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La nature humaine est-elle immuable ?

Sujet complet • Contraction – Essai

La nature humaine est-elle immuable ?

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20 points

Intérêt du sujet • Ce sujet va vous permettre de réfléchir à la nature humaine et à la conception qu'en avait La Bruyère. L'être humain est-il voué à ne jamais changer ?

 

1. Contraction • Vous résumerez ce texte en 193 mots. Une tolérance de +/– 10 % est admise : votre travail comptera au moins 174 mots et au plus 212 mots.

Vous placerez un repère dans votre travail tous les 50 mots et indiquerez, à la fin de la contraction, le nombre total de mots utilisés.

2. Essai • Pensez-vous, comme La Bruyère, que la nature humaine est immuable ?

Vous développerez de manière organisée votre réponse à cette question en prenant appui sur le livre XI des Caractères de La Bruyère, sur le texte de l'exercice de la contraction et sur ceux que vous avez étudiés dans le cadre de l'objet d'étude « La littérature d'idées du xvie au xviiie siècle ». Vous pourrez aussi faire appel à vos lectures et à votre culture personnelle.

Document 

Dans cet entretien, J. M. Delacomptée s'interroge sur l'actualité des Caractères de La Bruyère et, en particulier, sur l'immuabilité de la nature humaine.

La vie est un théâtre, affirmait-on à l'âge classique. Ou bien, pour plagier Shakespeare, le monde entier est un théâtre, tous les hommes, toutes les femmes sont des acteurs. Notre société du spectacle en témoigne mieux qu'aucune autre. La Bruyère dit la même chose, mais pas seulement. S'appuyant sur les Caractères de Théophraste, philosophe grec disciple d'Aristote, qu'il a traduits pour les présenter en avant-scène de ses propres Caractères, il pose comme un fait établi que le cœur de l'homme n'a jamais changé et ne changera jamais. La nature humaine est ce qu'elle est, immuable. Dieu a modelé l'homme (et la femme) avec ses tares1 et ses vertus, sans qu'aucune puissance ne puisse modifier sa nature. Ce qui peut évoluer, en revanche, ce sont les comportements. D'où le devoir du moraliste, qui consiste à tendre au public, pour qu'il se réforme, un miroir qui reflète parfaitement l'âpre2 réalité des choses. Dire que le cœur de l'homme reste identique à lui-même en tous lieux, en tout temps, revient à prendre acte de motivations, de réactions, d'attitudes en tous points semblables aujourd'hui à ce qu'elles étaient à l'époque de Théophraste, personnage de l'antiquité, comme de La Bruyère, personnage du xviie siècle. Mais revient aussi à condamner les tentatives prométhéennes3 visant à changer l'homme. Les exemples monstrueux que nous offre l'histoire du xxe siècle valent enseignement définitif. Les comportements peuvent s'améliorer, pas le fond. « Qui a vécu un seul jour, a vécu un siècle, même soleil, même terre, même monde, mêmes sensations, rien ne ressemble mieux aujourd'hui que demain », écrit La Bruyère. À travers le temps, les corps restent les mêmes, comme le soleil et les cœurs. Voici encore, à titre d'illustration, ces lignes de Marguerite Yourcenar dans les Mémoires d'Hadrien : « La substance, la structure humaine ne changent guère. Rien de plus stable que la courbe d'une cheville, la place d'un tendon, ou la forme d'un orteil. Mais il y a des époques où la chaussure déforme moins ». Cette moindre déformation, appelons-la le progrès possible. Les mœurs peuvent tantôt régresser, tantôt s'améliorer. Mais la structure, elle, ne bouge pas.

