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France métropolitaine 2024 • Dissertation
Sprint final
39
France métropolitaine • Juin 2024
La science peut-elle satisfaire notre besoin de vérité ?
Dissertation
Intérêt du sujet • À l’heure où les données de la science sont contestées par des idéologies pour le moins douteuses (platisme, climatoscepticisme, etc.), il est important de la défendre pour sa rigueur et son utilité, tout en étant conscient de ses limites.
Les clés du sujet
Définir les termes du sujet
La science
Du latin scire, « savoir », la science est l’étude rigoureuse de la réalité. On distingue les sciences formelles, les sciences expérimentales et les sciences humaines.
L’objectif de la science est théorique et pratique : la connaissance de la réalité en permet la maîtrise par le biais d’applications techniques.
Peut-elle satisfaire
Du latin satis, « assez », le verbe satisfaire signifie contenter, combler, répondre de manière adéquate à une attente, voire donner du plaisir.
La question « peut-elle » signifie ici : « est-ce que c’est possible ? ». La science est-elle capable de satisfaire notre besoin de vérité ?
Notre besoin de vérité
Contrairement au désir, le besoin relève d’une nécessité. Il s’agit d’accomplir une action ou d’obtenir quelque chose dont la privation serait douloureuse, voire dangereuse.
La vérité se définit traditionnellement comme l’accord entre la pensée et la réalité.
Dégager la problématique
Construire un plan
1. La science naît de notre besoin de vérité | Pourquoi le sujet présuppose-t-il l’existence d’un « besoin de vérité » chez l’être humain ? En quoi la science apparaît-elle comme la manière la plus satisfaisante de répondre à ce besoin ? |
2. La science ne peut combler notre besoin de vérité | La science offre-t-elle une connaissance absolue et totale de la réalité ? Quelles sont les questions auxquelles la science n’offre pas de réponse satisfaisante ? |
3. La science répond à un besoin pratique | Connaître la vérité est-il une fin en soi ou un moyen de répondre à des besoins vitaux ? Quel statut accorder aux vérités scientifiques si elles ne sont que provisoirement admises ? |
Les titres en couleurs et les indications entre crochets servent à guider la lecture mais ne doivent en aucun cas figurer sur la copie.
Introduction
[Définition des termes du sujet] La science est l’étude rigoureuse de la réalité en vue de sa connaissance théorique et de sa maîtrise pratique. Accéder à la vérité, c’est-à-dire à une pensée adéquate et conforme à la réalité, est utile et même nécessaire, ce qui justifie qu’on parle d’un besoin et non d’un désir. [Problématique] Mais la science peut-elle satisfaire notre besoin de vérité ? Est-elle capable de nous donner les certitudes que nous recherchons ? Offre-t-elle une vision du monde assez complète pour que nous n’ayons plus aucune question à nous poser ? [Annonce du plan] On verra dans un premier temps pourquoi la science est le meilleur moyen de combler l’aspiration humaine à la vérité. On montrera ensuite que les limites de la science empêchent cette satisfaction d’être totale. On insistera dans un troisième temps sur la dimension pratique de la science.
1. La science naît de notre besoin de vérité
Le conseil de méthode
Ne négligez pas l’analyse de l’expression « besoin de vérité ». Expliquez notamment en quoi le « besoin de vérité » se distingue du « désir de vérité ».
A. L’être humain aspire à la vérité
Les hommes ont naturellement besoin de comprendre le monde. Ils éprouvent de « l’étonnement » lorsqu’une difficulté se présente, et s’efforcent alors de la résoudre. De là viennent, selon Aristote, toutes les recherches menées par les savants, tant pour expliquer des phénomènes observables que pour spéculer sur l’origine de l’univers. Il présente cette quête de vérité comme un loisir qui ennoblit l’esprit et lui procure un plaisir pur.
Cette vision prolonge « l’allégorie de la caverne » de Platon : l’ignorance est un état de souffrance où l’âme est prisonnière, et la philosophie est un effort pour s’en délivrer. Chercher la sagesse est non seulement plaisant, mais nécessaire, car vivre dans l’erreur expose à toutes sortes de maux (illusions, immoralité, etc.) : le savoir est la condition d’une vie humaine accomplie.
B. La science procure à l’esprit la certitude qu’il recherche
Au contraire des croyances telles que l’opinion ou la foi, qui laissent subsister le doute, le savoir offre des certitudes. La science s’appuie sur une méthode rigoureuse et sur des procédés rationnels universellement partageables, tels que la démonstration dans les sciences formelles (logique, mathématiques) ou l’expérimentation dans les sciences naturelles (physique, biologie, etc.).
Les sciences humaines (psychologie, histoire, anthropologie, etc.) incluent une part d’interprétation plus grande du fait de leur objet d’étude, mais elles établissent tout aussi méthodiquement les faits. Ainsi, les sciences nous conduisent vers la vérité objective à laquelle nous aspirons, tant sur l’homme que sur la nature.
[Transition] La science satisfait le besoin humain de vérité grâce à la rigueur de ses méthodes. Mais n’a-t-elle pas aussi des limites ?
