Se raconter, se représenter
S'entraîner
8
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Amérique du Nord • Juin 2018
La poésie du grenier à foin
Intérêt du sujet • Les documents font référence à la campagne d'autrefois, qui offrait jeux et rêveries aux enfants ; cet univers, qui semble révolu, pourrait toutefois constituer aujourd'hui un idéal à retrouver.
document ATexte littéraire
Le narrateur évoque avec nostalgie les paysages féériques de campagne et le grenier à foin dans lequel il jouait enfant. Ce monde est menacé de disparition…
C'est seulement au cinéma qu'on retrouve, aujourd'hui, la magie de ces paysages où les demeures semblent faites des mêmes pierres et du même bois que la montagne. Les fabricants d'effets qui font rêver les enfants – dans la saga du Hobbit ou Le Seigneur des anneaux – montrent un certain génie pour recréer ces maisons de chaume ou de torchis1, tonneaux pleins de choux, ces garde-manger pleins de jambons et de bonnes bouteilles. Or ce monde fait pour enchanter la jeunesse du xxie siècle n'est pas un produit de la fantaisie hollywoodienne. C'est la simple reproduction, un peu stylisée, d'un mode de vie disparu tout récemment, quoique les enfants n'en aient plus la moindre notion depuis que la normalisation économique, administrative et sécuritaire – qui est l'étape ultime de la modernité – étend partout son empire sans faille. Sauf en certains points reculés comme cette ferme où les fromages mûrissent toujours sur leurs égouttoirs ; où le ruisseau sort de la montagne pour s'écouler dans un bac en grès près de l'étable ; où les poules grimpent sur le tas de fumier grassement étalé qui se soucie peu de répondre aux critères de fabrication et de stockage du compost2.
Rien, toutefois, n'égale pour moi la poésie du grenier à foin, ce grenier du rêve où je grimpe parfois, comme lorsque j'étais enfant, dans les fermes proches du Moulin. Compressé à grands coups de fourche sous la charpente, le fourrage passait l'hiver sans se dessécher dans cet immense espace obscur où il formait des monticules, des tours et des châteaux parfumés prêts pour accueillir nos jeux. J'ai toujours aimé gravir l'escalier de bois puis franchir la trappe qui permet d'accéder à ce royaume enchanté. Les brindilles s'accrochent aux planches, aux poutres, aux solives3, sous les toiles d'araignée. À côté des monticules d'herbe encore verte et de fleurs des champs traînent quelques vieux chariots, quelques râteaux à foin édentés, quelques journaux jaunis d'avant 1940. Et peut-être ces greniers me font-ils tant rêver parce qu'ils évoquent les secrets de la mémoire, un mystère niché tout là-haut, sous le crâne, où s'accrochent des millions de lambeaux de souvenirs comme ces brindilles sous le toit de la maison.
Il me semble en tout cas que ce mode de vie méritait tout notre intérêt, tel un bien précieux ; que l'État et les communes auraient pu soutenir un modèle de recyclage et de production très ancien, au lieu d'encourager sa disparition. Aujourd'hui plus encore, quand la mondialisation des échanges impose partout une circulation frénétique4, cette agriculture locale pourrait constituer un idéal prometteur. Rien n'y fait.
Benoît Duteurtre, Livre pour adultes, 2016, © Éditions Gallimard.
1. Torchis : mélange de terre grasse et de paille ou de foin utilisé dans la construction d'un mur.
2. Compost : mélange de terre, de fumier et de résidus utilisé comme engrais. 3. Solives : pièces de charpente placées en appui sur les murs ou sur les poutres pour soutenir un plancher. 4. Frénétique : exaltée, ardente, folle.
document BPhotographie de Raymond Depardon, 1992. Village de Sainte-Eulalie de Cernon (Aveyron)
ph © Raymond Depardon/Magnum Photos
Travail sur le texte littéraire et sur l'image 50 points • ⏱ 1 h 10
Les réponses doivent être entièrement rédigées.
