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La place du lecteur dans La rage de l'expression

Amérique du Nord, mai 2024

Dissertation

La place du lecteur dans La rage de l’expression

4 heures

20 points

Intérêt du sujet • Le lecteur occupe une place essentielle dans l’œuvre de Ponge : le poète l’attire dans son monde et l’invite à être le témoin privilégié de son travail.

 

 Dans son poème « Le mimosa », Francis Ponge écrit : « Il faut que je prenne le lecteur par la main […] en lui affirmant qu’il goûtera sa récompense lorsqu’il se trouvera enfin amené par mes soins au cœur du bosquet de mimosas […] ». Cette affirmation éclaire-t-elle, selon vous, le projet poétique du recueil La rage de l’expression ?

Vous répondrez à cette question dans un développement organisé. Votre réflexion prendra appui sur le recueil de Francis Ponge au programme, sur le travail mené dans le cadre du parcours associé à cette œuvre et sur votre culture personnelle.

 

Les clés du sujet

Analyser le sujet

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Formuler la problématique

En quoi la poésie de Ponge guide-t-elle le lecteur vers la « récompense » âprement obtenue d’un regard renouvelé sur le monde ?

Construire le plan

1. Une poésie qui guide le lecteur

Montrez que Francis Ponge adopte une attitude très didactique vis-à-vis du lecteur.

Comment le lecteur devient-il spectateur du processus créatif du poète ?

2. Une poésie qui exige tous les « soins » du poète

Montrez que le poète fait le choix de la difficulté.

Intéressez-vous à la façon dont il recherche le mot juste.

3. Une poésie qui récompense le lecteur par la redécouverte de l’objet

Comment Ponge pose-t-il un nouveau regard sur l’objet ?

Analysez le renouveau du monde opéré par la parole poétique.

Les titres en couleur ou entre crochets ne doivent pas figurer sur la copie.

Introduction

[Accroche] Le xxe siècle est une période d’intense bouleversement de la création poétique, à la suite des expériences modernistes comme celles de Baudelaire, de Mallarmé ou des écrivains surréalistes. [Explication du sujet] Francis Ponge s’inscrit dans ce désir de transformer notre rapport poétique au monde et aux choses. Dans « Le mimosa », il indique ainsi vouloir « [prendre] son lecteur par la main » afin de l’amener « au cœur du bosquet de mimosas » où l’attend une « récompense ». Ce faisant, il se définit comme un guide qui utilise les ressources du langage pour explorer les objets, et les donner en offrande à ses lecteurs comme autant de satisfactions d’ordre esthétique. [Problématique] En quoi la poésie de Ponge guide-t-elle le lecteur vers la « récompense » âprement obtenue d’un regard renouvelé sur le monde ? [Annonce du plan] Nous verrons d’abord que sa poésie guide le lecteur de manière didactique ; qu’elle exige également tous les « soins » du poète ; et enfin, qu’elle récompense le lecteur par la redécouverte de l’objet.

I. Une poésie qui guide le lecteur

1. Une approche très didactique

Dès le début de l’œuvre, Ponge propose à son lecteur le proême « Berges de la Loire », texte programmatique, destiné à présenter les idées-clés de son projet poétique : « En revenir toujours à l’objet lui-même, à ce qu’il a de brut, de différent », en replongeant son esprit « dans l’eau du fleuve » dès qu’il aura « séché sur une expression ».

mot clé

Le proême est à la fois une « entrée en matière », mais aussi la contraction de « prose » et de « poème », mot-valise imaginé par Ponge pour désigner ses tentatives poétiques.

Le poète présente également au lecteur ses contraintes et ses objectifs d’écriture, de manière précise et détaillée : « L’objet est toujours plus important, plus intéressant, plus capable […] c’est moi qui ai tous les devoirs à son égard ».

L’enjeu liminaire est donc très didactique. Comme l’indique le sujet, « il faut » prendre le lecteur par la main ; c’est une obligation esthétique, voire morale.

2. Le lecteur, spectateur du processus créatif

Le poète ne propose donc pas seulement à son lecteur le résultat de son travail, mais de l’accompagner dans l’intégralité de son processus créatif.

Une fois le sujet choisi, il faut y travailler incessamment, pour lui faire révéler sa vérité, sans souci de la forme. Le fonctionnement du langage privilégie « l’entrechoc des mots, les analogies verbales » pour dire ces objets de manière novatrice. La pensée du poète apparaît dynamique, en pleine ébullition.

Le lecteur assiste ainsi à la poiêsis, la création en acte : Ponge partage ses pensées, tous ses brouillons et ses notes, ses réflexions diverses. Le lecteur suit une pensée poétique qui se structure peu à peu, jour après jour, comme dans un « cahier d’observations » où se manifeste un désir d’exhaustivité (« Notes prises pour un oiseau »).