2. La science ne peut combler notre besoin de vérité
A. La science a des limites
La science est limitée dans son étendue. Plus on en sait, et plus on prend conscience que notre ignorance est indépassable. Montaigne insiste sur l’humilité des gens « véritablement savants », comparables à des épis de blé qui poussent d’abord droits et fiers, mais qui ploient quand les grains sont formés : « l’ignorance qui était naturellement en nous, nous l’avons, par longue étude, confirmée et avérée » (Essais).
La science est limitée dans sa forme. Une science parfaite, dit Pascal, impliquerait qu’on définisse tous les termes, mais cela entraînerait une régression à l’infini (il faudrait définir à leur tour les termes employés dans les définitions, et ainsi de suite). Il faudrait aussi démontrer toutes les propositions, mais c’est impossible : même la science mathématique se fonde sur des principes indémontrables (axiomes, postulats).
citation
« Les hommes sont dans une impuissance naturelle et immuable de traiter quelque science que ce soit, dans un ordre absolument accompli. » (Pascal, Pensées)
B. Notre questionnement s’étend plus loin
à noter
Dans Melencolia I, Albrecht Dürer représente une multitude d’objets évoquant la géométrie et ses applications pratiques. Mais la figure principale reste plongée dans des interrogations plus profondes qui dépassent l’ingéniosité humaine.
Toutes les sociétés humaines recourent à la philosophie, à l’art ou à la religion pour investir des questions auxquelles la science ne répond pas : le sens de la vie, la recherche du bonheur, l’existence de Dieu, etc. Il subsiste, au-delà du domaine limité de la « connaissance », un domaine que Kant appelle la « pensée ». Aiguillée par le besoin de répondre à ses questions « métaphysiques », la raison humaine s’y engouffre et s’y perd parfois.
Sous cet angle, la science est plus décevante que satisfaisante. Socrate, qui suivit l’enseignement du physicien Anaxagore pour comprendre le « pourquoi » des choses, se plaint de n’avoir trouvé chez lui que l’explication du « comment ». Un scientifique moderne comme Claude Bernard assume ce décalage : si « la nature de notre esprit nous porte à chercher l’essence ou le pourquoi des choses », dit-il, la démarche scientifique s’en tient plus modestement au comment, c’est-à-dire au niveau « de la cause prochaine ou des conditions d’existence des phénomènes ».
[Transition] Notre besoin de vérité s’étend plus loin que ce que la science peut nous offrir. Mais quel peut être alors l’objectif de la science ?
3. La science répond à un besoin pratique
A. Le but de la science est la maîtrise du monde
La science ne dit pas « la nature intime des choses » selon Comte, mais dégage des relations constantes entre les phénomènes. Son objectif est pratique : la connaissance de l’enchaînement des causes et des effets permet la prévoyance, donc l’action efficace. Il n’y a pas en soi un besoin de vérité, mais des besoins matériels que la science permet de satisfaire grâce à ses applications techniques.
citation
« Science, d’où prévoyance ; prévoyance, d’où action. » (Comte, Cours de philosophie positive)
L’idée de chercher la vérité pour elle-même est suspecte aux yeux de Nietzsche. Si un besoin de vérité existe au sens où la science est au service de la vie, la survalorisation de la vérité procède d’une forme de faiblesse : « la volonté de vérité et de certitude naît de la peur dans l’incertitude » (Fragments posthumes). La science donne l’impression rassurante d’une emprise sur le monde.
citation
« Notre besoin de connaître n’est-il justement pas ce besoin de bien connu, la volonté de découvrir dans tout ce qui est étranger, inhabituel, problématique, quelque chose qui ne nous inquiète plus ? » (Nietzsche, Le Gai savoir)
B. La science modélise la réalité
Selon les physiciens Einstein et Infeld, le chercheur se comporte comme quelqu’un qui essaierait de comprendre le mécanisme d’une montre fermée. Il voit le mouvement des aiguilles, il entend le tic-tac. Mais comme il ne peut ouvrir le boîtier, il doit imaginer le mécanisme : la vérité objective n’est qu’une « limite idéale » et les théories scientifiques ne sont que des approximations. Le fait qu’elles soient provisoires n’enlève rien à la valeur de la science, qui progresse précisément parce qu’elle se critique et se réforme en permanence.
Sans aller comme le pragmatisme jusqu’à réduire le vrai à l’utile, Russell distingue de la vérité « absolue » une vérité « technique » qui consiste, pour une théorie, à donner lieu à des inventions utiles et à des prévisions pertinentes. Ainsi, la science ne constitue pas un « miroir mental de l’univers », mais un « instrument à manipuler la matière ».
définition
Fondé par Peirce et James, le pragmatisme pose qu’une idée vraie n’est pas une copie de la réalité, mais un guide efficace pour accomplir une action.
Conclusion
La science ne satisfait pas notre besoin de vérité et elle n’a de toute façon pas vocation à le faire. Elle ne peut pas se constituer comme un savoir absolu et total qui mettrait fin à tout questionnement humain. Son rôle est avant tout pratique puisqu’elle permet d’assouvir des besoins vitaux.