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Sujet d'oral • Explication & entretien
La Fontaine, Fables, « Le Coche et la Mouche », VII, 8
► 1. Lisez le texte à voix haute.
Puis expliquez-le.
DOCUMENT
Le Coche et la Mouche
Dans un chemin montant, sablonneux, malaisé,
Et de tous les côtés au soleil exposé,
Six forts chevaux tiraient un Coche1.
Femmes, moine, vieillards, tout était descendu.
L'attelage suait, soufflait, était rendu2.
Une Mouche3 survient, et des chevaux s'approche,
Prétend les animer par son bourdonnement ;
Pique l'un, pique l'autre, et pense à tout moment
Qu'elle fait aller la machine,
S'assied sur le timon4, sur le nez du cocher.
Aussitôt que le char chemine,
Et qu'elle voit les gens marcher,
Elle s'en attribue uniquement la gloire ;
Va, vient, fait l'empressée : il semble que ce soit
Un sergent de bataille allant en chaque endroit
Faire avancer ses gens, et hâter la victoire.
La Mouche en ce commun besoin
Se plaint qu'elle agit seule, et qu'elle a tout le soin ;
Qu'aucun n'aide aux chevaux à se tirer d'affaire.
Le moine disait son bréviaire5 :
Il prenait bien son temps ! Une femme chantait :
C'était bien de chansons qu'alors il s'agissait !
Dame Mouche s'en va chanter à leurs oreilles,
Et fait cent sottises pareilles.
Après bien du travail, le Coche arrive au haut.
« Respirons maintenant, dit la Mouche aussitôt :
J'ai tant fait que nos gens sont enfin dans la plaine.
Çà, Messieurs les Chevaux, payez-moi de ma peine. »
Ainsi certaines gens, faisant les empressés,
S'introduisent dans les affaires.
Ils font partout les nécessaires,
Et, partout importuns, devraient être chassés.
Jean de La Fontaine, Fables, VII, 8
1. Coche : chariot tiré par des chevaux qui sert au transport de voyageurs.
2. Rendu : épuisé.
3. Mouche : plutôt une sorte de taon.
4. Timon : pièce de bois à l'avant du coche, à laquelle sont attelés les chevaux.
5. Bréviaire : livre de prière.
► 2. question de grammaire. « Aussitôt que le char chemine,/ Et qu'elle voit les gens marcher » (v. 11-12) : délimitez les propositions, analysez la nature et la fonction de chacune.
Conseils
1. Le texte
Faire une lecture expressive
Vous devez respecter le rythme des vers, en prenant soin de marquer la césure des alexandrins (coupe après la 6e syllabe) et en prononçant bien chaque syllabe, même les e d'ordinaire muets (par exemple « L'attelage suait » au vers 5 ou « qu'elle voit » au vers 12), sauf en fin de vers.
Traduisez dans votre ton la difficulté initiale du Coche embourbé par un rythme assez lent ; puis, lorsque la Mouche fait son apparition, utilisez un ton plus vif et léger.
Situer le texte, en dégager l'enjeu
Montrez la difficulté dans laquelle se trouve le Coche au début de la fable.
Étudiez les effets que produit l'irruption soudaine de la Mouche, qui croit prendre les choses en main. Montrez comment cette illusion orgueilleuse s'amplifie.
Intéressez-vous au dénouement de la fable et à sa moralité : comment La Fontaine critique-t-il le comportement de la Mouche ?
2. La question de grammaire
Prenez bien soin de séparer les différentes propositions, qui se construisent généralement autour d'un sujet et d'un groupe verbal.
Présentation
1. L'explication de texte
Introduction
[Présenter le contexte] Dans ses Fables, La Fontaine « se sert d'animaux pour instruire les hommes » à travers des apologues qui lient un récit plaisant à une moralité.
[Situer le texte] « Le Coche et la Mouche » est la huitième fable du livre vii. Une mouche importune croit aider un coche en difficulté à se tirer d'affaire.
[En dégager l'enjeu] Ce récit permet au fabuliste de dénoncer l'importance illusoire que certains se donnent auprès d'autrui.
Explication au fil du texte
Un Coche bien mal loti (v. 1-5)
Dans les deux premiers vers, La Fontaine plante précisément le décor du récit de sa fable. La situation initiale est celle d'un grand embarras : le chemin est très difficile, comme le montre la gradation au rythme ternaire du vers 1 : « montant, sablonneux, malaisé ». L'expansion du nom « de tous les côtés au soleil exposé » insiste sur l'absence d'ombre et sur la chaleur qui règne à cet endroit.
mot clé
L'hypotypose est la recréation pittoresque d'une scène sous la forme d'un « tableau vivant ».
Au vers 3, le changement de mètre (un octosyllabe qui succède aux alexandrins) accompagne l'apparition du « Coche » à travers une hypotypose : le lecteur a l'impression de voir ces chevaux éreintés tirant péniblement le lourd véhicule.
La Fontaine montre l'épuisement des chevaux : on retrouve le rythme ternaire (comme aux vers 1 et 4) dans la gradation « suait, soufflait, était rendu ». Le Coche, vidé de ses voyageurs, peine à avancer : comme souvent chez La Fontaine, la fable se déploie à partir d'un dysfonctionnement.
