Amérique du Nord 2022 • Dissertation
Sprint final
41
phiT_2205_02_01C
Amérique du Nord • Mai 2022
La conscience fait-elle obstacle au bonheur ?
dissertation
Intérêt du sujet • Ce sujet classique confronte la « conscience », que nous possédons, au « bonheur », que nous recherchons : ce qui nous définit comme êtres humains nous empêche-t-il d’atteindre ce qui donne sens à notre vie ?
Les clés du sujet
Définir les termes du sujet
Conscience
Du latin cum scientia (« avec science »), la conscience est de façon générale associée à un savoir (perception du monde, connaissance de soi) : c’est d’abord la lucidité sur ce qu’on est et ce qu’on peut espérer.
La conscience morale impose des limites à nos actions et la conscience du temps peut empêcher de goûter l’instant présent.
Faire obstacle
Faire obstacle, c’est constituer un empêchement : rendre impossible ou du moins difficile, mettre des bornes, poser une limite, interdire, détourner, décourager.
Bonheur
Du latin bonum augurium, le bonheur est un objectif soumis à beaucoup d’aléas, comme le connote le mot heur (« sort », « chance », « fortune ») en français classique.
S’il est difficile d’en définir concrètement les conditions, le bonheur est représenté comme un idéal offrant la plénitude d’une satisfaction durable, intense et variée.
Dégager la problématique
Construire un plan

Les titres en couleurs et les indications entre crochets servent à guider la lecture mais ne doivent en aucun cas figurer sur la copie.
Introduction
[Reformulation du sujet] Le sort dresse parfois des embûches sur le chemin que nous essayons d’emprunter pour parvenir au bonheur. Mais il existe peut-être aussi un empêchement plus fondamental qui fait de ce chemin une impasse : la conscience fait-elle obstacle au bonheur ? [Définition des termes du sujet] Nous rêvons d’une satisfaction pleine et entière, suffisamment durable, intense et variée. Mais en offrant une connaissance du monde et de soi, la conscience nous rend lucides sur nos limites et sur ce que nous pouvons espérer. [Problématique] Le fait de distinguer le bien et le mal, de constater notre fragilité et le temps qui passe ne réduit-il pas considérablement nos perspectives de bonheur ? Ou bien doit-on au contraire chercher dans le renforcement de la conscience la voie d’une vie humaine parfaitement accomplie ? [Annonce du plan] Nous commencerons par voir en quoi le fait d’être conscients de nos devoirs entrave la quête du bonheur, puis pourquoi la conscience fait de l’homme un être inquiet. Nous verrons enfin qu’un bonheur véritable est lié au renforcement de la conscience.
1. La conscience morale est un obstacle au bonheur
A. L’obstacle intérieur de la mauvaise conscience
La conscience morale nous rend attentifs à des valeurs relatives au bien et au mal, et nous impose de conformer notre conduite à certaines normes. Dans le cas contraire, on s’expose au blâme des autres – ce qui n’est pas le meilleur calcul pour être heureux – mais aussi et surtout au remords, ce tourment qui nous ronge lorsqu’on a « mauvaise conscience ».
définition
Du latin remordere, le remords signifie littéralement la morsure renouvelée, voire incessante de la conscience.
Pour Aristote, dans l’Éthique à Nicomaque, un homme méchant ne peut pas être heureux, car une partie de son âme accuse l’autre partie et le déchire au point de le rendre ennemi de lui-même. La conscience est un juge sévère qui empêche de goûter le bonheur acquis de mauvaise façon : l’obstacle est insurmontable précisément parce qu’il est intérieur.
B. La subordination du bonheur au devoir
Il nous faut relativiser l’importance du bonheur et considérer d’abord le respect du devoir. Certaines voies vers le bonheur nous sont interdites lorsque les satisfactions visées sont égoïstes ou dégradantes, pour notre personne ou celle des autres. Kant dit que l’impératif moral est « catégorique » : il constitue une limite indiscutable que nous posons nous-mêmes à nos actions.
citation
« Agis de telle manière que tu traites l’humanité, aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre, toujours en même temps comme une fin, jamais simplement comme un moyen » (Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs).
La recherche du bonheur doit être subordonnée au respect du devoir. Cela ne signifie pas que l’une et l’autre soient incompatibles, puisque le fait d’avoir bien agi produit un contentement qui est, selon Kant, un « analogue du bonheur ». Mais « bonheur » et « vertu » sont souvent difficiles à concilier.
Le secret de fabrication
Illustrez le propos par un exemple : dans Les Misérables de Victor Hugo, Jean Valjean renonce à son bonheur et se livre à la police pour éviter qu’un sosie soit envoyé au bagne à sa place.
