Colette, à travers les deux récits étudiés : Sido et Les Vrilles de la vigne.
[Annonce du plan] Nous verrons dans un premier temps que l’auteure puise son inspiration dans la réalité quotidienne qui l’entoure. Puis nous analyserons comment elle la transfigure, créant ainsi une émotion poétique.
I. Le monde de Colette, source d’inspiration
Le secret de fabrication
Dans cette partie, intéressez-vous à toutes les sortes d’« ordinaire » et montrez que Colette puise son inspiration dans des réalités très diverses, mais toujours proches et quotidiennes.
1. La nature et les paysages environnants
Si « l’ordinaire » « pique et vivifie » Colette, c’est parce qu’elle l’observe avec minutie : elle porte sur la nature un regard aiguisé et enthousiaste hérité de sa mère.
à noter
Le sujet part d’une citation. Pensez à y faire référence dans votre copie.
« Regarde », « vois » dit Sido à sa fille devant les plantes du jardin. « Écoute », lui dit-elle quand souffle le vent d’ouest. Chaque détail végétal – la barbe ronde des pensées ou le nombre de robes de l’oignon – est sujet d’émerveillement.
Dans Les Vrilles de la vigne, la narratrice porte un regard teinté de nostalgie et de sensualité sur des paysages plus vastes : la mer, inquiétante et mystérieuse dans « Partie de pêche » ; la flore niçoise luxuriante dans « Printemps de la Riviera » ; le pays d’enfance de « Jour gris ».
Ce goût pour la nature se retrouve dans de nombreux romans de Jean Giono, comme Le Chant du monde (1934), où les paysages font l’objet de descriptions particulièrement sensuelles et détaillées.
2. Les « bêtes »
Les « bêtes » comme les appelle Colette dans « Dialogue de bêtes », animaux sauvages ou familiers, sont aussi source d’inspiration.
Sido sait prédire le temps en regardant la chatte ; absorbée par la contemplation d’un merle glouton, elle oublie de protéger ses cerises.
Cette proximité avec les bêtes, héritée de son enfance, permet à Colette, dans Les Vrilles de la vigne, de donner la parole aux animaux qui l’entourent. Nonoche est célébrée dans ses activités félines ; les conversations entre Toby-Chien et Kiki-la-Doucette dévoilent leur quotidien aux côtés de la narratrice. L’indépendance du chat, la fidélité du chien prennent dans ces dialogues une dimension nouvelle.
3. La famille
On trouve dans Sido de très beaux portraits de famille.
La mère est le personnage le plus poétique : elle vit en osmose avec son jardin, interprète les signes donnés par les plantes ou les animaux et connaît les mystères du vent. Colette admire sa tendance à apprécier la nature environnante dans ses plus infimes détails.
Le père est célébré dans sa modestie. Héros de guerre, il ne parle jamais de ses exploits, et c’est l’image mélancolique d’un écrivain manqué qui s’impose dans le quotidien.
Surnommés « les sauvages », les frères sont de vrais campagnards. Colette est particulièrement émue par la sensibilité du cadet, Léo, avec qui elle partage la nostalgie du pays natal.
4. La vie quotidienne
Colette porte un regard aiguisé sur les réalités prosaïques de la vie provinciale : la jovialité forcée des parties de campagne en famille, l’étourdissement de Sido au retour de ses brèves visites à Paris ou les activités des voisins dans les jardins.
Dans Les Vrilles de la vigne, le quotidien est aussi celui de l’artiste de music-hall. Non pas l’univers extraordinaire de la scène, mais les moments banals d’attente dans les loges (« Dialogue de bêtes ») ou de répétitions des artistes (« Music-halls »), que Colette rend piquants.
info
Les œuvres de Colette ont une dimension autobiographique sans en respecter le pacte : l’auteure dit « je », s’inspire de son vécu, mais le transforme aussi parfois.
[Transition] Colette porte sur le monde un regard affûté et émerveillé. Elle révèle la poésie du quotidien.
II. « L’ordinaire » de Colette, un sujet poétique
1. Des descriptions pour tous les sens
Les sensations « vivifient » Colette et animent ses descriptions.