Grammaire et compétences linguistiques
▶ 1. « Aujourd'hui plus encore, quand la mondialisation des échanges impose partout une circulation frénétique, cette agriculture locale pourrait constituer un idéal prometteur. » (l. 37-39)
Identifiez le temps du verbe souligné et précisez sa valeur dans cette phrase. (3 points)
▶ 2. Réécrivez l'extrait ci-dessous en mettant le groupe souligné au pluriel. Vous ferez toutes les modifications nécessaires. (10 points)
« Compressé à grands coups de fourche sous la charpente, le fourrage passait l'hiver sans se dessécher dans cet immense espace obscur où il formait des monticules, des tours et des châteaux parfumés prêts pour accueillir nos jeux. » (l. 21-24)
▶ 3. « Rien, toutefois, n'égale pour moi la poésie du grenier à foin […] » (l. 19). Relevez le verbe de la proposition et indiquez quel est son sujet. (3 points)
▶ 4. « Les brindilles s'accrochent aux planches, aux poutres, aux solives, sous les toiles d'araignée. » (l. 26-27)
Dans cette phrase, relevez un complément de verbe puis un complément de phrase. (4 points)
Compréhension et compétences d'interprétation
▶ 5. Pourquoi le « grenier à foin », évoqué au début du second paragraphe (l. 19), est-il si important pour le narrateur ? (5 points)
▶ 6. Dans le premier paragraphe (l. 1-18), relevez trois éléments qui caractérisent ce « mode de vie disparu » dont parle le narrateur et justifiez votre choix. (4 points)
▶ 7. « […] le fourrage passait l'hiver sans se dessécher dans cet immense espace obscur où il formait des monticules, des tours et des châteaux parfumés prêts pour accueillir nos jeux. » (l. 22-24)
a) Quelle est la figure de style utilisée dans le passage en italique ?
Quel est l'effet produit ? (4 points)
b) Citez d'autres expressions du paragraphe (l. 19-33) qui développent cette image. (3 points)
▶ 8. « Il me semble en tout cas que ce mode de vie méritait tout notre intérêt, tel un bien précieux […] » (l. 34-35).
Selon vous, en quoi « ce mode vie » évoqué dans le texte peut-il, en effet, constituer « un bien précieux » ? (7 points)
▶ 9. En quoi la photographie et le texte proposent-ils une vision de la campagne comme « un royaume enchanté » ? (7 points)
Dictée 10 points • ⏱ 20 min
Le nom de l'auteur, le titre de l'œuvre ainsi que « 1960 » sont écrits au tableau.
Benoît Duteurtre
Livre pour adultes, 2016
© Éditions Gallimard
Au temps de ma petite enfance, dans les années 1960, les villageois de mon âge avaient encore un air farouche et sauvage. Ils vivaient dans ces fermes perdues et fréquentaient la classe unique de l'école communale où, l'hiver, ils se rendaient à pied dans la neige. Au cours des années suivantes, en pleine période de « croissance », les routes se sont élargies, les supermarchés se sont implantés, le téléphone et la télévision sont arrivés dans la vallée. Les enfants ont grandi et trouvé des emplois en ville. Certains sont devenus ouvriers, d'autres ingénieurs. Les exploitations agricoles ont dépéri avec leurs vieux parents.
Rédaction 40 points • ⏱ 1 h 30
Vous traiterez au choix l'un des sujets suivants. Votre travail fera au moins deux pages (soit une cinquantaine de lignes).
Sujet d'imagination
Comme Benoît Duteurtre, vous retournez dans un lieu qui a marqué votre enfance.
Vous décrirez les transformations qui ont modifié cet endroit et les souvenirs qui surgissent alors. Vous insisterez sur les sentiments et les sensations associés à ces souvenirs. Votre texte mêlera récit et description.
Sujet de réflexion
Aux yeux du narrateur, rien « n'égale la poésie du grenier à foin. »
Pensez-vous que l'on puisse trouver aussi de la poésie et du mystère dans les grandes villes modernes ?
Vous répondrez à cette question en vous appuyant sur vos connaissances, vos lectures et votre culture personnelle.
Les clés du sujet
Analyser les documents
Traiter le sujet d'imagination
Recherche d'idées
Conseils de rédaction
Commence par raconter les circonstances dans lesquelles tu redécouvres ce lieu. Consacre les paragraphes suivants à la description de cet endroit : tel qu'il était auparavant et tel qu'il est maintenant.
Emploie un vocabulaire propre à ton ressenti : surprise (« stupéfait », « incrédule », « ébahi »), joie (« ravi », « émerveillé »), déception (« chagriné », « dépité », « anéanti »).
Traiter le sujet de réflexion
Recherche d'idées
Conseils de rédaction
Dresse au brouillon une liste d'exemples à utiliser tirés de ta vie personnelle (ton expérience des grandes villes), de tes connaissances (mode de vie urbain), de ta culture personnelle (artistes s'inspirant de la ville, street art).
Si tu optes pour une réponse nuancée, fais en sorte de ne pas te contredire d'une partie sur l'autre.