[…]

[La Bruyère] dénonce l'injustice croissante, l'inégalité scandaleuse des conditions de vie, les abus de toutes sortes. Un homme comme lui, profondément chrétien, regardait nécessairement en arrière. Il plaçait le règne de la justice dans l'antiquité biblique, quand la société pastorale, pieusement rassemblée autour de la Loi4 sous l'autorité des patriarches, respectait l'ordre immémorial des traditions et coutumes. Ce n'est pas prétendre pour autant que l'égalité régnait. Car, observe-t-il avec une lucide assurance, « une certaine inégalité dans les conditions qui entretient l'ordre et la subordination5, est l'ouvrage de Dieu, ou suppose une loi divine : une trop grande disproportion, et telle qu'elle se remarque parmi les hommes, est leur ouvrage, ou la loi des plus forts ». Ce qui caractérise l'espèce humaine, c'est l'outrance6, qui confine à la déraison alors même que l'homme se croit supérieur aux animaux par l'exercice de la raison. Cette croyance se révèle un leurre7 : le propre de l'homme est de se méconnaître, de s'aveugler sur sa valeur. Par nature il n'est ni bon, ni juste, ni honnête, ni généreux, mais menteur, présomptueux8, infidèle, avide, etc. Et cela depuis toujours, avec toutefois une aggravation continue.

Aux yeux du moraliste qu'était La Bruyère, la vie à la Cour comme à la Ville ne cessait de se dégrader. Pour lui c'était mieux avant, « au temps de nos pères », selon l'expression consacrée qu'on retrouve par exemple chez Montaigne, auquel il se réfère et qu'il admire assez pour s'aventurer à le pasticher9 avec un incroyable brio. L'époque le consterne10, l'effondrement de tous les principes moraux le scandalise. Assistant à l'irrésistible promotion de la bourgeoisie d'affaires, il constate avec effarement11 la violence du culte de l'argent, la cruauté des misères, l'énormité des disparités de destins. La situation vous paraît-elle très différente de celle qui prévaut aujourd'hui ? La cupidité sans bornes, l'égoïsme vorace, le narcissisme qui s'exhibe à tout va, l'obscénité du cynisme étalé, les écarts de fortune insensés, le goût effréné du pouvoir, le matérialisme le plus plat, le plus vain, en sommes-nous délivrés ? Notre époque souffre beaucoup moins que celle de La Bruyère, elle est infiniment moins dure, nettement moins sauvage, mais s'ils sont moins brutaux, les travers qu'il dénonce subsistent en sous-main.

Extrait de « Chez La Bruyère, la nature humaine est immuable », entretien avec Jean-Michel Delacomptée ; propos recueillis par Paul Sugy © Paul Sugy / lefigaro.fr / 06.09.2019.

1. Tares : défauts.

2. Âpre : pénible, déplaisante.

3. Prométhéennes : du personnage mythologique, Prométhée, qui vola aux dieux le feu sacré pour le donner aux hommes.

4. La Loi : désigne les commandements donnés par Dieu au peuple juif dans la Bible.

5. Subordination : état de dépendance.

6. Outrance : excès.

7. Leurre : illusion.

8. Présomptueux : qui a une trop haute opinion de soi.

9. Pasticher : imiter le style d'un écrivain.

10. Consterne : désole.

11. Effarement : stupéfaction.

 

Les clés du sujet

Observer le texte à contracter

Tableau de 3 lignes, 2 colonnes ;Corps du tableau de 3 lignes ;Ligne 1 : Énonciation; Texte à la 3e personne.; Ligne 2 : Thèse; Comme La Bruyère, l'auteur soutient que le cœur de l'homme n'a jamais changé et ne changera jamais. Seuls les comportements humains peuvent évoluer.; Ligne 3 : Composition; 1. La nature humaine a été définie une fois pour toute et le moraliste doit inciter les hommes à améliorer la seule chose qui peut l'être : leurs mœurs. (l. 1-33, paragraphe 1)2. La Bruyère considère que l'homme se méprend sur sa véritable nature et accroît les injustices et les inégalités à cause de ses excès. (l. 35-53, paragraphe 2)3. L'auteur des Caractères dénonce la déchéance morale des hommes de son temps. Ces travers restent d'actualité même si la société contemporaine est moins dure que celle du xviie siècle. (l. 54-70, paragraphe 3);

Chercher des idées pour l'essai

1. La nature humaine : des caractères permanents sous des apparences variables.

Cherchez des traits qui vous semblent permanents dans la nature humaine à toutes les époques.