[Transition] Le lecteur est donc pris « par la main », par un poète qui se lance dans une véritable quête des mots justes.

II. Une poésie qui exige tous les « soins » du poète

1. Le choix de la difficulté

Pour appâter le lecteur par de nouveaux sujets, Ponge choisit « des objets les plus indifférents possible » (« L’œillet »), délaissés par la tradition poétique héritée du xixe siècle. Il n’hésite pas à faire le choix de sujets difficiles : « Je ne choisis pas les sujets les plus faciles : voilà pourquoi je choisis le mimosa. »

La poésie a ses dangers et ses écueils, ses doutes, ses échecs et ses interrogations insolubles : « Est-ce là poésie ? ». Le poète se pose constamment la question du statut de son écriture, lui qui bouleverse les codes de la poésie traditionnelle.

à noter

Le lecteur est pris à partie par le poète, incité à poursuivre son entreprise : « D’autres viendront qui utiliseront mieux que moi les procédés que j’indique, ce seront les héros de l’esprit de demain. »

2. La recherche du mot juste

L’un des soins du poète est de « rémunérer le défaut des langues » (Mallarmé) ; il s’agit, par une « rectification continuelle », de rechercher le mot juste : « ces rubans au tissu sans sommeil./ces rubans obliques sans sommeil./ces tissus obliques sans sommeil. » (« Le Carnet du Bois de Pins »)

Il faut « tourner autour » des choses, « replonger » à l’intérieur, dans une quête méticuleuse qui vise à « rendre compte » d’une chose plutôt que d’en « faire un poème ». Ponge met en œuvre un processus d’analogies plaisantes, comme cette guêpe qui est rapprochée d’un « tramway électrique » ou d’un « petit alambic à roues et à ailes ».

Le texte, en pleine création, devient un joyeux mélange montrant le travail minutieux d’un artisan poète sur la langue, entre vers et prose, entre jeux sur le signifiant et le signifié, entre expériences typographiques et harmonie des mots.

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Ponge réconcilie ainsi l’artiste (celui qui sait manier les mots habilement, avec style) et l’artisan (celui qui exerce un savoir-faire manuel) : le poète manie le matériau concret des mots.

[Transition] Le poète use donc de toutes les ressources de la langue poétique, afin de récompenser le lecteur par un accès inédit à l’objet.

III. Une poésie qui récompense le lecteur par la redécouverte de l’objet

1. Un nouveau regard sur l’objet

Ponge trouve de nouvelles manières de dire les objets « de leur propre point de vue » (« L’œillet »). Ce travail permet de les voir sous un nouveau jour, avec « délicatesse » : les aspects les plus inattendus ou invisibles du bois de pins, de l’œillet ou du mimosa sont explorés.

La recherche proposée au lecteur est avant tout expérimentale : il s’agit de procéder à un « dérèglement » des choses afin de permettre leur redécouverte, tout en se débarrassant du « ronron poétique » qui perturbe la création.

L’intérêt du lecteur est suscité par cette nouvelle approche, qui allie la tradition scientifique et la science naturelle avec le travail précis du langage poétique. Ponge, qui lui-même se veut « moins poète que savant », devient un guide scientifique et souhaite « être l’homme de cette science ».

2. Un monde plus harmonieux

Le processus créatif de Ponge donne au poème lui-même et à la poésie d’une façon générale, une forme complètement nouvelle. Le lecteur est invité à faire « co-naître » la sensation en synergie avec le poète.

Grâce au poète, le lecteur redécouvre l’objet. Ponge insuffle une nouvelle énergie vitale au sein des mots : « Surgissez, bois de pins, surgissez dans la parole. » La conquête de l’objet n’a de sens que pour atteindre un monde aux « rapports harmonieux » ; le dessein poétique se double ainsi d’un « but politique » (Conversation avec le pasteur Jacques Babut).

Le poète fait ainsi une promesse à son lecteur : en outrepassant la difficulté de la création, on peut aboutir à un résultat merveilleux, qui nous dépasse. Par l’effort poétique, « s’il redescend aux choses », l’homme « aura progressé vers la joie et le bonheur non seulement pour lui, mais pour tous » (« Notes prises pour un oiseau »).

Conclusion

[Synthèse] La poésie de Ponge lui permet donc bien de guider le lecteur vers une redécouverte du monde qui l’entoure, par le biais d’un travail infiniment renouvelé sur les mots, pour dire les choses les plus simples, en mettant au jour leurs subtilités les plus inattendues. [Ouverture] Au xviie siècle, La Fontaine, que Ponge admirait, interpellait déjà son lecteur afin de le laisser trouver la juste moralité, parfois dissimulée sous de multiples faux-semblants, au cœur de ses fables : « Que t’en semble, lecteur ? »

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