[Transition] La conscience morale fait obstacle à la recherche du bonheur, car elle lui impose des limites et prive l’individu qui les transgresse d’une satisfaction entière. Faut-il aller plus loin et dire que la conscience nous expose au malheur ?
2. La conscience nous expose au malheur
A. Conscience et finitude
Le regard qu’un être conscient porte sur lui-même est valorisant : comme on l’a observé, penser fait la grandeur de l’homme. Mais la pensée nous dévoile aussi notre finitude : « la grandeur de l’homme est grande en ce qu’il se connaît misérable », note amèrement Pascal dans ses Pensées.
définition
La finitude est le caractère de ce qui est fini, au sens de limité. On emploie le terme pour qualifier la condition humaine, habitée par la conscience du temps et de la mort.
Selon Schopenhauer, cette limitation fait de l’humain un être essentiellement malheureux, habité par un manque qui ne lui laisse que quelques rares moments de répit. Conscience rime avec souffrance. Comme il l’indique dans Le Monde comme volonté et comme représentation, « l’inquiétude d’une volonté toujours exigeante, sous quelque forme qu’elle se manifeste, emplit et trouble sans cesse la conscience : or sans repos le véritable bonheur est impossible ».
B. L’existence humaine alourdie par le temps
La conscience du temps est décrite par Nietzsche comme un fardeau. À l’inverse de l’animal attaché au « piquet de l’instant », l’être humain est privé d’une légèreté dans laquelle il voit confusément le secret du bonheur. En proie à la nostalgie, aux regrets ou à la mélancolie, il subit son passé : la mémoire est avantageuse pour la connaissance, mais pas pour le bonheur.
La conscience ouvre aussi à l’avenir. Elle est « soucieuse », car nous anticipons sans cesse un après dans lequel nous nous projetons. Or nous savons bien que l’ultime possibilité qui nous attend est la mort, qui suscite en nous de l’« angoisse ». Au rebours d’Épicure qui proclamait que « la mort n’est rien pour nous » et que le bonheur est possible à condition de vivre au présent, les philosophes de l’existence insistent sur l’incertitude, voire le désespoir, qui hante l’esprit humain.
à noter
Les penseurs « existentialistes » comme Kierkegaard, Heidegger ou Sartre prennent pour point de départ la fragilité de l’existence humaine.
[Transition] La conscience fait obstacle à un bonheur simple qui semblait à portée de main. Mais est-elle incompatible avec un bonheur plus complexe qui nous serait propre ?
3. Le bonheur est propre à l’être conscient
A. Bonheur et satisfaction
Le secret de fabrication
Introduisez une distinction entre « bonheur » et « satisfaction » pour envisager le problème sous un nouvel angle.
Si la définition du bonheur n’est jamais tout à fait claire et varie d’un individu à un autre, Mill observe qu’elle est toujours assez riche pour ne pas se réduire à la satisfaction, c’est-à-dire aux plaisirs élémentaires qui nous sont communs avec les animaux (manger, boire, etc.). Le bonheur que nous cherchons inclut aussi la connaissance du monde et de soi, les arts, les relations sociales et amoureuses, le bien-être social, etc.
citation
« Il vaut mieux être un homme insatisfait qu’un porc satisfait » (Mill, L’Utilitarisme)
Si nous nous heurtons à de nombreux obstacles dans notre quête, c’est tout simplement parce que nos ambitions sont plus élevées : elles ne sont peut-être pas toutes susceptibles d’être comblées, mais cette incomplétude est compensée par la conscience de notre dignité. Nos moyens aussi sont plus élevés, puisque notre intelligence nous permet de calculer au mieux comment être heureux, individuellement et collectivement.
B. Le renforcement de la conscience
Selon Freud, l’incapacité de certains individus à trouver l’épanouissement, ou ne serait-ce que l’équilibre psychique, ne doit pas être mise sur le compte de la conscience, mais sur celui de l’inconscient. Les symptômes tels que les angoisses, phobies, obsessions, épuisement dépressif, etc., sont le fait de désirs refoulés qui reviennent se manifester de façon voilée, et dont il s’agit de comprendre le sens.
La voie à privilégier est donc le renforcement de la conscience et non son effacement : il faut « rendre conscient l’inconscient », élargir notre champ de conscience en devenant plus lucides sur nous-mêmes, sur notre histoire et nos désirs secrets afin de devenir plus libres et plus heureux.
Conclusion
Le sacrifice de la conscience n’est ni possible ni souhaitable, car celle-ci définit l’être humain. Loin de constituer un obstacle à toute forme de contentement, le renforcement de la conscience est le moyen par lequel nous pouvons nous rapprocher du bonheur qui nous est propre.