Donnez des exemples en vous appuyant notamment sur les caractères décrits par La Bruyère.

2. La perfectibilité : un trait essentiel de l'homme.

Demandez-vous quelle peut être l'ambition du moraliste ou de l'écrivain qui examine la nature humaine et peint la comédie sociale.

Cherchez ce qui peut amener l'homme à modifier sa nature. Quelles activités peuvent encourager ses progrès ?

1. Contraction

Fin observateur de la comédie sociale, La Bruyère considère que la nature humaine a été fixée pour toujours avec ses qualités et ses défauts. À l'inverse, les mœurs peuvent changer.

à noter

La Bruyère n'a pas le statut d'exemple dans le texte : il sert d'argument et de support à la réflexion. Il doit donc être mentionné dans votre contraction.

Le moraliste a donc pour fonction de renvoyer à ses contemporains une image fidèle de leurs travers pour les inciter [50] à corriger leurs comportements. Seuls ces derniers sont susceptibles d'amélioration. Tous les efforts pour modifier le cœur de l'homme sont voués à l'échec car son fond reste immuable.

Se référant à un idéal biblique, La Bruyère condamne les injustices et les abus des hommes de son temps. Si [100] l'inégalité peut trouver sa source dans une volonté divine, son accroissement considérable au fil des siècles est d'origine humaine. En effet, l'homme se définit par ses excès bien plus que par l'usage de sa raison, et il ne cesse de s'illusionner sur sa nature.

L'[150]auteur des Caractères jugeait sévèrement son époque marquée par le creusement des inégalités économiques et le cynisme des plus riches. La toute-puissance de l'argent et le culte du moi ont-ils disparu aujourd'hui ? Si les mœurs se sont adoucies, les défauts de l'homme demeurent.

197 mots

2. Essai

Les titres des parties ne doivent pas figurer dans votre copie.

Introduction

À l'époque classique, les moralistes entreprennent de décrire à travers leurs œuvres le cœur de l'homme : la nature humaine s'y trouve dépeinte sans fard et se révèle dans toute sa complexité. Doit-on penser, à la suite de La Bruyère, l'auteur des Caractères, que la nature humaine est immuable ? Pour le déterminer, nous nous demanderons d'abord si nous pouvons distinguer chez l'être humain des traits permanents, en dépit de comportements très variés à travers les âges. Puis, nous nous interrogerons sur la capacité de l'homme à s'améliorer et sur ses conséquences.

I. La nature humaine : des caractères permanents sous des apparences variables.

Au-delà de l'instabilité des apparences, s'affirment, à travers les siècles, des caractères qui nous semblent immuables chez l'adulte aussi bien que chez l'enfant : de nos jours, les enfants « rient et pleurent facilement », « ont des joies immodérées et des afflictions amères sur de très petits sujets » (Les Caractères, remarque 50), comme ceux qui vivaient au temps de La Bruyère. Par ailleurs, la « férocité avec laquelle les hommes traitent d'autres hommes » (remarque 127) apparaît toujours, hélas, d'actualité.

L'outrance, l'excès, semble être une autre caractéristique de la nature humaine : elle « confine à la déraison » ainsi que l'explique Jean-Michel Delacomptée dans son entretien au Figaro. Dans sa remarque 124, La Bruyère campe le portrait de « N** », un homme qui, en dépit de la maladie, multiplie les grands travaux : « Ce n'est pas pour ses enfants qu'il bâtit, car il n'en a point […] : c'est pour lui seul, et il mourra demain. » Le moraliste dénonce ainsi l'ambition déraisonnable qu'il a pu observer chez ses contemporains.

De nos jours, de nombreuses personnalités de la téléréalité soutiennent une notoriété fraîchement acquise en se donnant en spectacle sur les réseaux sociaux. Pour attirer l'attention du public, elles se livrent à des excès de tous ordres : langagiers, esthétiques et comportementaux.