Son écriture est impressionniste : à la manière des peintres, elle procède par touches de couleurs. Elle détaille le rose des fleurs, le jaune, le rouge et le violet de la lumière du jardin de Sido. Dans « Printemps de la Riviera », les costumes du carnaval de Nice forment un tourbillon de couleurs mauves et jaunes qui donne le vertige.
Le souffle du vent, le crépitement du feu de cheminée ou les paroles de colère du Capitaine sont pour Colette de véritables chants. Elle se grise des odeurs du jardin ou de la forêt. Enfant, elle savoure les fruits d’été cueillis avant l’aube, en frissonnant à la caresse du brouillard matinal. Colette s’inscrit dans la lignée d’André Gide qui, dans Les Nourritures terrestres, appelle à l’éveil des sens, dans une communion avec la nature.
L’auteure établit des correspondances entre les sens. La description du pays natal de « Jour gris » multiplie les synesthésies, en invitant à s’enivrer du « vert délicieux » de l’herbe, à respirer les fruits mûrs, à admirer le « rose brûlant » des digitales. Colette fait écho au poème de Baudelaire, « Correspondances », où « Les parfums, les couleurs et les sons se répondent ».
mot clé
La synesthésie désigne une association de plusieurs perceptions sensorielles.
2. Des images poétiques
Dans ses œuvres, Colette développe de multiples analogies qui transfigurent « l’ordinaire ».
mot clé
L’une des fonctions de la poésie est de transfigurer, c’est-à-dire de transformer en donnant à voir une beauté nouvelle.
La nature se métamorphose sous sa plume. La végétation du jardin d’Adrienne devient une chevelure sauvage. Le brouillard de « Jour gris » est tour à tour spectre, nuage, serpent, femme ou cheval.
Les allégories donnent de la profondeur au texte, tel le rossignol des « Vrilles de la vigne » qui chante la nuit pour rester éveillé et éviter les pièges de la vigne qui pousse. De même, Colette fait résonner sa voix dans une nuit métaphorique : elle se libère des liens qui l’étouffent, rejette une quiétude qui l’éloigne de ce qu’elle est vraiment, et réalise son ambition de « tout dire », notamment ce qu’on cache. Les vrilles de la vigne seraient-elles le poids des conventions sociales qui l’enfermaient dans son statut d’épouse ?
3. Aux limites du poème en prose
Colette est souvent plus poétesse que narratrice.
La forme fragmentaire adoptée dans Les Vrilles de la vigne rapproche certains textes du poème en prose. Dans « Nuit blanche », « Jour gris », et « Le Dernier Feu », le récit disparaît complètement au profit d’un discours lyrique adressé à l’être aimé. Les descriptions de la chambre, du paysage, du jardin ou du feu revêtent des fonctions très poétiques : célébrer l’amour, la beauté du monde ou exprimer la mélancolie.
L’écriture de Colette se caractérise par sa musicalité. Le titre Les Vrilles de la vigne vibre sous l’allitération en v et l’assonance en i, et le texte liminaire du recueil développe un jeu de sonorités qui rend sensible le chant du rossignol. Colette prend aussi plaisir à énumérer les noms de fleurs ou de plantes dans Sido, employant parfois un vocabulaire botanique spécifique, non pour donner un caractère didactique au texte, mais par pur plaisir des mots.
Des points en +
J. Kristeva fait ainsi l’éloge de Colette dans Le Génie féminin (tome 3) : « Son écriture sensuelle, gustative et sonore, parfumée et tactile, est une pensée qui s’est faite chair : Colette […] construit un alphabet du monde sensible en brodant et en mangeant le tissu du français. »
Conclusion
[Synthèse] Héritière de la sensibilité de sa mère, Colette s’émerveille devant chaque détail du quotidien. Son amour des mots, son goût pour les correspondances, ses élans lyriques lui permettent de transfigurer l’ordinaire pour en faire un sujet poétique. [Ouverture] Colette annonce ainsi les courants contemporains qui nous invitent à considérer le monde vivant comme un tout où plantes, animaux et humains sont égaux et solidaires.