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La nature est-elle injuste ?

Amérique du Nord • Juin 2021

La nature est-elle injuste ?

dissertation

4 heures

20 points

Intérêt du sujet • Si un élève obtient de bonnes notes dans une discipline sans paraître fournir d'effort particulier, d'autres auront tendance à penser que « la nature est injuste ». De fait, il semble que nous n'ayons pas tous les mêmes aptitudes. Mais si la nature nous a fait différents, peut-on dire pour autant qu'elle est injuste ?

 
 

Les clés du sujet

Définir les termes du sujet

Nature

La nature d'une chose désigne son essence, ce qui la définit.

En un second sens, le monde de la nature s'oppose à celui de l'artifice et désigne le monde non-produit par l'homme. Ce qui est issu de la nature s'oppose ainsi à ce qui provient de la technique.

La nature peut être identifiée à une puissance créatrice, s'engendrant et se renouvelant sans cesse.

Elle désigne encore le monde physique régi par des lois identifiées par le discours scientifique.

Injuste

La justice peut se définir comme la conformité à la loi juridique. Elle désigne également une norme morale et politique qui ne s'appuie pas sur ce qui est, mais sur ce qui doit être. Pour être juste, une loi doit ainsi être conforme à cette norme qu'elle vise comme son idéal.

Cette norme peut être considérée comme établie par une vertu propre à l'homme ou découlant d'un ordre de la nature.

Dégager la problématique

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Construire un plan

Tableau de 3 lignes, 2 colonnes ;Corps du tableau de 3 lignes ;Ligne 1 : 1. La nature est injuste; Peut-on trouver une quelconque forme de justice dans le monde naturel ?Il s'agira d'abord de démontrer que les inégalités sociales découlent de l'injustice propre à la nature.; Ligne 2 : 2. Ce n'est jamais la nature qui est injuste; Mais est-ce vraiment la nature qui produit les inégalités et les injustices ?Il conviendra alors de démontrer que l'injustice est en réalité une création sociale.; Ligne 3 : 3. La nature peut incarner une norme de justice; Mais la nature ne peut-elle être pour nous une règle de justice ?Nous verrons enfin comment la nature peut apparaître comme une norme de la bonne vie.;

Les titres en couleurs et les indications entre crochets servent à guider la lecture mais ne doivent en aucun cas figurer sur la copie.

Introduction

[Reformulation du sujet] Il s'agit de savoir si nous pouvons légitimement reprocher à la nature son injustice. De fait, il nous arrive, face aux inégalités physiques ou intellectuelles que nous constatons, de blâmer la nature, qui n'aurait pas distribué équitablement les biens ou qualités. Mais ce reproche est-il fondé ? [Définition des termes du sujet] La nature désigne à la fois l'essence­ d'une chose et l'ensemble du monde non créé par l'homme. Elle peut alors être considérée comme une puissance d'engendrement ou comme le monde physique réglé par des lois. Ce qui est juste peut désigner ou bien ce qui est conforme à la loi juridique, ou bien ce qui correspond à cette norme morale et politique qu'est la justice. En tant que norme, la justice définit non pas ce qui est, mais ce qui doit être. En tant que vertu, elle correspond à une forme d'impartialité et de capacité à agir selon l'équité ou l'égalité.

[Problématique et annonce du plan] La nature est-elle cette puissance aveugle qui ne connaît que le hasard et l'arbitraire, ou bien lui reprocher son injustice est-il infondé ? Et ne peut-on pas aller jusqu'à admettre qu'il y a, dans l'ordre naturel, une forme de justice ?

1. La nature est injuste

A. L'injustice règne dans la nature

Dans un premier temps, on pourrait penser que la nature est injuste, dans la mesure où il nous semble qu'elle distribue les dons et qualités de façon inégale. De fait, un sentiment d'injustice peut naître du simple constat des inégalités naturelles, doublé d'un sentiment d'impuissance, puisque face à cette répartition inégale des biens, nous ne pouvons rien, comme nous ne pouvons rien face à la violence d'un orage.

Nous naissons avec certaines qualités physiques ou intellectuelles, et ceci est le fruit du hasard qui ne saurait être considéré comme un principe de justice : la nature nous aurait inégalement dotés, mais surtout de manière inéquitable, puisqu'il apparaît que l'homme le plus vertueux n'est pas nécessairement le plus beau. De fait, la nature semble nous inscrire de façon arbitraire dans une hiérarchie.