La Rochefoucauld, autre moraliste du Grand Siècle, a consacré plusieurs séries de maximes à l'amour propre qu'il définissait comme un trait essentiel de l'homme. Ce point de vue nous paraît toujours pertinent car le culte du moi s'observe plus que jamais à l'heure d'Instagram où chaque cliché est l'occasion de se mettre en scène, de valoriser son mode de vie ou de vanter ses talents, à grand renfort de cadrages et de filtres flatteurs.

des points en +

N'hésitez pas à utiliser des références contemporaines pour relier les textes étudiés en classe à l'actualité.

Sur son compte Instagram les.caractères, la comédienne et scénariste Lison Daniel renoue avec la tradition classique en proposant des portraits de types contemporains : Jérôme le coach sportif, Gaëtan le professeur de théâtre, Rébecca la trentenaire parisienne… Derrière des filtres déformants, se retrouvent les mêmes travers que ceux pointés par son illustre prédécesseur littéraire. Ainsi, Julien de Marseille « désire au-delà de sa portée » comme Télèphe dans Les Caractères (remarque 141).

Doit-on considérer dès lors que les écrits des moralistes ne sont voués qu'à décrire un organe « vide et plein d'ordure », comme l'écrit Pascal dans ses Pensées ? Aucun progrès n'est-il envisageable pour le cœur humain ?

II. La perfectibilité : un trait essentiel de l'homme.

Si l'on peut discerner des traits permanents chez les hommes, il nous semble néanmoins que l'aptitude de l'être humain à s'améliorer constitue l'une de ses caractéristiques essentielles. Dans son traité intitulé Émile ou De l'éducation, le philosophe des Lumières Jean-Jacques Rousseau affirme que la capacité de l'homme à se perfectionner, le hisse au-dessus de la condition animale. La perfectibilité serait inscrite dans la nature humaine et apparaîtrait comme l'instrument de sa réforme. Cette qualité proprement humaine s'observe notamment dans le domaine du sport : par l'entraînement, l'effort, la volonté, le sportif améliore ses performances et ses résultats.

En nous invitant à porter un regard clairvoyant sur nous-mêmes, la littérature peut nous engager à devenir meilleurs. L'ambition du moraliste, par exemple, est de nous faire prendre conscience de nos défauts, mais c'est également l'objectif qui anime un dramaturge tel que Molière lorsqu'il offre une satire des travers humains afin d'inciter l'homme à se corriger.

Pour autant, il ne s'agit pas de nier notre nature première et immuable mais d'en cultiver une seconde, celle de notre être social. C'est, pour l'homme, l'occasion de développer des vertus morales telles que la modestie ou la tempérance, souvent louées par les écrivains.

L'éducation joue, dans ce domaine, un rôle primordial : par la transmission de savoirs et de valeurs, l'apprentissage de savoir-faire et de manières d'être, l'homme perfectionne sa nature et développe ses talents. C'est ainsi que la politesse, qui pourrait être perçue comme de l'hypocrisie par La Bruyère, manifeste plutôt notre aptitude au respect mutuel.

Dans le champ de la création, l'art n'est pas une somme d'artifices, mais un reflet de l'intelligence et de la sensibilité humaines. Il constitue bien la preuve que nous sommes capables d'aller au-delà de notre nature, de notre instinct et de nos pulsions négatives pour atteindre le Beau.

Conclusion

La nature humaine semble bien présenter des traits constants dans le temps. Pourtant, la perfectibilité s'affirme également comme un trait propre à l'homme. Les écrivains, les sportifs et les artistes sont bien les témoins d'une humanité qui cherche à s'élever au-dessus de son état. Même l'artifice, tant décrié par La Bruyère, peut avoir une fonction positive chez certains écrivains. Dans un texte intitulé « Éloge du maquillage », publié dans Le Peintre de la vie moderne, Baudelaire soutient ainsi que l'artifice permet de corriger les imperfections de la nature pour s'approcher de la Beauté.

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