Travail sur le texte littéraire et sur l'image
Grammaire et compétences linguistiques
▶ 1. Le verbe « pourrait » est conjugué au conditionnel présent. Le conditionnel est le mode de l'imaginaire, de l'hypothèse. Ici, l'action exprimée par le verbe est considérée comme possible dans l'avenir (valeur de potentiel).
info +
On distingue plusieurs valeurs pour le conditionnel : la supposition, l'atténuation, l'hypothèse (valeurs de potentiel, d'irréel du présent ou d'irréel du passé).
▶ 2. Les modifications sont en couleur.
Compressés à grands coups de fourche sous la charpente, les fourrages passaient l'hiver sans se dessécher dans cet immense espace obscur où ils formaient des monticules, des tours et des châteaux parfumés prêts pour accueillir nos jeux.
▶ 3. Le verbe « égale » a pour sujet le pronom indéfini « rien ».
▶ 4. « Aux planches » est un complément de verbe, au même titre que « aux poutres » ou « aux solives ». Il n'y a en revanche qu'un seul complément de phrase : « sous les toiles d'araignée ».
info +
On repère un complément de phrase à sa place variable dans la phrase : ici, on peut le déplacer en tête de phrase, avant le verbe, après le verbe, en fin de phrase.
Compréhension et compétences d'interprétation
▶ 5. Le grenier à foin fait référence à un souvenir réel du narrateur, lorsqu'il était enfant et prenait plaisir à pénétrer dans « ce royaume enchanté » où tous les jeux étaient possibles. Adulte, le narrateur se réfugie parfois dans un grenier « du rêve » inspiré de celui où il grimpait enfant. Le grenier à foin est important, car il fonctionne comme un symbole des plaisirs et pouvoirs de l'imagination, et des secrets de la mémoire.
▶ 6. Le mode de vie disparu dont parle le narrateur se caractérise par la présence d'animaux (« les poules, les oies, les canards et les cochons ») ; la nourriture produite sur place (« tonneaux pleins de choux », « où les fromages mûrissent toujours sur leurs égouttoirs ») ; l'usage de matériaux naturels (« maisons de chaume ou de torchis », « sols en terre battue », récupération de l'eau du ruisseau, « tas de fumier »). Toutes ces notations renvoient à un mode de vie rural et paysan, mis à mal par « la mondialisation des échanges ».
▶ 7. a) La figure de style utilisée est une métaphore, qui transforme le tas de foin en édifices de contes de fées ; l'effet produit est alors double : insister sur la hauteur des monticules et, en même temps, les faire passer du domaine du réel à celui du rêve et de l'imaginaire.
b) Les expressions « royaume enchanté » (l. 26) et « mystère niché tout là-haut » (l. 31-32) développent cette image dans la suite du paragraphe.
▶ 8. Le mode de vie rural et traditionnel évoqué dans le texte peut en effet constituer « un bien précieux » : la modernisation et le désir de rentabilité ont produit des désastres écologiques, qu'un mode de vie plus traditionnel aurait sans doute réussi à limiter. L'utilisation des ressources locales (eau, cultures) et le goût d'une vie plus simple et plus saine pourraient éviter des transports de marchandises coûteux et les problèmes de santé induits par l'utilisation de pesticides.
▶ 9. La photographie montre deux enfants, debout sur des bottes de foin, au moins aussi grandes qu'eux. Dans cet univers campagnard, le terrain de jeux choisi par les enfants semble très vaste, et correspond à cette image du « royaume enchanté » présente dans le texte de Benoît Duteurtre. L'arche de pierre qui les abrite paraît dater d'une époque révolue, où « les demeures semblent faites des mêmes pierres et du même bois que la montagne ». On pourrait croire que cette photographie a été prise à l'époque de l'enfance du narrateur du texte, si la date ne nous indiquait pas son caractère récent.
Dictée
Point méthode
1 La dictée compte de nombreux participes passés : employés avec l'auxiliaire être, ils s'accordent avec le sujet ; mais ils ne s'accordent pas avec celui-ci s'ils sont employés avec avoir.
2 Attention, deux participes passés sont utilisés avec des verbes pronominaux à sens passif : le participe doit alors s'accorder avec le sujet.