B. Les inégalités naturelles justifient les inégalités sociales

C'est précisément cette nature conçue comme une puissance d'engendrement aveugle aux mérites qu'évoque Calliclès dans le Gorgias de Platon, affirmant que paradoxalement, cette injustice apparente est la justice selon la nature. Autrement dit, si la nature nous semble injuste, c'est parce que nous assimilons la justice à l'égalité. Mais cette définition de la justice est un artifice humain : la seule justice, c'est en réalité l'ordre de la nature, qui veut l'inégalité, et ce qui vaut pour les animaux doit valoir pour les hommes.

citation

« La justice consiste en ce que le meilleur ait plus que le moins bon et le plus fort plus que le moins fort. Partout il en est ainsi, c'est ce que la nature enseigne, chez toutes les espèces animales, chez toutes les races humaines et dans toutes les cités ! Si le plus fort domine le moins fort et s'il est supérieur à lui, c'est là le signe que c'est juste. »

(Calliclès dans le Gorgias, Platon).

On peut ainsi penser que les inégalités sociales sont justes parce que conformes à cette loi de la nature productrice d'inégalités de laquelle nous dépendons comme l'ensemble du monde naturel. Dans La Fable des abeilles, Bernard Mandeville dépeint une nature humaine en proie aux deux passions fondamentales que sont l'« amour de soi » (qui nous pousse à nous avantager) et l'« amour-propre » (qui naît de la comparaison avec les autres et nous incite à rivaliser avec eux, voire à les détruire). S'il y a des inégalités sociales, selon Mandeville, c'est parce que l'homme aspire naturellement à l'injustice, en vertu de ces deux passions qui le poussent à rechercher le luxe. Or le luxe implique une hiérarchie sociale, faite de pauvres qui doivent rester pauvres et continuer à travailler, et de riches qui entretiennent la pauvreté des autres pour profiter du luxe.

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l'auteur

Bernard Mandeville (1670-1733).

Mandeville est un écrivain néerlandais puis anglais, qui soutient l'idée que le vice individuel, qui conduit à la recherche des richesses, produit, en libérant les appétits, une opulence supposée ruisseler du haut en bas de la société.

[Transition] Pourtant, peut-on vraiment justifier les inégalités sociales en s'appuyant sur une loi de nature ? Et tout d'abord, si un homme naît plus petit qu'un autre, peut-on vraiment mettre cela sur le compte d'une injustice de la part de la nature ?

2. Ce n'est jamais la nature qui est injuste

A. La nature nous fait différents et non inégaux

De fait, justifier l'injustice sociale par celle qui règne dans la nature pourrait reposer sur une confusion, portant sur l'origine de l'injustice. Comment la nature pourrait-elle être injuste ? La nature produit de la diversité, des êtres différents, mais ne crée aucune hiérarchie entre eux, ni aucun critère selon lequel l'un pourrait se dire supérieur ou inférieur à l'autre.

définition

Deux choses différentes sont deux choses qui se distinguent, qui ne sont pas identiques (du latin idem, qui signifie « le même »). Deux choses inégales (du latin aequalis, qui signifie « de même niveau ») sont inscrites dans une hiérarchie.

Dans le Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, Rousseau récuse ainsi l'existence d'une loi de nature susceptible de justifier les inégalités sociales, en montrant qu'à l'état de nature, l'injustice n'existe pas et que les hommes vivent dans une relative innocence. S'il existe naturellement des différences entre nous, il n'existe, par nature, aucune inégalité, la nature nous ayant tous faits égaux en tant qu'hommes, c'est-à-dire de même niveau du point de vue de l'espèce.

à noter

L'état de nature est une fiction par laquelle certains philosophes politiques entendent identifier ce qui, en nous, est naturel ou produit par la société, afin de savoir quelle organisation politique nous convient.

B. L'inégalité est une création sociale

Dès lors que les inégalités naturelles n'existent pas, il apparaît que c'est la société qui crée les inégalités et fait donc naître l'injustice, en valorisant arbitrairement ces différences naturelles et en les inscrivant dans une hiérarchie.

Il est donc impossible de justifier les inégalités sociales par une loi de nature qui nous ferait inégaux, dans la mesure où l'inégalité n'a jamais aucun fondement naturel. Autrement dit, les injustices sociales ne sont pas comparables à des orages violents : face à elles, nous pouvons donc agir.

définitions

L'origine désigne le point de départ chronologique d'une chose, le fondement désigne ce qui la justifie.

