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La Bruyère, spectateur de la société de son temps ?

Polynésie française, juin 2022 Dissertation

La Bruyère, spectateur de la société de son temps ?

4 heures

20 points

Intérêt du sujet • Ce sujet vous invite à rendre compte de votre lecture des Caractères en vous posant la question : un écrivain qui décrit la société de son époque peut-il rester neutre, même lorsqu’il prétend l’être ?

 

 Pensez-vous que La Bruyère n’est qu’un spectateur de la société de son temps ?

Vous répondrez à cette question dans un développement organisé, en vous appuyant sur Les Caractères livres V à X, sur les textes que vous avez étudiés dans le cadre du parcours associé et sur votre culture personnelle.

 

Les clés du sujet

Analyser le sujet

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Formuler la problématique

Dans Les Caractères, La Bruyère entend décrire objectivement la société qui l’entoure ; mais l’auteur reste-t-il simple spectateur ou s’engage-t-il ?

Construire le plan

Tableau de 3 lignes, 2 colonnes ;Corps du tableau de 3 lignes ;Ligne 1 : 1. Un spectateur attentif; Quelle société La Bruyère décrit-il ?De quelle façon ? La Bruyère emploie-t-il la première personne ou s’efface-t-il derrière ses descriptions ?Montrez que celles-ci révèlent une véritable comédie sociale. Expliquez en quoi elle consiste, en citant des exemples de La Bruyère.; Ligne 2 : 2. Un spectateur engagé; Demandez-vous si le « je » de La Bruyère ne perce pas souvent derrière ses observations.Quelle émotion certaines remarques expriment-elles ?Quelles opinions l’auteur défend-il ?Les Caractères ne contiennent-ils pas également des conseils ? Lesquels ?; Ligne 3 : 3. Un spectateur, non un acteur; Vous devez opérer une synthèse en montrant :que l’engagement de La Bruyère reste celui d’un moraliste, épris de l’idéal classique ;qu’il n’aboutit pas à une contestation de l’ordre social de son époque.;

Les titres en couleur ou entre crochets ne doivent pas figurer sur la copie.

Introduction

[Accroche] « Je rends au public ce qu’il m’a prêté ; j’ai emprunté de lui la matière de cet ouvrage », écrit La Bruyère dans sa préface des Caractères. Par cette affirmation, il se pose en observateur de la société de son temps. Mais n’en est-il que le simple spectateur ? [Explication du sujet] C’est la question que pose le sujet : « Pensez-vous que La Bruyère n’est que le spectateur de la société de son temps ? », l’emploi de la locution « ne… que » introduisant une restriction, dont il convient d’analyser la nature et le bien-fondé. [Problématique] Que La Bruyère soit le spectateur de son époque, la lecture des Caractères le démontre amplement, mais c’est un spectateur qui ne se cantonne pas dans la passivité. [Annonce du plan] S’il se révèle être un spectateur attentif [I], il est aussi un spectateur engagé [II], qui se refuse toutefois à devenir un acteur de son temps [III].

I. Un spectateur attentif

1. Un peintre de son époque

Parisien, attaché à l’illustre famille princière des Condé, La Bruyère décrit ses contemporains, notamment ceux « de la Cour et de la Ville ». L’intitulé même des « livres » qui composent ses Caractères témoigne de sa volonté d’embrasser un vaste panorama social : les mondains des salons (V), les riches et les parvenus (VI), les Parisiens (VII), les courtisans (VIII), les « Grands » du royaume (IX), le roi (X).

info

La « Ville » désigne alors Paris, mais seulement les Parisiens de la grande bourgeoisie

Ce panorama, La Bruyère le brosse de deux façons : à la fois par des portraits, individuels (Cydias, V, 75 ; Cimon et Clitandre, VIII, 19) ou collectifs (les Sannions, les Crispins, VII, 9 et 10), et par des réflexions de portée générale sur l’homme du monde, l’art de bien parler (V) ou sur les « Grands », les favoris.

2. Un observateur discret

La Bruyère est un observateur aussi attentif que discret. Le plus souvent, il s’efface derrière ses descriptions et portraits. Il dit rarement « je ». Des expressions comme « je vois » (VI, 55 ; IX, 13) ou « je ne m’étonne pas » (VI, 74) sont très exceptionnelles sous sa plume. Quand il donne son avis, c’est avec prudence : « il me semble » (V, 78) ; « je sais » (VIII, 85) ; « je crois » (VIII, 60). Ailleurs, il s’englobe dans un « nous » ou dans un « on » à valeur générale.

Cette moindre présence de l’observateur, voire son effacement, produit un double effet : elle crée chez le lecteur une impression d’objectivité et elle ne donne que plus de force aux « remarques ».

3. Un témoin de la comédie sociale

À travers ces observations, La Bruyère met en évidence la comédie sociale dans laquelle chacun joue son rôle, par vanité ou par nécessité. Au sein de la société qu’il décrit, tout n’est qu’apparence, derrière laquelle se cache ou se dilue l’être profond des individus. C’est particulièrement vrai à la cour : « Il y a un pays où les joies sont visibles, mais fausses, et les chagrins cachés, mais réels » (VIII, 63). Tous les hommes portent des masques. Giton veut passer pour un « bel esprit » (VI, 83) Narcisse joue à l’important (VII, 12). Les Parisiens ne fréquentent les promenades à la mode que pour se faire voir et pour faire admirer leurs carrosses, leurs chevaux, leurs habits. Même les modestes « brodeur et confiseur » font l’important et sont de « vrais singes de la royauté » (VIII, 12). Les Caractères soulèvent les masques que porte tout un chacun.

