Métropole et colonies
histoire
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Métropole et colonies
La justification des empires coloniaux
analyse de document
Intérêt du sujet • Les Européens, acteurs d'une « mission civilisatrice » portant le progrès aux quatre coins du monde ? C'est surtout au nom de leurs intérêts économiques qu'ils justifient la soumission des peuples.
Comment les Européens justifient-ils leurs conquêtes coloniales ? À l'aide du document et de vos connaissances, présentez les décisions prises à Berlin et les raisons avancées par les signataires, puis montrez que la conférence sert les intérêts des puissances européennes.
DocumentActe final de la conférence de Berlin, 26 février 18851
Au nom de Dieu Tout-Puissant,
Sa Majesté l'Empereur d'Allemagne, Roi de Prusse, Sa Majesté l'Empereur d'Autriche, Roi de Bohème, etc., et Roi apostolique de Hongrie, Sa Majesté le Roi des Belges, Sa Majesté le Roi de Danemark, Sa Majesté le Roi d'Espagne, le Président des États-Unis d'Amérique, le Président de la République Française, Sa Majesté la Reine du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande, Impératrice des Indes, Sa Majesté le Roi d'Italie, Sa Majesté le Roi des Pays-Bas, Grand Duc de Luxembourg, etc., Sa Majesté le Roi de Portugal et des Algarves, etc., Sa Majesté l'Empereur de toutes les Russies, Sa Majesté le Roi de Suède et Norvège, etc., et Sa Majesté l'Empereur des Ottomans,
Voulant régler, dans un esprit de bonne entente mutuelle, les conditions les plus favorables au développement du commerce et de la civilisation dans certaines régions de l'Afrique, et assurer à tous les peuples les avantages de la libre navigation sur les deux principaux fleuves africains qui se déversent dans l'océan Atlantique ; désireux, d'autre part, de prévenir les malentendus et les contestations que pourraient soulever à l'avenir les prises de possession nouvelles sur les côtes de l'Afrique, et préoccupés en même temps des moyens d'accroître le bien-être moral et matériel des populations indigènes, ont […] discuté et adopté :
1° Une déclaration relative à la liberté du commerce dans le bassin du Congo, ses embouchures et pays circonvoisins, avec certaines dispositions connexes ;
2° Une déclaration concernant la traite des esclaves et les opérations qui, sur terre ou sur mer, fournissent des esclaves à la traite2 ; […]
4° […] La libre navigation des cours d'eau navigables qui séparent ou traversent plusieurs États, principes conventionnellement appliqués depuis à des fleuves de l'Europe et de l'Amérique […] ;
5° Un acte de navigation du Niger, qui […] étend à ce fleuve et à ses affluents les mêmes principes inscrits dans les articles 108 à 116 de l'acte final du Congrès de Vienne ;
6° Une déclaration introduisant dans les rapports internationaux des règles uniformes relatives aux occupations qui pourront avoir lieu à l'avenir sur les côtes du continent africain.
1. La conférence s'est tenue de novembre 1884 à février 1885.
2. Cette déclaration visait à interdire l'esclavage, que les Européens avaient aboli ; la traite devait être combattue.
Les clés du sujet
Comprendre la consigne
L'exercice fait appel à deux capacités : savoir extraire des informations d'un document (« les décisions prises » et « les raisons avancées ») ; et savoir critiquer le document en lui opposant des connaissances.
La problématique porte sur la « justification » des conquêtes coloniales. Le travail principal porte donc sur les « raisons avancées par les signataires » qu'il faut mettre en évidence, avant de les questionner.
Présenter le document
Organiser sa réponse
En vous appuyant sur des citations du texte, présentez les décisions prises à Berlin [I], puis les raisons mises en avant [II]. Utilisez ensuite vos connaissances pour questionner les intérêts des Européens et remettre en cause les justifications avancées [III].

Les titres et les indications entre crochets ne doivent pas figurer sur la copie.
Introduction
[Contexte] Le dernier quart du xixe siècle est marqué par une nouvelle vague de colonisations. [Problématique] Comment les Européens justifient-ils leur entreprise de conquête ? [Présentation du document et annonce du plan] Le 26 février 1885, leurs dirigeants, ainsi que le président des États-Unis, signent à Berlin un texte dans lequel ils définissent les règles de leurs futures occupations territoriales en Afrique. Après avoir présenté les décisions arrêtées [I], puis les raisons avancées par les signataires pour les justifier [II], nous verrons quels intérêts font douter de la parole des Européens [III].
