Annale corrigée Dissertation

La technique permet-elle de ne plus avoir peur de la nature ?

Amérique du Nord • Mai 2022

La technique permet-elle de ne plus avoir peur de la nature ?

dissertation

4 heures

20 points

Intérêt du sujet • L’apparition d’un nouveau virus a, en quelques mois, répandu la peur dans nos sociétés, dont les technologies de pointe n’ont pas permis d’éviter ce phénomène. Mais alors, que peuvent toutes nos techniques face à la puissance de la nature ?

 
 

Les clés du sujet

Définir les termes du sujet

Technique

La technique désigne l’ensemble des moyens artificiels, qu’ils soient intellectuels (méthodes, savoir-faire) ou matériels (outils, machines, robots), mis en œuvre pour atteindre une fin déterminée.

De l’outil qui dépend de l’énergie humaine à la machine qui dispose de son énergie, puis au robot programmé, son développement est marqué par une autonomie croissante.

Permettre de ne plus avoir peur

Il s’agit de savoir quel pouvoir nous donne la technique.

La peur est un sentiment lié à notre projection dans l’avenir, concernant une chose qui pourrait nous nuire ou nous détruire.

Nature

Elle désigne à la fois l’essence d’une chose et l’ensemble du monde non artificiel, qui n’a pas été créé par l’homme.

Elle peut alors représenter une puissance d’engendrement, ou le monde physique (du grec phusis) fait de lois nécessaires.

Dégager la problématique

phiT_2205_02_00C_01

Construire un plan

Tableau de 3 lignes, 2 colonnes ;Corps du tableau de 3 lignes ;Ligne 1 : 1. La technique vise à apprivoiser la nature; Elle vise à nous rendre « maîtres et possesseurs de la nature ».L’homme est d’essence technicienne.; Ligne 2 : 2. La technique n’élimine pas la peur; Le développement technique nous dénature.Manipuler la nature n’est pas la maîtriser.; Ligne 3 : 3. La nature n’est pas à craindre; C’est la connaissance qui délivre des craintes.Nous devons renouer avec la nature.;

Les titres en couleurs et les indications entre crochets servent à guider la lecture mais ne doivent en aucun cas figurer sur la copie.

Introduction

[Reformulation du sujet] La technique est-elle le moyen de se rassurer face à la violence de la puissance naturelle ? De fait, on pourrait considérer qu’elle permet de soumettre la nature. Mais n’avons-nous rien à craindre des conséquences de cet affrontement ? [Définition des termes du sujet] La technique désigne l’ensemble des moyens intellectuels ou matériels mis en œuvre pour parvenir à une fin ; elle se caractérise par son évolution constante. Ce qui nous « permet », c’est ce qui nous donne un pouvoir. La peur est un sentiment né d’une projection, par l’imagination, dans un avenir où il se peut qu’une chose nous nuise ou nous détruise. Enfin, la nature désigne à la fois l’essence d’une chose, une puissance d’engendrement contenant en elle-même son propre principe, et le monde physique (du grec phusis qui signifie la nature). [Problématique] Le problème est donc de savoir si nos techniques nous donnent la capacité de ne plus envisager la nature comme une puissance adverse, ou bien si le développement technique est impuissant à apaiser nos craintes. Mais après tout, sommes-nous fondés à craindre la nature ?

1. La technique vise à apprivoiser la nature

A. Devenir comme maîtres de la nature

Le conseil de méthode

Attention à ne pas faire un catalogue des avantages et inconvénients de la technique. Une dissertation n’est pas une compilation d’exemples, et votre propos doit être fondé sur des arguments et non sur des jugements de valeur.

Dans un premier temps, on pourrait penser que le développement de nos techniques a pour but de nous permettre de ne plus envisager la nature comme une puissance étrangère.

La technique nous permettrait, dit Descartes dans le Discours de la méthode, de devenir « comme maîtres et possesseurs de la Nature ». S’il n’est pas question pour le philosophe de soumettre la nature à notre puissance, nous pouvons cependant ne plus la subir. Par nos techniques, nous visons l’amélioration de notre confort ou de notre santé, et nous libérons de cette passion qu’est la peur puisque nous devenons actifs face à la nature.

B. L’homme est d’essence technicienne

Or si nous avons ce pouvoir de convertir la nature en une chose utile, c’est parce que nous sommes à la fois naturellement faibles et dotés des moyens de dépasser notre faiblesse.

Dans Protagoras, Platon évoque cette essence technicienne à travers le mythe de la création de l’homme par Prométhée. C’est parce qu’il prend pitié de l’homme, créature nue et désarmée, que le Titan transgresse l’interdit divin en volant le feu de l’Olympe. Symbole de l’aptitude technique, le feu fait de l’homme, capable de forger des armes et des outils, un être technicien par essence, qui n’est pas seulement compris dans la nature, mais capable de la mettre à distance en transgressant ses lois.

définitions

L’essence d’une chose désigne ce sans quoi elle ne peut pas être elle-même. Une propriété accidentelle désigne une caractéristique sans laquelle une chose reste elle-même.

