L'environnement
Les États-Unis et la question environnementale
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Étude critique de document
La nature vue par un philosophe américain
Intérêt du sujet • La nature états-unienne, la Wilderness, est au cœur du transcendantalisme. Pour ce courant philosophique, la nature sauvage constitue l'originalité et la vraie merveille des États-Unis, tant d'un point de vue esthétique que moral.
D'après le document proposé, vous montrerez que la nature est, pour l'auteur, la vraie merveille de l'Amérique et qu'elle seule est un véritable professeur de vie.
DocumentLa nature du Massachusetts vue par Henry David Thoreau
Avec Ralph Waldo Emerson, Henry David Thoreau (1817-1862) est le principal représentant du premier courant philosophique états-unien, le transcendantalisme. Il se rend célèbre avec Walden (1854), récit racontant sa vie, pendant deux ans, dans une cabane construite dans la forêt, sur les bords de l'étang de Walden, près de la ville de Concord (Massachusetts). Cet article est paru en 1842 sans nom d'auteur dans la revue transcendantaliste The Dial.
Ce n'est pas dans la société que l'on trouve la santé, mais dans la nature. Si nous n'avons pas au moins un pied dans la nature, nos visages seront pâles et livides. La société est toujours malade, et elle l'est d'autant plus qu'elle est évoluée. Il n'émane d'elle aucune senteur qui soit aussi saine que celle des pins, ni aussi aucune odeur aussi pénétrante et roborative que l'immortelle1 dans les hauts pâturages. J'aimerais toujours avoir près de moi un livre d'histoire naturelle qui me serait une sorte d'élixir et dont la lecture redonnerait du tonus à mon organisme. En effet, pour le malade, la nature l'est aussi, mais pour celui qui est bien portant, elle représente une source de santé. Celui qui contemple une forme de beauté naturelle ne saurait connaître ni mal ni déception. Les doctrines du désespoir, de la tyrannie ou de la servitude spirituelle ou politique n'ont jamais été professées par ceux qui ont partagé la sérénité de la nature. De toute évidence, le vrai courage ne viendra jamais à manquer sur cette côte atlantique, tant que nous serons entourés par le Pays des Fourrures2.
Ces mots suffisent à redonner du cœur à l'ouvrage, quelles que soient les circonstances. L'épicéa, le hemlock3 et le pin n'engendrent pas le désespoir. […]
Nous nous figurons que tout le tintamarre de la religion, de la littérature et de la philosophie que l'on entend dans les chaires, les lycées et les salons se répercute à travers tout l'univers. […] Mais si un homme dort profondément, il l'oubliera totalement du crépuscule jusqu'à l'aube. […] Quel formidable entraînement fournit la science de la nature pour se préparer aux combats de la vie la plus active. De fait, la bravoure incontestable que supposent ces études est beaucoup plus impressionnante que la vaillance tonitruante du guerrier.
Henry David Thoreau, Histoire naturelle du Massachusetts, 1842, trad. de l'anglais par Guy Chain, Éditions La Part commune, 2014.
1. Immortelle : plante à fleurs jaune d'or.
2. Le Pays des Fourrures : Grand Nord canadien, région où les conditions extrêmes imposent aux hommes, pour leur survie, une lutte permanente contre les éléments.
3. Épicéa et hemlock : arbres de la famille des conifères.
Les clés du sujet
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Comprendre la consigne
La consigne vous invite à réfléchir sur ce qui fait de la nature la vraie merveille de l'Amérique.
Vous devez aussi analyser les différents éléments qui font de la nature une leçon de vie pour l'humain, tant d'un point de vue physique que moral.
Dégager la problématique et construire le plan
L'auteur présente la nature sous diverses facettes : lieu d'expériences esthétiques et sensorielles, elle est une véritable « merveille de l'Amérique » ; elle est un guide moral pour les humains et leur offre des leçons qui valent toutes les connaissances livresques.
À partir d'un travail d'analyse cursive, vous pouvez déduire trois grandes idées qui vont guider les trois parties du développement.

Les titres et les indications entre crochets ne doivent pas figurer sur la copie.
Introduction
[Accroche] La nature constitue un des thèmes centraux du transcendantalisme, premier courant philosophique états-unien. [Présentation de la source et de l'auteur] L'auteur, Henry David Thoreau, qui est avec Ralph Waldo Emerson le principal représentant de ce courant, développe dans cet extrait d'un article intitulé « Histoire naturelle du Massachusetts », publié en 1842 dans la revue The Dial, quelques-uns des thèmes essentiels de cette philosophie. [Problématique] Comment l'évocation de la nature du Massachusetts et du Grand Nord canadien est-elle l'occasion, pour l'auteur, d'un discours politico-moral dans lequel il oppose la sagesse de la nature à la folie de la civilisation ? [Annonce du plan] Nous verrons d'abord que, pour Henry David Thoreau, la nature constitue la vraie merveille de l'Amérique [I]. Nous analyserons ensuite les leçons qu'elle professe aux humains [II] et nous montrerons enfin les raisons qui, selon l'auteur, rendent la nature supérieure à la culture [III].
Le secret de fabrication
Avant de vous lancer dans la rédaction du développement, rappelez-vous ce qu'est le transcendantalisme et quels sont ses thèmes de prédilection. Ce courant de pensée philosophique tend à unir l'individuel à l'universel. Considérant la nature comme grandiose et immense, il l'associe à des valeurs morales.
I. La nature, vraie merveille de l'Amérique
1. La nature : un lieu de jouissance esthétique
Selon Thoreau, la nature est avant toute chose le lieu d'une expérience sensorielle et esthétique. D'elle se dégagent bien-être et sagesse. Les majestueuses allées d'épicéas, d'hemlocks et de pins inspirent à l'Homme émerveillement et sérénité.