[Transition] Si la nature n'est en soi ni juste ni injuste, nous ne sommes pas fondés à nous réclamer de son injustice pour légitimer les inégalités sociales. Mais ne peut-on pas cependant trouver dans la nature un principe de justice ?

3. La nature peut incarner une norme de justice

A. La nature humaine nous incline à la justice

À ce point du raisonnement, la question porte sur la définition de la nature humaine. N'est-il pas vrai, comme le soutient Mandeville, que la nature réclame à travers nous l'injustice, puisqu'elle nous a pétris d'« amour-propre » ? Mais, selon Rousseau, l'amour-propre, qui nous porte à rivaliser avec nos semblables, naît déjà d'une comparaison avec les autres. En société, je me compare aux autres, puis je compare ce que j'ai à ce qu'ils ont. L'amour-propre n'est donc qu'une création sociale, le fruit d'un cœur perverti. Et ce qui prouve que l'amour-propre n'a rien de naturel, autrement dit que l'intérêt n'est pas notre seul principe d'action, c'est que nous sommes capables d'éprouver la pitié, ce sentiment qui repose sur une identification au plus faible dont nous ressentons alors la souffrance.

Sentiment naturel et universel, la pitié défie la logique de l'inté­rêt et ébranle une conception anthropologique selon laquelle l'homme serait essentiellement injuste. Notre nature est ainsi faite, dit Rousseau, qu'à l'« amour de soi », principe d'action visant à conserver notre vie, s'ajoute ce sentiment tout aussi naturel et puissant qu'est la « pitié », qui nous pousse à désirer la justice. C'est ainsi que notre nature peut incarner une norme de justice.

B. La fidélité à la nature peut être une norme de la bonne vie

S'il est absurde de qualifier le monde naturel de juste ou d'injuste, celui-ci peut par conséquent prétendre incarner une norme sur laquelle régler nos vies. Ainsi, Épicure nous appelle, dans la Lettre à Ménécée, à ne cultiver que nos désirs naturels, c'est-à-dire ceux que la nature nous donne les moyens de satisfaire facilement.

Que la nature soit la référence de notre vie, c'est l'idée que porte au plus haut point le cynisme, en opposant d'abord la nature à l'opinion, au préjugé, aux fausses valeurs et aux conventions par lesquelles nous nous éloignons de notre liberté et de l'essence de notre vie. Tel est le sens de l'anecdote rapportée par Diogène Laërce à propos de Diogène de Sinope : « Il affirmait opposer à la fortune son assurance, à la loi sa nature, à la douleur sa raison. Dans le Cranéion, à une heure où il faisait soleil, Alexandre le rencontrant lui dit : « Demande-moi ce que tu veux, tu l'auras. » Il lui répondit : « Ôte-toi de mon soleil ! ». » De fait, la puissance d'un empereur n'est rien au regard du soleil, la loi n'est rien au regard de la nature. Car c'est la nature qui libère et la coutume qui asservit.

à noter

Le cynisme (de kûon, qui en grec signifie « chien ») est une philosophie née en Grèce antique et fondée sur la revendication de la nature comme norme de vie. En se dépouillant des artifices sociaux, le cynique fait de sa vie une manifestation de la vérité : ses actes et ses paroles montrent ce qu'est la vie en son essence.

La nature apparaît alors comme la norme suprême de la bonne vie. Diogène, dit l'oracle de Delphes, « toute sa vie falsifiera la monnaie », c'est-à-dire dévaluera ce qui repose sur la loi et la coutume, au profit de ce qui découle de la nature. Comme le dira Plutarque, il s'agit pour les cyniques d'« ensauvager la vie » en remettant en cause l'ensemble des conventions sociales. Mais cet ensauvagement va de pair avec un extrême rigorisme moral, porté par le souci de ne jamais s'écarter de cette seule vie juste possible qu'est la vie selon la nature.

Conclusion

En définitive, il n'est pas seulement vain, mais aussi absurde de blâmer la nature pour son injustice. La nature n'est ni juste ni injuste, et, si elle produit de la diversité, seuls les hommes sont responsables de l'inégalité et de l'injustice. Il nous revient alors de retrouver la nature non comme la norme des injustices sociales, mais comme la norme de nos vies, et de nous soucier de ce que notre nature humaine exige, pour vivre selon la justice.

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