Une drôle d'héroïne (v. 6-16)
L'entrée en scène de la Mouche repose sur un effet comique : on attend l'arrivée d'un héros (bénéfique ou maléfique ; voir « Un Loup survint… » dans la fable « Le Loup et l'Agneau ») mais c'est une créature minuscule, un « chétif insecte » qui est là, contrastant avec la lourdeur du Coche.
La Fontaine insiste fortement sur la vivacité de la Mouche, à l'aide d'une accumulation rapide de verbes, certains étant répétés : « Pique l'un, pique l'autre » (vers 8) ; « S'assied sur le timon, sur le nez du cocher » (vers 10) ; « Va, vient, fait l'empressée » (vers 14).
Cette Mouche se caractérise par son orgueil démesuré. Les groupes verbaux « Prétend les animer » (vers 7), « pense […] / Qu'elle fait aller la machine » (vers 8), « s'en attribue uniquement la gloire » (vers 13) montrent qu'elle croit agir efficacement alors qu'elle ne fait que s'agiter en vain.
mot clé
On parle de ton héroïcomique lorsqu'un sujet prosaïque est traité dans le registre de l'épopée.
La Mouche se donne pour mission de sauver le Coche. Elle se métamorphose, à travers le champ lexical de la guerre et la parodie du registre épique, en « sergent de bataille » (vers 15) à la tête de « ses gens » luttant pour la « victoire » (vers 16). La Fontaine fait de cette situation triviale une scène héroïcomique.
Les « bavardages » de la Mouche (v. 17-28)
La Mouche, personnifiée en « Dame » (vers 23), prend la parole : aveuglée par sa suffisance, elle affirme qu'elle seule fait avancer les chevaux ! Le caractère outrancier de ses propos se traduit par une succession de subordonnées compléments du verbe « Se plaint » (vers 18) : « qu'elle agit seule, et qu'elle a tout le soin ; / Qu'aucun n'aide aux chevaux à se tirer d'affaire » ; à cela s'ajoute l'hyperbole « cent sottises » (vers 24).
La Mouche s'en prend aux voyageurs dans des propos rapportés au discours indirect libre. La Fontaine emploie l'adverbe « bien » dans des propositions exclamatives ironiques (« Il prenait bien son temps ! » vers 21 ; « C'était bien de chansons qu'alors il s'agissait ! » vers 22) afin de faire entendre le ton de la récrimination à l'égard du « moine » et de la « femme », qui n'aident pas plus que la Mouche à tirer le Coche.
La situation se résout au vers 25 : « le Coche arrive au haut ». C'est l'occasion pour la Mouche de se vanter au discours direct : « J'ai tant fait que nos gens sont enfin dans la plaine » (vers 27). L'emploi de la première personne du pluriel (le « nous » de majesté) retranscrit la fatuité de la Mouche, qui se prend pour un grand seigneur triomphant.
Une condamnation morale (v. 29-32)
La moralité est séparée du récit par un blanc typographique : La Fontaine induit une leçon générale à partir de son récit. Le lien logique est explicite grâce à l'adverbe de liaison « Ainsi » (vers 29).
La moralité consiste à condamner un certain comportement moral : celui des « empressés » (vers 29) qui en deviennent « importuns » (vers 32). Le lexique péjoratif traduit le jugement dépréciatif du fabuliste.
La Fontaine donne à sa moralité une portée universelle, grâce à l'emploi du présent de vérité générale (« S'introduisent » ; « Font »). Le conditionnel « devraient être chassés » (vers 32) est un conseil final donné au lecteur.
Conclusion
[Faire le bilan de l'explication] Dans cette fable, La Fontaine met en scène une Mouche imbue d'elle-même face à un Coche en difficulté. L'illusion de la Mouche, qui croit être indispensable à la bonne marche du véhicule, amuse le lecteur et montre à quel point l'on peut se fourvoyer sur soi-même. La moralité finale permet d'inscrire cette histoire légère dans un registre plus grave.
[Mettre le texte en perspective] L'on retrouve souvent dans les Fables ce regard mi-critique, mi-amusé sur les illusions de grandeur qui caractérisent l'être humain, et qui parfois le mènent à sa perte. C'est le cas par exemple dans la fable « La Laitière et le Pot au lait ».
2. La question de grammaire
« Aussitôt que le char chemine,
Et qu'elle voit les gens marcher »
La locution conjonctive « Aussitôt que », reprise au vers suivant par « qu' », introduit deux propositions subordonnées conjonctives coordonnées par la conjonction « et », qui ont une fonction de compléments circonstanciels de temps.
La deuxième proposition subordonnée conjonctive introduit elle-même une proposition subordonnée infinitive : « les gens marcher ».
Des questions pour l'entretien
Lors de l'entretien, vous devrez présenter une autre œuvre que vous avez lue au cours de l'année. L'examinateur introduira l'échange et peut vous poser des questions sous forme de relances. Les questions ci-dessous ont été conçues à titre d'exemples.
1 Sur votre dossier est mentionnée la lecture cursive d'une autre œuvre appartenant à la littérature d'idées : Candide de Voltaire. Pouvez-vous brièvement présenter ce conte philosophique ?
2 Qu'est-ce qui crée le comique dans cette œuvre ? Est-ce le seul registre présent dans l'œuvre ?
3 Que pensez-vous de l'évolution morale de Candide tout au long du conte ? Qu'est-ce qui l'amène à changer progressivement de regard sur le monde ?