La Bruyère est loin d’être le seul écrivain à avoir observé son époque et dévoilé ce jeu des apparences au sein de la société. Avant lui, Molière dénonçait dans Dom Juan (1665) l’hypocrisie, ce « vice à la mode ». Après lui, Diderot, dans Le Neveu de Rameau (1891), s’attaque aux postures que chacun prend par nécessité. Dans Illusions perdues (1837-1843), Balzac – à travers le personnage de l’abbé Herrera, qui propose sa protection au héros – révèle les ressorts profonds de la société à l’époque de la Restauration.

II. Un spectateur engagé

1. Par ses indignations

Cependant La Bruyère ne se contente pas de mettre au jour les mécanismes de la société de son temps. Le comportement de certains de ses contemporains suscite chez lui de vives réactions, et l’indignation perce souvent derrière ses observations. Devant, par exemple, l’immoralisme des courtisans prêts à tout pour faire fortune : « N’espérez plus de candeur, de franchise, d’équité… » (VIII, 62), dit-il à leur propos. La pauvreté des paysans le révolte : « Il y a des misères sur la terre qui saisissent le cœur ; il manque à quelques-uns jusqu’aux aliments » (VI, 47).

Son réquisitoire contre les cupides est sans appel : « Il y a des âmes sales, pétries de boue et d’ordure, éprises du gain et de l’intérêt » (VI, 58). La Bruyère ne cache pas ses émotions, et celles-ci sont autant de condamnations des travers de son époque.

2. Par ses fermes prises de position

De la révolte à l’engagement, il n’y a qu’un pas. La Bruyère interpelle les « hommes en place, ministres, favoris » pour leur rappeler que la vraie gloire réside dans le dévouement au bien commun (X, 24). Comparant les « Grands », qu’il juge sévèrement, et le « peuple », qu’il n’idéalise pas, il choisit clairement son camp : « Faut-il opter ? Je ne balance pas : je veux être peuple » (IX, 25). Ailleurs, il souligne l’absurdité de la guerre (X, 9), proteste contre le mépris du savoir dont font preuve les puissants : « Que sont devenus ces importants personnages qui méprisaient Homère ? » (VI, 56). Leur indifférence à la gestion des affaires publiques le choque tout autant (IX, 24).

3. Par ses suggestions et conseils

Enfin, Les Caractères contiennent de nombreuses règles qui font de La Bruyère non plus un témoin mais un conseiller. Le chapitre V est un manuel de savoir-vivre définissant la meilleure façon de s’exprimer et de se comporter en société. Le chapitre VI, « Des biens de fortune », montre à quelle déshumanisation peut conduire la course à l’enrichissement. « De la Cour » (VIII) et « Des Grands » (IX) définissent ce que devrait être la vraie noblesse. Quant au chapitre X sur « le souverain », il suggère un modèle de gouvernement.

III. Un spectateur, non un acteur

1. La position d’un moraliste

Au xviie siècle, le moraliste est celui qui dépeint le comportement de ses contemporains, et non celui qui délivre des leçons de morale. Il est donc dans sa nature d’être un spectateur de son époque. Son but est de la décrire le plus objectivement possible. Mais décrire n’interdit pas de réagir à ce qu’on décrit. De là, le balancement constant de La Bruyère, dans Les Caractères, entre la position passive du spectateur et l’intervention personnelle du témoin. Ces deux attitudes ne sont pas contradictoires mais complémentaires, parce que peindre les mœurs appelle nécessairement la réflexion.

info

Le mot « moraliste » provient du nom latin mores, (pluriel de mos) désignant les mœurs.

2. Un partisan de l’idéal classique

Dans sa préface aux Caractères, La Bruyère précise qu’« on ne doit parler, on ne doit écrire que pour l’instruction » de ses auditeurs ou lecteurs. C’est le but même que se propose le classicisme, qui s’imposa de 1660 à 1685 : saisir les défauts, les préjugés et les vices des hommes pour espérer les en corriger. C’était déjà la mission que Molière assignait à la comédie.

info

Le classicisme est un courant artistique qui domine presque sans partage la période 1660-1685. Il promeut un idéal de juste milieu, de retenue, de bienséance et de raison.

Certains portraits de La Bruyère sont de fait de petites comédies. Qui après avoir lu celui d’Arrias (V, 9) souhaiterait ressembler à ce menteur impénitent ? Qui voudrait imiter Giton l’arrogant (VI, 83) ou devenir un Pamphile, très imbu de lui-même (IX, 50) ?

3. Un conservateur

Ne faisons pas pour autant de La Bruyère un révolutionnaire. En cette fin du xviie siècle, il est et reste un monarchiste : « Nommer un roi Père du peuple est moins faire son éloge que l’appeler par son nom, ou faire sa définition » (X, 27). Jamais il ne songe à contester l’ordre social. Dans la querelle des Anciens et des Modernes, il prend parti pour les Anciens (VI, 55 ; IX, 42). Sa conception de l’homme est celle de « l’honnête homme », c’est-à-dire celle d’un individu sociable, cultivé, fuyant les excès et se tenant dans un juste milieu.

Conclusion

[Synthèse] Dans Les Caractères, La Bruyère est un spectateur de la société de son temps, à la fois objectif et engagé. [Ouverture] À ce titre, il annonce les philosophes du xviiie siècle. S’il n’est pas un contestataire, il oriente la réflexion vers des raisonnements qui le deviendront. Ses Caractères se situent ainsi à la charnière de deux siècles.

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