La Bruyère, Les Caractères
oral
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Sujet d'oral • Explication & entretien
La Bruyère, Les Caractères, livre V, 9
1. Lisez le texte à voix haute.
Puis expliquez-le.
Document
9 (VIII)
Arrias a tout lu, a tout vu, il veut le persuader ainsi ; c'est un homme universel1, et il se donne pour tel : il aime mieux mentir que de se taire ou de paraître ignorer quelque chose. On parle à la table d'un grand2 d'une cour du Nord : il prend la parole, et l'ôte à ceux qui allaient dire ce qu'ils en savent ; il s'oriente dans cette région lointaine comme s'il en était originaire ; il discourt des mœurs de cette cour, des femmes du pays, de ses lois et de ses coutumes ; il récite des historiettes qui y sont arrivées ; il les trouve plaisantes, et il en rit le premier jusqu'à éclater3. Quelqu'un se hasarde de le contredire, et lui prouve nettement qu'il dit des choses qui ne sont pas vraies. Arrias ne se trouble point, prend feu au contraire contre l'interrupteur : « Je n'avance, lui dit-il, je ne raconte rien que je ne sache d'original4 : je l'ai appris de Sethon, ambassadeur de France dans cette cour, revenu à Paris depuis quelques jours, que je connais familièrement, que j'ai fort interrogé, et qui ne m'a caché aucune circonstance. » Il reprenait le fil de sa narration avec plus de confiance qu'il ne l'avait commencée, lorsque l'un des conviés lui dit : « C'est Sethon à qui vous parlez, lui-même, et qui arrive de son ambassade. »
La Bruyère, Les Caractères, livre V, 1696.
1. Un homme universel : un homme qui sait tout.
2. Un grand : un prince.
3. Jusqu'à éclater : jusqu'à éclater d'un rire retentissant.
4. Que je ne sache d'original : que je ne sache de source sûre.
2. question de grammaire.
Étudiez l'expression de la négation dans la phrase suivante : « Je n'avance, lui dit-il, je ne raconte rien que je ne sache d'original : je l'ai appris de Sethon, ambassadeur de France dans cette cour, revenu à Paris depuis quelques jours, que je connais familièrement, que j'ai fort interrogé, et qui ne m'a caché aucune circonstance. » (l. 13-17)
Conseils
1. Le texte
Faire une lecture expressive
Dans la deuxième phrase, rendez perceptible la vivacité de la scène traduite par la juxtaposition des propositions.
Faites sentir la pédanterie d'Arrias dans le passage au discours direct : « Je n'avance […] aucune circonstance. » (l. 13-17).
Ralentissez la lecture à la dernière phrase pour souligner l'effet de chute.
Situer le texte, en dégager l'enjeu
Il s'agit d'un portrait satirique, qui utilise la caricature : étudiez les moyens employés par La Bruyère pour créer cet effet.
La Bruyère utilise ici l'anecdote : montrez comment cette saynète illustre la pédanterie d'Arrias et constitue un portrait en action.
2. La question de grammaire
Vous devez relever quatre formes négatives. Pour chacune, identifiez la nature des mots de négation utilisés.
Analysez la portée de chaque négation : est-elle totale ou partielle ?
1. L'explication de texte
Introduction
[Présenter le contexte] Dans Les Caractères, collection de textes brefs de genres variés, La Bruyère peint les défauts humains, conformément à l'idéal classique qui entend « plaire pour instruire ». Il propose notamment une série de portraits satiriques acérés.
[Situer le texte] Le livre V des Caractères, intitulé « De la société et de la conversation », est l'occasion d'évoquer la vie mondaine de son époque et de dénoncer les travers de ses contemporains.
[En dégager l'enjeu] Dans le caractère 9, La Bruyère met en scène un personnage dénommé Arrias dans une conversation qui en révèle sa pédanterie.
Explication au fil du texte
Un pédant (l. 1 à 4)
L'hyperbole de la première phrase définit Arrias comme le type même du pédant : il « a tout lu, tout vu ». Le parallélisme de construction renforce la prétention à un savoir « universel ». D'emblée, la réalité de ce savoir est mise en doute puisqu'Arrias cherche à en « persuader » les autres et qu'« il se donne comme tel ». Le personnage est donc présenté, dès le début du caractère, comme quelqu'un qui feint et joue un rôle.
mot clé
Le pédant étale un savoir mal maîtrisé et suscite l'ennui. Il est une figure repoussoir à l'époque classique, qui valorise l'esprit, la vivacité et la finesse.
Dans la seconde partie de la phrase, l'utilisation du présent de l'indicatif à valeur de vérité générale et des infinitifs donne une portée universelle à ce portrait, et situe Arrias du côté du paraître (« il aime mieux mentir »).
Une conversation mondaine (l. 4 à 10)
La Bruyère met ensuite Arrias en situation, dans une saynète emblématique de la vie mondaine : une conversation « à la table d'un grand ». Le comportement du personnage, tel que dépeint par de nombreux verbes d'action (il « prend », « ôte », « s'oriente » …), permet d'illustrer et d'animer son portrait.