[Transition] Mais ce pouvoir que nous avons de ne plus subir la nature nous permet-il vraiment de ne plus en avoir peur ?

2. La technique n’élimine pas la peur

A. Le développement technique nous dénature

Certes, nous pouvons nous opposer à la nature en détournant le cours d’un fleuve, en guérissant certaines maladies, mais cela nous rassure-t-il ? Ce que nous enseigne la punition de Prométhée, n’est-ce pas aussi que toute transgression se paie ?

L’autonomie de nos objets techniques et notre familiarité avec les machines, dotées de leur énergie propre, pourraient nous indiquer que ces objets sont désormais capables de nous transformer. Dans son analyse des techniques modernes, Hegel pointe ainsi le risque de ce renversement, par lequel nous entendons désormais « anéantir » l’extériorité de la nature : faire en sorte qu’elle ne nous fasse plus obstacle, sans plus nous investir dans ce rapport. De l’outil à la machine, ce qui se perd, dit-il, c’est notre contact à la nature, par lequel nous nous émancipions. Plus efficaces, nous sommes dénaturés, et en cela doublement séparés de la nature, puisque pervertis.

B. Manipuler la nature n’est pas la maîtriser

Capables de manipuler la nature, nous croyons pouvoir la maîtriser. Or, il s’agit là d’une illusion, liée à un rapport au monde naturel devenu purement utilitaire. Dans « La Question de la technique », Heidegger montre que la technique moderne convertit la nature entière en un stock d’énergie potentielle. Oublieux du fait que la nature est autre chose qu’un objet qui nous est utile, nous oublions que nous en faisons partie.

Si la technique moderne nous permet d’exploiter la nature, elle en rompt l’harmonie, la dérègle et nous pervertit jusqu’à faire de nous aussi un stock de forces qu’il s’agit de mesurer, d’exploiter, de distribuer. Comment, alors, ne pas percevoir la nature comme un objet manipulé et devenu pour cette raison potentiellement dangereux pour nous ?

à noter

Dans Frankenstein ou le Prométhée moderne, Mary Shelley met en évidence la nature monstrueuse de la créature fabriquée à partir de chairs mortes et qui, inadaptée au monde, se venge de son créateur.

[Transition] Mais si la nature nous apparaît comme une chose à dompter ou à violer, n’est-ce pas justement parce que nous la craignons ?

3. La nature n’est pas à craindre

A. C’est la connaissance qui nous libère des craintes

N’est-ce pas en raison de notre peur que nous détruisons la nature, la déréglons, et alimentons ainsi nos inquiétudes ? La question est alors de savoir ce qui fonde notre crainte, et comment y remédier.

En réalité, Descartes le dit clairement : ce n’est pas la technique mais la connaissance du monde physique qui nous libère des peurs, en nous permettant de ne plus envisager la nature comme une puissance magique et imprévisible, mais comme un monde réglé par des lois. En somme, c’est l’ignorance qui produit la crainte, et non la nature. L’envisager comme un monde physique, c’est avant tout la considérer rationnellement, et rompre avec les superstitions qui nourrissent cette passion qu’est la peur.

B. Nous devons renouer avec la nature

Ce souci de connaître la nature, plutôt que de l’exploiter par le développement technique, pourrait impliquer de se connaître soi-même, c’est-à-dire de reconnaître la nature en soi. Cela pourrait alors passer par une remise en cause de la frontière entre le monde technique et le monde naturel. C’est ce qu’établit Simondon, dans Du mode d’existence des objets techniques : le monde artificiel se développe comme le monde de la nature et dispose d’une force d’autonomie que nous devons admettre. Il n’est pas vrai, dit-il, que la technique soit le propre de l’homme : elle doit être pensée comme un monde autonome que nous avons le pouvoir de connaître.

L’auteur

08658_Simondon_p275

Gilbert Simondon (1924-1989).

Simondon rejette l’idée selon laquelle la technique serait propre à l’homme, ainsi que la technophobie qui en découle. Il appelle à la constitution d’une science des techniques.

Mais au-delà de cette connaissance du monde naturel, n’est-ce pas d’abord notre rapport à lui qu’il s’agit de renouveler ? Cette reconnaissance peut enfin prendre la forme radicale d’une fidélité à la nature en tant que puissance créatrice. Ainsi le cynisme fait de la nature une norme de vie, rejetant la figure de Prométhée, ancêtre de l’homme technicien, pour revendiquer celle d’Héraclès, incarnation de la force nue et de la sauvagerie naturelles. Il nous appelle alors à reconnaître la nature en nous comme une puissance sur laquelle nous devons nous régler, dans la perspective d’une vie libre et délivrée des craintes.

Conclusion

En définitive, ce n’est pas la technique en elle-même qui nous permet de ne plus craindre la nature, mais la connaissance de ce que nous sommes et de ce qu’elle est. Nous devons, avant tout, interroger cette peur, et considérer que nous avons le pouvoir de l’éliminer en comprenant que la nature n’est pas à vaincre mais à connaître et à reconnaître en nous pour mieux vivre.

Pour lire la suite

Je m'abonne

Et j'accède à l'ensemble
des contenus du site