I. L'établissement de règles de bonne conduite
Trois articles (1, 4 et 5) proclament la liberté de commerce dans le bassin du Congo et la liberté de navigation sur les grands fleuves africains (Congo et Niger). Ces libertés doivent respecter les conventions (ou règles) qui ont cours en Europe.
Par l'article 2, l'abolition de l'esclavage doit être appliquée aux futures conquêtes européennes. La traite d'êtres humains est interdite.
à noter
L'abolition de l'esclavage en France et dans ses colonies est décidée par le décret Schoelcher du 27 avril 1848.
Aux États-Unis, l'abolition date du 18 décembre 1865.
Par l'article 6, les signataires s'accordent le droit de nouvelles « occupations » en Afrique. Ils établissent, entre eux, un principe d'égalité (« des règles uniformes ») : chaque pays s'engage à reconnaître les acquisitions des autres si ces derniers font de même.
[Transition] La conférence de Berlin établit des règles de bonne conduite entre les pays signataires de son acte final. Au nom de quelles valeurs ou de quels objectifs celles-ci sont-elles arrêtées ?
II. Développer et civiliser l'Afrique
Les Européens justifient leurs décisions par le « développement du commerce » (2e §). La « libre navigation » sur les fleuves et l'absence de conflits doit favoriser l'exploitation et la distribution des richesses. L'activité nouvelle suscitera des investissements (chemin de fer, puits, mines…). Payées pour leur travail, les « populations indigènes » augmenteront leurs ressources.
La « mission civilisatrice » apportera aux indigènes un « bien-être moral et matériel » (l. 21). Par l'éducation, elle éradiquera les croyances jugées obscurantistes, améliorera la santé et permettra une meilleure qualification des peuples autochtones.
à noter
Par « mission civilisatrice », l'Europe désigne l'ensemble des actions politiques, éducatives, linguistiques et sanitaires qui lui permet de diffuser ses valeurs.
L'état de paix institué par « la bonne entente mutuelle » et l'évitement des conflits (2e §) permettra d'éviter les destructions et les dépenses militaires.
[Transition] Les raisons avancées par les signataires sont aussi pragmatiques que généreuses. Mais quels intérêts entendent-elles servir d'abord ?
III. La défense des intérêts européens
Le conseil de méthode
Un document fournit des informations qu'il faut extraire et expliquer. Tel est l'objet des parties I et II. Mais un document ne dit pas toujours tout : il contient des non-dits ou fait silence sur certaines données. Il faut donc le questionner pour les repérer. Dire ce qui est absent de la conférence ou confronter le texte à des faits antérieurs (comme la révolte des Cipayes) permet de mieux le critiquer. C'est l'objet de la partie III.
Aucune représentation des populations indigènes n'est présente à Berlin. Leur avis n'est pas sollicité et le projet qui vise à les « civiliser » part du principe que leurs manières de vivre sont barbares.
Les mesures économiques ne concernent que les Européens. Ce sont leurs seuls intérêts commerciaux qui sont défendus, la libre circulation de bateaux que les indigènes n'ont pas. Le sort des agriculteurs et pasteurs locaux, par exemple, est ignoré.
Les expériences coloniales antérieures ne sont pas encourageantes. Les révoltes – des Algériens menés par Abd el Kader entre 1834 et 1847, des Cipayes en 1857 en Inde, des Kabyles en 1871 – en témoignent. Violences et ethnocides ne sont pas remis en cause à Berlin. L'histoire du Congo entre 1885 et 1908 illustre de façon brutale l'indifférence des Européens pour les populations indigènes.
à noter
Un ethnocide est la destruction de la culture d'un groupe humain. Elle n'implique pas la disparition physique directe des membres du groupe.
Conclusion
[Réponse à la problématique] La justification des conquêtes coloniales par les Européens renvoie surtout à leurs intérêts de puissances. Les promesses faites aux peuples indigènes comptent peu. [Ouverture] Les mouvements d'indépendance et les guerres de décolonisation permettront-ils d'atteindre des objectifs plus justes ?
Le conseil de méthode
Il est bien de terminer une conclusion par une ouverture. Exprimée sous forme interrogative, celle-ci reprend la problématique du sujet pour la poser dans un contexte ultérieur. Ici par exemple, on se projette au xxe siècle qui voit les territoires occupés remettre en cause la colonisation et ses justifications, telles qu'elles ont été avancées en 1885.