Le pronom personnel indéfini « on », qui ouvre ce deuxième mouvement, désigne les convives : il s'oppose au pronom « il » qui représente Arrias et qui est repris six fois. Le texte mime ainsi la manière dont le personnage monopolise « la parole ». Au type du pédant se superpose celui du « fâcheux », qui est de mauvaise compagnie et ne sait pas faire preuve de la courtoisie et de l'humilité propre à l'honnête homme.
mot clé
L'« honnête homme » du XVIIe siècle est cultivé, raisonnable ; il fait preuve de savoir-vivre et de modération en toute circonstance.
Le lexique utilisé (« discourt », « récite ») suggère qu'Arrias parle pour ne rien dire, au contraire de ceux qui auraient pu « dire ce qu'ils en savent ». C'est donc à la fois sa manière d'utiliser la parole et le contenu de son discours qui sont disqualifiés. Le terme « historiettes » renforce cette perception et la fin de la phrase (« il les trouve plaisantes ») sous-entend que seul Arrias prend plaisir et intérêt à ses propos. Il se montre donc indifférent ou insensible à ceux qui l'entourent. Le portrait du pédant se précise : Arrias veut montrer qu'il sait et les autres convives ne lui servent que de faire-valoir.
Un personnage qui se ridiculise (l. 10 à 19)
Le dernier mouvement du texte s'ouvre sur l'intervention d'un personnage (« quelqu'un »), qui se détache du groupe désigné par le « on » initial pour « contredire » le monologue d'Arrias. Le lexique employé place explicitement cet intervenant du côté de la raison et de la vérité : il « prouve nettement » à Arrias « qu'il dit des choses qui ne sont pas vraies ».
La réaction d'Arrias montre qu'il est incapable de se remettre en question et qu'il n'entend pas perdre contenance : la métaphore « [il] prend feu » indique qu'il contredit à son tour son « interrupteur ». Ce dernier terme renvoie à ce qu'Arrias pense de son interlocuteur, et témoigne de sa conception de la conversation : elle n'est pour lui qu'une occasion de « briller » devant un auditoire captif.
Formulée au discours direct, pour donner plus de vie au portrait, la réponse d'Arrias à son contradicteur fait appel à un argument d'autorité (« je l'ai appris de Sethon, ambassadeur de France »). L'accumulation d'expansions du nom « Sethon » – en particulier, la succession de trois propositions subordonnées relatives – montre la volonté d'Arrias de réduire au silence l'importun en faisant valoir ce qu'il « connaît », comme l'atteste le lexique du savoir (« interrogé », « caché »), et la proximité affichée avec celui qui lui sert d'alibi.
mot clé
L'argument d'autorité fait référence à une personne ou une œuvre à la légitimité incontestée, afin d'achever de convaincre l'interlocuteur.
La dernière phrase, qui constitue la chute de l'anecdote, ridiculise Arrias, pris en flagrant délit de mensonge. Contrastant avec le passage narratif à l'imparfait (« Il reprenait le fil de sa narration […] »), le discours direct final inverse brutalement le cours de la conversation grâce à l'intervention de « l'un des conviés » : celui-ci révèle qu'Arrias parle à celui-là même qu'il prétend connaître « familièrement » ! Cette chute comique témoigne du talent de La Bruyère qui, en quelques lignes, réussit à mettre en scène le pédant et sa punition, tout en nous faisant rire.
Conclusion
[Faire le bilan de l'explication] Dans ce portrait, Arrias apparaît comme la caricature du pédant, à l'opposé de l'idéal du « bel esprit ». Le caractère plaisant de cette anecdote à chute fait écho au projet, qui relève de l'esthétique classique, de « châtier les mœurs par le rire ».
[Mettre le texte en perspective] Cette opposition entre le pédant et le bel esprit se retrouve dans des comédies de Molière, dont Les Femmes savantes où Trissotin apparaît comme l'incarnation du pédant fâcheux et ridicule.
2. La question de grammaire
Je n'avance, lui dit-il, je ne raconte rien que je ne sache d'original : je l'ai appris de Sethon, ambassadeur de France dans cette cour, revenu à Paris depuis quelques jours, que je connais familièrement, que j'ai fort interrogé, et qui ne m'a caché aucune circonstance.
Quatre formes négatives sont employées.
Elles sont toutes construites avec l'adverbe de négation « ne » ou sa forme élidée « n' ». Cet adverbe forme une locution avec :
le pronom « rien » dans les deux premières négations, « rien » étant sous-entendu dans la première occurrence (« Je n'avance [rien] ») ;
le déterminant « aucune » dans la dernière.
Dans ce cas, il s'agit de négations partielles, puisque c'est un aspect particulier et non le fait entier qui est nié. En revanche, la portée de la négation est totale dans : « que je ne sache (pas) d'original ».
Des questions pour l'entretien
Lors de l'entretien, vous devrez présenter une autre œuvre lue au cours de l'année. L'examinateur introduira l'échange et vous posera quelques questions. Celles ci-dessous sont des exemples.
1 Sur votre dossier est mentionnée la lecture cursive d'une autre œuvre, Les Lettres persanes de Montesquieu. Pouvez-vous la présenter brièvement et en expliquer le titre ?
2 En quoi cette œuvre évoque-t-elle le thème de « La comédie sociale » ?
3 Selon vous, quel est l'intérêt de passer par un regard étranger pour faire la satire de la société française ?
4 Pouvez-vous comparer le regard porté sur leurs contemporains par La Bruyère et Montesquieu ?