3 Retiens ces expressions qui s'écrivent au singulier : à pied, en ville.
Au temps de ma petite enfance, dans les années 1960, les villageois de mon âge avaient encore un air farouche et sauvage. Ils vivaient dans ces fermes perdues et fréquentaient la classe unique de l'école communale où, l'hiver, ils se rendaient à pied dans la neige. Au cours des années suivantes, en pleine période de « croissance », les routes se sont élargies, les supermarchés se sont implantés, le téléphone et la télévision sont arrivés dans la vallée. Les enfants ont grandi et trouvé des emplois en ville. Certains sont devenus ouvriers, d'autres ingénieurs. Les exploitations agricoles ont dépéri avec leurs vieux parents.
Rédaction
Voici un exemple de rédaction sur chacun des deux sujets.
Attention les indications entre crochets ne doivent pas figurer sur ta copie.
Sujet d'imagination
[Mise en place du récit] L'autre jour, avec mes parents, nous sommes passés revoir la demeure qui avait appartenu à mon arrière-grand-mère. Lorsque j'étais petite, on m'y envoyait l'été ; mon arrière-grand-mère vivait seule dans cette grande maison, à la campagne, près de Bordeaux.
conseil
Fais apparaître le vocabulaire des sentiments et des sensations dans ton récit.
[Souvenirs] J'en garde le souvenir d'étés interminables. À la chaleur de l'extérieur s'opposait la fraîcheur de la maison. J'étais seule et m'ennuyais. Je parcourais les pièces innombrables qui ne servaient jamais, inventais des jeux dans ma tête, et cherchais un improbable coffre-fort derrière tous les tableaux. À table, seul le tic-tac de l'horloge se faisait entendre, et les repas étaient longs… Mais les après-midi étaient de vrais moments de plaisir, que je passais dehors, à me rouler dans l'herbe, à poursuivre les chats, à observer les vaches ou à me cacher dans les vignes. Heureusement, la campagne était vaste.
[Description] Mais, surprise ! Lorsque nous nous sommes arrêtés devant la maison, je me suis rendu compte des changements opérés : l'autoroute passait désormais à proximité ; on la voyait… et on l'entendait. Des champs et des vaches aux alentours : nulle trace. Horrifiée, j'ai découvert tous les petits pavillons et leurs minuscules jardins qui entouraient désormais la maison, délabrée et anachronique. Partout des voitures, et le bruit constant de l'autoroute. Comment, en l'espace de sept ans, cet endroit avait-il pu changer autant ?
[Conclusion de l'épisode] J'étais abasourdie. Et pourtant, ce n'était pas un lieu auquel je pensais souvent ; mais j'étais écœurée de le voir ainsi dégradé par tous ces changements. C'est alors que sur le seuil de la maison apparut un petit garçon ; agitant sa peluche, il éclata de rire en apercevant un papillon et se mit à le poursuivre, réveillant un peu, pour moi, les joies d'autrefois.
Sujet de réflexion
[Introduction] B. Duteurtre associe le grenier à foin de son enfance au rêve et à l'imagination. Les villes modernes sont-elles dénuées de la poésie et du mystère que l'auteur trouvait dans l'univers campagnard de son enfance ?
[La ville semble incompatible avec la poésie] Les grandes villes se caractérisent par une occupation intense de l'espace. La concentration est forte, les espaces verts sont rares ; les terrains de jeux pour les enfants sont encadrés, délimités, réglementés. Près de chez moi, le petit square où jouent les enfants compte cinq zones de jeux, et cinq panneaux d'interdiction ! Dans cet univers bien strict, les secrets et les mystères semblent improbables.
gagne des points
Dynamise ta réflexion par l'usage de types de phrase variés : phrases nominales, interrogatives ou exclamatives.
[La poésie s'invite pourtant en ville] Toutefois, on peut aussi parfois trouver une part de poésie en ville. Certains lieux, à première vue lugubres et déprimants, sont investis par des artistes. Le street art n'apporte-t-il pas de la poésie dans un lieu qui en est a priori totalement dépourvu, comme a pu le faire l'artiste Banksy ? Les messages des anonymes qui ornent les murs des grandes villes sont parfois aussi des appels à l'imagination.
[La poésie ne dépend pas d'un lieu] Enfin, le principe de l'imagination et de la poésie n'est-il pas de permettre de dépasser les limites du réel ? On peut trouver poésie et mystère dans n'importe quel lieu, pour peu que l'esprit soit désireux d'en créer. Des poètes ont ainsi écrit en prison, comme Verlaine.
[Conclusion] La ville moderne semble incompatible avec la poésie et le mystère. Mais il est possible de faire de l'univers urbain un lieu d'expression artistique et de beauté. En définitive, le pouvoir de l'imagination est tel qu'il peut s'appuyer sur différents lieux.