La nature est un ravissement pour les sens. L'immortelle des hauts pâturages ou le pin sont à la fois un merveilleux spectacle pour la vue et une jouissance pour l'odorat (l. 4-6).
Ces forêts, uniques par leur immensité, sont les véritables cathédrales du Nouveau Monde, elles sont ces espaces vierges qui rendent l'Amérique incomparablement supérieure à l'Europe. Même s'il prétend s'en éloigner, Thoreau reprend ici les thématiques du puritanisme protestant. À la façon des Pères pèlerins qui créèrent la colonie du Massachusetts au xviie siècle, il voit dans la nature du Nouveau Monde un espace vierge de tous péchés.
2. La nature, condition du bonheur
La nature est la condition du bonheur physique de l'Homme. C'est au contact de la nature qu'il est sain car « si nous n'avons pas au moins un pied dans la nature, nos visages seront pâles et livides » (l. 2-3). La nature contribue aussi au bonheur moral des individus : « Celui qui contemple une forme de beauté naturelle ne saurait connaître ni mal ni déception » (l. 11-12).
D'après l'auteur, la contemplation de la beauté naturelle est porteuse de bonheur et d'épanouissement. Sans doute trouve-t-on là une version américanisée du sentiment du sublime tel que le définit Emmanuel Kant dans la Critique de la faculté de juger. Mais Thoreau voit dans la contemplation de la nature une expérience aussi bien esthétique que morale (l. 12-16).
[Transition] Lieu de beauté et de jouissance, la nature est également porteuse d'enseignement, ainsi que nous allons le voir maintenant.
II. La nature, une école de vie et de santé
1. La nature, lieu de l'affermissement physique de l'Homme
Loin de la nature, l'Homme dépérit : « Ce n'est pas dans la société que l'on trouve la santé, mais dans la nature » (l. 1-2).
La nature, par sa dureté même est une école de vie. L'auteur exprime une conception vitaliste de l'existence lorsqu'il évoque à propos des conditions extrêmes du Pays des Fourrures la nécessité pour l'Homme de se dépasser pour survivre et vaincre l'adversité (l. 14-16). La nature est donc une école de courage physique qui surpasse de beaucoup l'expérience du guerrier (l. 26-28).
2. La nature, lieu d'enseignement moral et intellectuel
La nature offre des enseignements porteurs de vrais savoirs, de ceux qui aident à vivre, « une sorte d'élixir et dont la lecture redonnerait du tonus » (l. 8).
Thoreau affirme que « les doctrines du désespoir, de la tyrannie ou de la servitude spirituelle ou politique n'ont jamais été professées par ceux qui ont partagé la sérénité de la nature » (l. 12-14). La nature serait donc, d'après lui, porteuse de liberté et de joie. En dépit des certitudes de l'auteur, il est pourtant facile d'observer que les théories de « retour à la nature » ne furent pas toujours associées à des systèmes politiques prônant la liberté.
[Transition] La nature est donc, d'après Thoreau, la meilleure institutrice pour l'Homme ; ses vertus la rendent infiniment supérieure à la civilisation, comme nous allons le voir maintenant.
à noter
Les idées que défend ici H. D. Thoreau peuvent être vues comme une version américaine des idées de J.-J. Rousseau sur les vertus de la nature.
conseil
Interrogez-vous sur les éventuelles contradictions de l'auteur. Vous pouvez critiquer la pensée développée par l'auteur en mettant en avant ses limites.
III. La nature, la vérité du monde
1. La nature contre les faux savoirs et les fausses sagesses
L'auteur assimile les « vérités » des religions, de la littérature, de la philosophie à un « tintamarre » de salons ou de salles de classes (l. 20-22). L'Homme savant croit qu'elles ont quelque importance et qu'elles s'imposent à tout l'univers, mais, dans la nature, elles ne sont d'aucune utilité.
Ces « vérités » ne sont en fait que de fausses vérités, et il suffit à l'Homme de s'endormir pour les oublier « totalement du crépuscule jusqu'à l'aube » (l. 22-24). Cet apparent mépris pour le savoir livresque est pour le moins étonnant de la part d'un homme qui, même s'il vécut deux ans au fond d'une cabane, n'en était pas moins diplômé d'Harvard et doté d'une immense culture.
à noter
L'université d'Harvard, près de Boston, est aujourd'hui mondialement connue. Elle fut à l'origine créée, en 1636, pour former les pasteurs des communautés puritaines du Massachusetts.
2. La nature supérieure à la culture
La nature est la vérité de la vie. La profession de foi que Thoreau nous livre en faveur de la nature n'est pas une simple valorisation de celle-ci. Elle s'accompagne d'un rejet de la civilisation et de la culture.
Implicitement, Thoreau considère la culture comme porteuse de mensonges, car « la société est toujours malade, et elle l'est d'autant plus qu'elle est évoluée » (l. 3-4). Avec cet anti-intellectualisme apparent, Thoreau illustre un des aspects de la culture états-unienne dans laquelle les savoirs livresques sont parfois considérés comme des sophismes.
Conclusion
[Réponse à la problématique] Dans ce texte, Henry David Thoreau développe un certain nombre des idées fondamentales du transcendantalisme. Il explique les raisons pour lesquelles, selon lui, la nature constitue le lieu privilégié de la vie. [Ouverture] Cette pensée peut apparaître comme une forme de naturalisme rejetant les apparents sophismes de la civilisation. Même si elle peut surprendre chez un lettré comme Thoreau, elle n'en est pas moins une des composantes de ce que certains penseurs états-uniens aiment à penser comme un pragmatisme.